Gustave Courbet – Entre réalisme et scandale

[05/11/2007]

 

Né à Ornans en 1819, Courbet a absorbé les courants picturaux de son époque avant de s’émanciper de l’académisme et du romantisme de la première heure. Ses premières œuvres sont empruntes de sentimalisme puis imposent une vision réaliste, parfois austère, aux abords de 1848. Dès lors, le regard de l’artiste gagne en franchise, ne cède plus à l’idéalisation et privilégie la nature au sens large.

Gustave COURBET est une valeur sure et sa cote pourrait être galvanisée par l’exposition monographique qui lui est dédiée, ouverte dans les galeries nationales du Grand Palais de Paris jusqu’au 28 janvier 2008, avant d’être présentée au Metropolitan Museum of Art du 27 février 2008 au 18 mai 2008. Malgré tout, les acheteurs demeurent exigeants : prêts à faire flamber les prix pour une œuvre aboutie, ils opèrent cependant un tri sévère. Entre 15 et 30 toiles sont proposées annuellement aux enchères, des paysages pour l’essentiel, dont les plus austères trouvent difficilement preneur (près de 30% d’œuvres sont restées invendues en 2006). Les dessins sont plus rares : une dizaine seulement furent proposés depuis 1997.

Dernière surprise en date : Le veau blanc de 1873, une toile restée en main privée pendant 25 ans qui fut proposée le 23 octobre dernier chez Sotheby’s NY et a explosé sa fourchette d’estimation de 320 000 – 380 000 dollars pour s’envoler à 2,2 millions de dollars (1,543 millions de dollars)… Voilà près de 10 ans qu’un paysage animalier de l’artiste n’avait culminé à plus d’un million de dollars ! En 1998, Le Coup de Vent, un paysage magistral de plus de deux mètres, doubla son estimation pour une enchère gagnante de 2,05 millions de dollars (plus de 1,85 millions d’euros).
Lors de la dispersion new-yorkaise du 23 octobre, Sotheby’s présentait trois autres toiles de qualité hétérogène dont une clairière très austère qui resta invendue pour une fourchette d’estimation de 100 000 – 150 000 dollars.

Le lendemain chez Christie’s, c’est un Paysage de mer aux tonalités terreuses qui fut boudé (est. 150 000 – 250 000 dollars). Les estimations étaient trop optimistes… les amateurs du genre pouvant acquérir des paysages dans cette veine pour moins de 50 000 dollars en dehors du faste des vacations new-yorkaises. En juin dernier, par exemple, l’antenne parisienne de Sotheby’s adjugeait Adieu au Jura pour 22 000 euros … une œuvre qui fut mieux vendue à Londres 10 ans plus tôt (26 000 livres sterling, soit 37 677 euros).

Plus rares que les paysages, les portraits, et notamment ceux des femmes, souffrent de la même amplitude de prix : en 2006 par exemple, la très sage Femme au missel proposée par la maison de vente genevoise Rosset décrocha seulement 20 000 francs suisses, soit 12 680 euros, tandis qu’en juin denier, la sensualité de la Femme nue proposée décrocha 1,450 million de livres sterling (plus de 2,1 millions d’euros)… L’œuvre fait partie de la série controversée des nus réalisés entre 1865 et 1966.Les amateurs n’auront pas souvent l’occasion d’enchérir sur des autoportraits, faisant la fierté de quelques grands musées ou encore en mains privées comme le fameux Autoportrait en «désespéré» (vers 1843) tête d’expression stéréotypée dans la veine romantique. Les dernières têtes vendues, dans la veine réaliste cette fois, furent dispersées en 2003 : un portrait de Madame Frond adjugé 70 000 dollars ( environ 63 800 euros) et un autre portrait, plus grand, d’Urbain Cuenot parti pour 200 000 dollars (182 000 euros, Sotheby’s NY).

Le chantre du réalisme fit scandale à de nombreuses reprises, par ses engagements politiques d’une part mais aussi par le choix de certains sujets. Il est l’auteur de l’une des œuvres les plus sulfureuses de l’histoire de la peinture L’Origine du monde (1866). Ce corps de femme tronqué, d’un érotisme brutal, fut la propriété du psychanalyste Jacques Lacan de 1955 à 1981.

À l’époque de la réalisation du tableau, le modèle préféré de Courbet fut une jeune femme, Joanna Hiffernan, dite Jo. Lorsqu’un portrait de la jeune femme apparu en vente publique en 1998 sous le titre Portrait de Jo, la belle Irlandaise, elle emporta tous les suffrages et devint son œuvre la plus chèrement acquise : 2,7 millions de dollars, soit plus de 2,4 millions d’euros (Sotheby’s NY). Trois ans plus tard, son nouveau propriétaire choisit de s’en séparer et perdit 1 million de dollars dans cet aller-retour… l’effet de surprise passé, la toile ne réveilla pas les premiers engouements et partie pour 1,7 million de dollars chez le même auctioneer.Le réalisme de Courbet est affaire d’amateurs avertis : les œuvres sont hétérogènes et les velléités spéculatives dangereuses sur ce terrain.