Inside Outsider Art

[17/01/2020]

C’est presque un cas d’école : quand un mouvement, né en marge de tous réseaux, commence à avoir une petite visibilité avec des expositions souvent autofinancées et réunit une petite communauté d’artistes, d’amateurs et de collectionneurs, un certain nombre d’étapes est déjà franchi. Puis des galeries s’engagent et la reconnaissance publique advient : une foire d’art spécialisée, des vacations réservées par les maisons de ventes au plus haut niveau, et des valeurs nominales désormais sûres.
L’art Outsider, ou art Brut (ou art autodidacte, art singulier… les controverses de label sont en soi une reconnaissance) en est à ce stade final. Exprimé pour la première fois par le critique Roger Cardinal en 1972, le terme d’art outsider est originellement adopté comme traduction de l’Art Brut, créé par Jean DUBUFFET (1901-1985) dans les années 1940. Le terme s’est ensuite élargi pour englober ces artistes qui créent en dehors des frontières du monde de l’art, de tout réseau et de tout cadre. Si la plupart de ces créateurs sont autodidactes, certains proviennent d’un contexte difficile, ont expérimenté l’extrême pauvreté ou sont atteints de maladie mentale. Les œuvres d’Outsider art sont sincères et intimes, parfois empruntes de spiritualité, mêlant souvent médias traditionnels et objets de récupération. Leur pouvoir d’attraction provient de leurs liberté plastiques comme de l’histoire de leurs créateurs car, au-delà des œuvres, c’est bien souvent le parcours des artistes qui séduit et touche collectionneurs et galeristes.

Dubuffet DDC Jean Dubuffet ©thierry Ehrmann – Courtesy du Musée de L’Organe / La Demeure du Chaos

Outsider Art Fair, 28e

L’Outsider Art Fair tient au Metropolitan Pavilion à New York sa 27e édition à partir du 17 janvier, une belle longévité pour cet évènement créé en 1993, pionnier dans la reconnaissance des artistes autodidactes. En 2013, après un changement de propriétaire, l’Outsider Art Fair multipliait par trois la fréquentation de son édition new-yorkaise et lançait dans la foulée une version parisienne en pleine FIAC. L’évolution de 2020 tient à la densité du salon, où les exposants sont plus nombreux que jamais, avec 67 galeries, dont 8 nouvelles venues, en provenance de 37 villes et de 7 pays différents.

Becca Hoffmann, directrice de la foire, entend maintenir des relations de plus en plus étroites entre les professionnels du marché et les institutions qui encadrent les artistes, bien souvent des associations à but non lucratifs, comme le centre d’art Creativity Explored de San Francisco ou Project Onward, une organisation basée à Chicago. Chez Julie Saul (New York) Morton BARTLETT (1909-1992) et Miroslav TICHY (1926-2011), deux photographes de légende, seront exposés aux côté de Nikolay BAKHAREV (1946), un photographe autodidacte sibérien ; la galerie James Barron Art (UK) présentera les œuvres d’Elisabetta Zangrandi. Le but est également de partir à la conquête d’un public peu familier des créations uniques des représentants de l’Art Outsider. Et cela semble fonctionner à merveille : plus accessible que l’art contemporain, l’art brut séduit !

L’Art Brut partage avec le Street Art ce grand paradoxe : jamais il n’aurait dû se retrouver sur les cimaises d’un musée, encore moins sur l’estrade d’une salle de ventes. Les sociétés d’enchères ont pourtant misé sur ces créations singulières, organisant des sessions spécialisées qui rencontrent de plus en plus de succès. Collectionner des artistes autodidactes est devenu, pour certains, la porte d’entrée d’une collection avec des œuvres acessibles pour quelques centaines de dollars. Pour d’autres, c’est un exercice de haute voltige, car les cotes de certains flirtent désormais avec celles des artistes contemporains les plus en vue.

outsider art fair NYC 2020

Les enchères montent ce 17 janvier !

Chaque année, Christie’s profite de la foire new-yorkaise pour monter une vente Outsider Art. Ce 17 janvier, la majorité des estimations tournent autour de 10 000$. Mais la vente sera bien sûr emmenée par les grands noms de l’outsider art. A commencer par le lot 36 : Henry J. DARGER (1892-1973), et son incroyable recto verso Untitled (188 at Jennie Richie Everything is all right with abatement of storm / 189 at Jennie Richie Heading for manley camp) de près de 3 mètres de long, estimé entre 400 000 et 600 000$. Cette pièce exceptionnelle illustre l’oeuvre fleuve de Darger, The Story of the Vivian Girls, composée durant une vie entière de solitude, et retrouvée à sa mort dans son appartement de Chicago.

Pas moins de huit pièces de Bill TRAYLOR (c.1853-1949) sont également proposées ce 17 janvier, dont le superbe Man on White, Woman on Red / Man with Black Dog, à la brillante provenance : Steven Spielberg en fit don en 1985 à Alice Walker, auteur du roman La couleur pourpre, à l’issue du tournage du film éponyme qu’il venait de tourner. Né esclave en Alabama, Bill Traylor commence à peindre à la fin des années 1930, alors qu’il vit dans la rue à plus de 80 ans. Il est probable que cette œuvre sur papier estimée entre 200 000 et 400 000$ excède son record actuel, emporté à la même période l’an dernier à hauteur de 396 500 $ avec Woman Pointing at Man with Cane, de même époque et d’un format légèrement plus petit.

Les œuvres de William EDMONDSON (1874-1951), Augustin LESAGE (1876-1954) ou encore Martin RAMIREZ (1895-1963) sont aussi très attendues, mais cette même vente propose un certain nombre de lots estimés moins de 1 000$, comme Television Ministry, 1987 de Leroy ALMON (1938-1997) ou Untitled (Birds in Trees) de Rosie Lee LIGHT (1934-2004).

Pour le meilleur (la reconnaissance et l’amélioration financière des conditions de vie des artistes) ou pour le pire (la spéculation autour de leur production), l’avenir de l’Art outsider est désormais intimement lié à celui du Marché de l’Art.