Henri Matisse

[27/05/2014]

 

Matisse a traversé, entre autres, l’impressionnisme, le fauvisme et le cubisme, avec un leitmotiv qui assoit la pureté et la puissance d’une des oeuvres les plus importantes du XXème siècle : « regarder la vie avec des yeux d’enfants ».

Il est des convalescences essentielles aux vocations. Ce fut le cas pour Frida KAHLO comme pour Henri MATISSE. Né le 31 décembre 1869, Matisse commence à dessiner tardivement, à l’âge de 20 ans, lorsque sa mère lui offre une boite de couleurs pour le distraire d’une convalescence qui le cloue au lit. C’est une révélation. Il sera artiste. Le jeune homme part étudier l’art à Paris, découvre les sensations lumineuses et colorées de l’impressionnisme, puis les touches plus fragmentées et la rigueur du néo-impressionnisme dont il s’imprègne. Il s’en imprègne notamment au contact de Paul Signac, maître des recompositions pointillistes et de la perception des couleurs, auprès de qui il passe l’été 1904. Un an plus tard, les couleurs sont exaltées dans un esprit de révolte qui se traduit sous le nom de « Fauvisme ». Le critique d’art Louis Vauxcelles invente ce terme – comme il inventera celui de « Cubisme » – contrarié par la nature sauvage des aplats de couleurs vives découverts au Salon d’automne de 1905. Les artistes fauves désignent Derain, Vlaminck ou Matisse, déjà attaché à l’énergie exprimée par la libération de la couleur. La recherche d’un équilibre entre formes et couleurs marque tout son oeuvre, jusqu’aux aplats de couleur découpés à la fin de sa vie.

La force de ses premières peintures, devant lesquelles les visiteurs du Salon d’Automne pouffent de rire, impose immédiatement Matisse comme chef-de file de l’avant garde, auprès des connaisseurs capables de reconnaître le talent et la liberté d’un profond renouvellement pictural. Parmi ces regards sûrs se trouvent ceux de Gertrude Stein – écrivain engagée qui flaira aussi le talent de Pablo Picasso – et Chtchoukine, collectionneur russe de premier plan qui n’hésite pas à passer commande à Matisse. Le succès déjà présent ne sera plus jamais démenti. Cette notoriété déborde des frontières françaises et gagne bientôt les Etats-Unis, notamment grâce à la commande du milliardaire américain Albert Barnes d’une fresque murale pour sa fondation (la Fondation Barnes) : il s’agit de La Danse, achevée en 1933 et devenue une œuvre emblématique du XXème siècle. Le marché américain, coeur du marché mondial, est aujourd’hui toujours en quête de Matisse. Il se vend d’ailleurs plus d’oeuvres à New York que nul part ailleurs (38 % des transactions aux Etats-Unis, contre 18 % au Royaume-Uni, 17 % en France et 12 % en Allemagne). La Grosse Pomme enregistre la plupart des records d’enchères : 16 des 19 adjudications millionnaires sont new-yorkaises, contre deux londoniennes et une parisienne.

Panorama des records
Matisse signe son premier résultat à huit chiffres en 1989, au pic d’une bulle spéculative suivie par un marasme de plusieurs années sur le marché des enchères. Le temps que le marché s’assainisse et reparte, aucun résultat de cet ordre n’est enregistré entre 1995 et 2000 et il faut attendre l’année 2007 pour qu’un nouveau cap soit passé : cette année là, L’Odalisque, harmonie bleue présentée chez Christie’s fait valser les enchères jusqu’à 30 m$ (20,7 m€), soit dix millions au-delà de son estimation optimiste. Deux ans plus tard, Matisse signe un record absolu, non pas à New York mais à Paris, dans le cadre d’une vente historique, celle de la vacation Pierre Bergé/Yves Saint Laurent. Organisée par Christie’s au Grand Palais de Paris le 23 février 2009, au moment où Wall Street enregistrait son niveau le plus bas depuis 12 ans (S&P 500 à 743,33 points), cette vente prestigieuse dégageait pas moins du quart des recettes Fine art françaises en 2009 (soit 265 m$ des 665 m$ enregistrés en 2009). La qualité des oeuvres a permis de générer des résultats exceptionnels, notamment quatre des dix plus belles enchères de l’année 2009 et des records mondiaux pour Matisse, Brancusi, Mondrian, De Chirico, Duchamp, Klee, Ensor, Géricault : le record matissien s’établit alors à 32 m€ avec Les Coucous, tapis bleu et rose, une huile sur toile de 1911 qui devint la meilleure adjudication 2009 du monde.

Collectionneur de statuaires africaine, Matisse s’applique aussi à styliser les formes dans des sculptures, dont les prix peuvent être aussi élevés qu’en peinture. En 2000, il battait même son ami Picasso aux enchères grâce à un bronze cédé l’équivalent de 14 m$ frais inclus (adjudication de 12,75 m$ pour La serpentine – La femme à la Stèle – L’araignée, Sotheby’s NY en mai 2000). Il culmine depuis à 31,1 m€ en trois dimensions (avec la sculpture Nu de dos, 4 état (Back IV) vendue 43,5 m$ chez Christie’s en 2010). Pour autant, tout l’oeuvre n’est pas inabordable et la moitié des lots offerts trouvent preneurs pour moins de 6 000 €. A ce prix là bien sûr, l’amateur trouve essentiellement des estampes mais aussi quelques dessins originaux comme ce Nu au crayon adjugé l’équivalent de 4 800 € chez Christie’s Londres le 5 février dernier. L’oeuvre sur papier ne doit pas être négligée. Des études essentielles pour La Danse (de Chtchoukine) peuvent apparaître en salles et plusieurs aquatintes sur le sujet ont passé le seuil des 100 000 € tant sa célébrité est grande. Par ailleurs, l’oeuvre sur papier offre une dimension supplémentaire, rarement si bien exploitée dans l’art moderne, avec les papiers collés.

Dans les petits papiers de l’artiste
Le découpage remplace la peinture lorsque Matisse vieillissant est contraint à sa chaise roulante, après l’ablation réussie d’une tumeur cancéreuse. Il a 72 ans lorsqu’il investit ses nouvelles formes-signes par un découpage à vif dans la couleur (il découpe directement au ciseaux des papiers colorés à la gouache), sans dessin préalable. Ce travail à la lisière de la sculpture et de la peinture, de la figuration et de l’abstraction, est un langage pur qui allie fraîcheur, rigueur et énergie pour atteindre l’essentiel de la forme. Loin d’être une technique de secours, les découpages portaient Matisse ” à une très haute passion de peindre, car – dit-il – en me renouvelant entièrement, je crois avoir trouvé là un des points principaux d’aspiration et de fixation plastiques de notre époque. Jamais, je crois, je n’ai eu autant d’équilibre qu’en réalisant ces papiers découpés.” (propos publiés dans XXème siècle en 1970). Ce type d’oeuvres est plus rare que les dessins, si bien que de petits formats peuvent prétendre au million, à l’instar d’une Algue rouge sur fond bleu ciel de 1952 mesurant 45 x 42 cm, cédée 580 000 £ en 2010 (924 000 $ et 1,1 m$ frais inclus, 2 février, Christie’s Londres). La Tate Modern de Londres offre actuellement un focus sur ces papiers découpés depuis le 17 avril et jusqu’au 7 septembre 2014. Cette exposition d’envergure, qui rassemble 120 oeuvres rapportées du monde entier, partira ensuite pour New York au mois d’octobre.