Josef Sudek. Le poète de Prague exposé au Jeu de Paume

[14/06/2016]

 

Le monde de Sudek se découvre avec délectation à travers les 130 œuvres réunies au Jeu de Paume à Paris, jusqu’au 25 septembre 2016. « Le monde à ma fenêtre », est l’occasion de ré-ouvrir la brèche sur cet artiste aussi singulier que discret, bien qu’il reste le plus célèbre des photographes Tchécoslovaques.

Josef (Václav František) Sudek nait en Tchécoslovaquie le 17 mars 1896 à une trentaine de kilomètres de Prague. A l’âge de 17 ans, la photographie entre véritablement dans sa vie, au fil des vues de Prague, de paysages et d’autoportraits venus enrichir un quotidien estudiantin qui le mène au métier de relieur. La guerre ne l’épargne pas… Envoyé sur le front italien en 1915, il y perd un bras et trois années, mais réalise des portraits de militaires blessés de sa seule main gauche. De retour chez lui, sa pension d’invalidité lui permet de se consacrer à la photographie, dont il explore le pictorialisme dans les années 1920.
Josef SUDEK devient rapidement une référence dans le milieu de la photographie pragoise, participant notamment à la création de la Société Photographique de Prague en 1924. A cette époque, Sudek a conscience de la qualité de ses images, affichant, dès la première exposition collective à laquelle il participe, des prix cinq fois supérieurs à ceux de ses compatriotes, tout en refusant le monde de l’art, préférant la discrétion à la célébrité. Il voyage avant de lancer son studio en 1927, et participe à quelques salons de photographies en Europe et aux Etats-Unis. Mais ce n’est pas tant grâce à ces salons qu’il perce sur la scène américaine. Il s’y est fait connaître d’une toute autre façon, peu banale il est vrai, par le biais de son assistante Sonja BULLATY (1924-2000), partie rejoindre sa famille aux Etats-Unis après deux années passées à ses côtés. En partant, Sonja Bullaty emmène plusieurs photographies de Sudek qu’elle montre à New York. Devenue est elle-même une photographe reconnue, elle continue à faire rayonner l’oeuvre de son premier mentor en lui consacrant un ouvrage dans les années 70′. A l’heure où les américains commencent à se pencher sur son œuvre, Sudek est le plus célèbre des photographes dans son pays, honoré de plusieurs prix et consacré peu avant sa mort (en 1976) par une rétrospective au Musée des Arts Décoratif de Prague, exposition reprise ensuite à Londres (à la Photographer’s gallery).

Sudek aux enchères

Le marché de Sudek s’est construit depuis New York, une trentaine d’années en arrière. A l’époque, les collectionneurs américains se battaient déjà pour des tirages cotés entre 1 000 et 5 000 $ en moyenne. Aujourd’hui, Sudek reste une denrée convoitée pour les initiés de la belle photographie, pour les adeptes de la contemplation merveilleuse des choses simples. Les prix ont certes beaucoup augmenté en 30 ans, suivant l’élan général du marché de la photographie, il n’en demeure pas moins que Sudek reste tout à fait accessible pour moins de 5 000 $, sept œuvres sur dix étant adjugées sous ce seuil de prix.
Si les tirages très cotés, ceux capables d’animer les enchères au-delà du pallier des 50 000 $, sont rares, ils existent néanmoins. On en compte 12, essentiellement des tirages pigmentaires ou argentiques de natures mortes. Ils ont commencé à passer ce seuil de prix il y a à peine 10 ans, d’abord à New York, puis à Paris, autre place forte pour le marché de la photographie. C’est d’ailleurs dans la capitale française que furent enregistrés les deux records mondiaux de l’artiste, le 19 novembre 2010 chez Sotheby’s, qui souhaitait alors faire de Paris la capitale du marché de la photographie devant Londres et New York. Celle ambition semble aujourd’hui tombée dans les oubliettes… mais elle aura donné un élan véritable à Sudek cette année là, avec un tirage vendu plus de 308 000 $ contre une estimation haute de 24 000 $ (Sans Titre (Vase Et Rose Morte), 1952, Tirage pigmentaire d’époque sur papier souple chamois) et un autre cédé au prix record de 406 000 $, largement au décuple de la fourchette d’estimation (Sans Titre (Étude de Nature-Morte), 1952, Tirage pigmentaire d’époque sur papier fort chamois). Ces deux seules ventes contribuèrent à l’une des meilleures sessions parisiennes de Sotheby’s, qui réalisait alors le “plus haut montant pour une vente de photographies chez Sotheby’s à Paris”, selon la maison de ventes. 2010 demeure, pour Sudek, une année record au cours de laquelle il s’échangeait près d’1m$ de ses photographies dans le monde… Cet œuvre dense (le fonds du photographe est composé de 70 000 mille négatifs) alimente régulièrement les enchères de New York à Berlin, en passant par Londres et Prague : plus de 50 tirages ont été proposé en salles depuis le début de l’année 2016.