Impressionnistes et modernes à Londres : le juste équilibre ?

[15/02/2011]

 

Les résultats des ventes impressionnistes et modernes de février à Londres se sont avérés honorables par rapport aux même cessions de 2010, moins spectaculaires cependant.
Ces premières vacations de prestige de l’année 2011 ont généré 134,3 m£ les 8 et 9 février, en incluant la vente Surréaliste de Christie’s. Certes, le résultat affiche 41,3 m£ de moins qu’en 2010 car il ne bénéficie pas de l’effet Giacometti – l’an dernier, Alberto GIACOMETTI battait le record mondial d’enchère avec son Homme qui marche I adjugé 58 M£ (3 février 2010, Sotheby’s) – il se situe cependant 50.6 m£ au-dessus des résultats des ventes impressionnistes et modernes de 2009.

Le clou de ces ventes de février 2011, jalonnées de 36 adjudications millionnaires, est La lecture de Pablo PICASSO cédée à 22,5 m£ contre une estimation de 12-18 m£ (Sotheby’s). Ce fut l’œuvre la plus médiatisée de ces deux jours car cette huile de petite dimension (65,5×51 cm) représente tendrement un sujet phare de Picasso, sa jeune maîtresse Marie-Thérèse Walter. Ce même 8 février chez Sotheby’s, quatre œuvres importantes étaient ravalées : La lecture, deux femmes aux corsages rouge et rose de Pierre-Auguste RENOIR, une toile de 1918 estimée entre 2 et 3 m£, deux œuvres d’Alberto Giacometti, le bronze Grand buste de Diego avec bras (est. 3.5-5 m£) et la toile Diego (est. 3-5 m£) et une toile de Marc CHAGALL, Les maries et le bouquet de fleurs rouges 1.3-1.8 m£, œuvre frappée l’équivalent de 581 000£ en 1997 chez Christie’s (950 000$, 14/05/1997).

Eluard, le plus cher des Dali
Le lendemain, Christie’s commençait la journée avec The Art of The Surreal, générant 20,2 m£, six enchères millionnaires et un nouveau record pour Salvador DALI avec l’Etude pour ‘Le miel est plus doux que le sang’, cédée 3,6 m£. Cette petite toile peinte entre 1926 et 1927 (37.7 x 46.1 cm) est une œuvre charnière, mettant en scène les éléments clefs du vocabulaire paranoia-critique du maître.L’œuvre déclassait un record signé en mai 2010 pour Spectre du soir sur la plage, œuvre de 1935 vendue 5 millions de dollars au marteau de Sotheby’s, qui prit sa revanche le lendemain. En effet, un record en appelant un autre, Sotheby’s fit grimper les enchères du Portrait de Paul Eluard (1929, 33×25 cm) à 12 m£ contre une estimation de 3.5-5 m£ ! L’œuvre provenait d’une prestigieuse collection genevoise, celle de George Kostalitz, décédé en 2010 (vacation Looking Closely: A Private Collection).

Autre réussite de sa vente surréaliste, Christie’s vendait L’aimant de René MAGRITTE, dans son estimation à 4,2 m£. L’aimant est emblématique des recherches de Magritte en 1941, année où il décline ce motif féminin dans plusieurs œuvres, notamment l’une des plus célèbres, La magie noire (toile deux fois plus petite que L’aimant, 73,3×54,3 cm, vendue 720 000 £ par Christie’s le 24 juin 2003).

La vente du soir de Christie’s donnait un autre record, celui de Pierre BONNARD dont la Terrasse à Vernon s’envolait à 6,4 m£, doublant sa fourchette d’estimation. Bonnard la considérait comme l’une de ses toiles les plus abouties de cette période. Il l’avait d’ailleurs sélectionnée pour le Salon d’automne de 1923. Comme pour Dali, Pierre Bonnard bat un précédent record signé en 2010, pour une scène d’intérieur cédée 5,5 m£ par la maison concurrente (Le petit déjeuner, radiateur, 22/06/2010). Autre réussite de la soirée : le superbe Bateaux à Collioure fauve d’André DERAIN (1905), annoncé en couverture du catalogue, a décroché 5.2 m£, une belle plus-value par rapport à 1995, où l’œuvre changeait de mains pour l’équivalent de 733 000 £ (Kohn, Paris, 03/04/1995). Après Derain, les plus beaux résultats ont récompensé Edgar DEGAS (Danseuses jupes jaunes, 4,8 m£), Pablo Picasso (Sur l’impériale traversant la Seine, 4,3 m£) et Georges BRAQUE (Nature morte à la guitare, 3,5 m£). Onze œuvres sont restées sur le carreau ce soir là (et six pour la cession d’art surréaliste) dont une œuvre très attendue de Paul GAUGUIN, Nature morte à L’Espérance (1901) annoncée entre 7 et 10 m£ et ravalée en 1996 contre une estimation de 7-10 m$.

La vente Looking Closely: A Private Collection du 10 février fut, pour Sotheby’s, plus rentable encore que la vente d’art impressionniste et moderne du soir.
Miro, Giacometti, Chagall, Arp, Modigliani ou Gonzales, Fautrier et Lucian Freud comptaient trophées de cette superbe collection. La plus belle pièce, un triptyque représentant Lucian FREUD par son ami Francis BACONThree Studies for Portrait of Lucian Freud (1964) – fut le clou de la soirée avec un résultat de 20.5 m£. Le marchand Alex Lachmann l’a poussé jusqu’à son adjudication finale, contre sur une estimation initiale de 7-9 m£.
Le triptyque prend la quatrième place sur le podium des enchères de Bacon, dont le record actuel culmine à 77 m$ (39.4 m£) pour un Triptych vendu en mai 2008 par Sotheby’s à un collectionneur privé européen. Ce record devenait alors celui à battre pour une œuvre d’art contemporain aux enchères.

Les acheteurs attendent des estimations justes et les élans spéculatifs sont aussi rares que les œuvres sont exceptionnelles. L’offre fait loi et, si elle atteint un haut niveau d’exigence, elle attise sans peine la voracité des marchands comme des collectionneurs privés.
Les opinions des acteurs du marché sur les niveaux de prix en salles de ventes sont très partagées : la moitié des votants de l’AMCI (Art Market Confidence Index) pensent que les prix peuvent encore grimper dans les trois mois à venir. Sur la place de marché londonienne, ils ont déjà augmenté de 12% sur l’année 2010.