Jaune Quick-to-See Smith, la reconnaisance nécessaire des artistes amérindiens

[09/06/2023]

Un record d’adjudication établi à 642 600$ en novembre dernier, cinq fois au-dessus de l’estimation haute et quatre toiles vendues à plus de 400 000$ chacune depuis le début de l’année 2023 : Jaune Quick-to-See Smit, absente des classements d’Artprice il y a une poignée d’année, se retrouve propulsée parmi les 300 artistes mondiaux les plus performants de ce début 2023.

 

“Je suis un miracle, et tout Autochtone ici est un miracle”

(J. Smith, cité dans J. Hunt, ‘Jaune Quick- to-See Smith Maps New Meanings”, T: The New York Times Style Magazine, 2 décembre 2021)

 

L’artiste et activiste amérindienne Jaune Quick-to-See SMITH (1940) construit son oeuvre depuis le milieu des années 1970 et explore le collage depuis les années 1990. Elle manie cette technique du collage comme une métaphore pour enquêter sur la visibilité, entre ce qui tient la surface et ce qui peut émerger. Jeune femme de la nation confédérée Salish et Kootenai du Montana, elle suit d’abord une éducation artistique en parallèle de petits emplois nécéssaire à sa subsistence : serveuse, secrétaire ou concierge. Désormais, après plus de 80 expositions personnelles sur les trois dernières décennies, sa réputation ne fait que monter en flèche.

L’année de ses 80 ans, en 2020, elle est devenue la première artiste amérindienne à voir l’une de ses œuvres achetée par la National Gallery of Art de Washington. C’est à partir de ce moment que les acteurs du marché de l’art – les collectionneurs comme les maisons de ventes – ont réagi. D’abord doucement, avec quatre œuvres vendues au cours de l’année 2020 pour un total de 52 500$, puis plus fermement en 2022, avec 26 œuvres vendues, cette fois pour un résultat dépassant le million de dollars (1,14m$).

Cette année, le Whitney Museum of American Art consacre à l’artiste sa première rétrospective new-yorkaise. Memory Map rassemble près de cinq décennies de dessins, estampes, peintures et sculptures de Smith dans la plus grande et la plus complète exposition de sa carrière à ce jour.

 

Evolution du produit des ventes aux enchères de de Jaune Quick-to-See Smith (copyright Artprice.com)

 

 

L’objet du record de 642 600 $ est un engagement au-delà du tableau

I See Red: Talking to the Ancestors, l’oeuvre qui s’est envolée pour 642 600$ contre une estimation moyenne de 100 000$ le 17 novembre dernier à New York, était présentée par Christie’s comme “l’une de ses toiles les plus puissantes”, en tant qu’elle combine abstraction et figuration avec des fragments de journaux. Un travail convoquant les célèbres collages de Pablo Picasso, mais aussi des œuvres de Paul Klee, Robert Rauschenberg et Jasper Johns. Car, si Jaune Quick-to-See Smith honore d’abord l’histoire amérindienne pour témoigner d’un univers culturel qui lui appartient, elle a aussi fait siennes des réflexions sur l’abstraction, le pop art américain et le néo-expressionnisme. C’est donc forte d’une créativité singulière que cette artiste rejoint une histoire de l’art écrite par d’autres, et qu’elle est accueillie par un marché de l’art désormais convaincu par la nécessité de réparer les “oublis” de cette histoire de l’art. Smith sort enfin de l’ombre, et cette mise en lumière pourrait ouvrir la voie à d’autres artistes amérindiens de sa trempe.

Christie’s décrit l’oeuvre record I See Red: Talking to the Ancestors pour nous en donner les codes de lecture : “Peinte en 1994, la présente œuvre fait partie de la série I See Red de Smith, qui a commencé en réponse au quinzième anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb dans les Amériques en 1992. La couleur rouge est symbolique dans la pratique de Smith. Elle utilise le rouge pour contraster avec le blanc, symbole d’innocence dans l’histoire amérindienne. La couleur rouge fait non seulement référence à la colère causée par l’indignité quotidienne à laquelle sont confrontées de nombreuses populations autochtones, mais également à une étiquette désobligeante pour les Amérindiens. Le rouge est également une couleur importante dans les danses et les cérémonies des cultures autochtones du monde entier, utilisée pour marquer et protéger les corps et les objets d’importance.”

Au-delà du témoignage culturel et symbolique véhiculé par ce tableau, le marché est venu saluer, en le valorisant si haut, l’engagement profond de Smith, qui a toujours milité pour faire exister les artistes amérindiens dans leurs singularités. Le Whitney Museum of American Art, qui expose l’artiste jusqu’au 13 août 2023, rappelle en effet que Smith a initié “certains des dialogues les plus pressants autour de la terre, du racisme et de la préservation culturelle – des questions à l’avant-garde de la vie et de l’art contemporain aujourd’hui”. Déjà, en 1977, alors qu’elle était étudiante, Smith intègre le collectif Gray Canyon visant à améliorer la compréhension limitée qu’à le grand public de l’art autochtone contemporain puis elle cofonde, une quinzaine d’années plus tard, le collectif Coup Marks, qui organise des expositions d’art autochtone dans de nombreuses galeries à New York, au Montana et à Washington D.C. Après avoir soutenu ses pairs, c’est à elle d’être adoubée par les grandes institutions américaines. Ses œuvres sont notamment entrées dans les collections permanentes du Walker Art Center (Minneapolis), du MoMA (New York), du Brooklyn Museum (New York), du Metropolitan Museum of Art (New York), en plus du Whitney).