Germaine Richier : la grande rétrospective

[28/03/2023]

Elle fut la première sculptrice exposée au Musée national d’art moderne de Paris en 1956. Près de 70 années plus tard, le Centre Pompidou lui consacre (enfin) une rétrospective immanquable, en réunissant 200 œuvres.

 

Née en 1904 en Provence, Germaine RICHIER n’est pas prédestinée à devenir artiste. L’enfant découvre d’abord la nature qu’il l’environne, joue avec les insectes de sa garrigue provençale puis, à 12 ans, c’est un choc esthétique et émotionnel face aux statues romanes du cloître Saint-Trophime à Arles. Cette rencontre avec la statuaire sacrée qui lui vaut sa vocation de sculptrice. Elle commence par étudier la sculpture dans l’atelier de Louis Jacques Guigues, un ancien praticien de Rodin, à l’École des Beaux-Arts de Montpellier en 1920, puis elle rejoint Paris où son rêve commence à prendre forme lorsqu’elle trouve son mentor en la personne d’Antoine Bourdelle, qui accepte de la prendre dans son atelier (1926-1929). Après ses années de formation, Germaine Richier ouvre son propre atelier dans le quartier Montparnasse en 1930. Ses premières œuvres lui valent une rapide notoriété et lui attirent des élèves. En 1939, année de déclaration de la guerre, elle s’installe en Suisse. C’est dans ces années-là qu’elle s’éloigne de la tradition illusionniste et que sa production devient plus singulière. Après avoir exposé à Bâle, à Berne puis à Zurich, l’artiste revient dans son atelier parisien en 1946. Elle reprend alors son travail de professeure et poursuit la réalisation de ses figures hybrides.

Aujourd’hui, la cote de Germaine Richier est plus forte que celle de celui qui fut son professeur. Émile Antoine BOURDELLE (1861-1929), qui fut considéré comme le plus grand artiste français vivant de son temps après la mort de Rodin, culmine à 1,4m$ aux enchères (Héraclès archer, 1909), lorsque la plus belle vente aux enchères de Richier affiche plus du double de ce prix : 3,6m$ pour La tauromachie (1953). Les indices de prix comparés de Germaine Richier et de son professeur Antoine Bourdelle aux enchères montrent une dynamique des prix bien plus intéressante pour Germaine Richier.

  

Indices des prix comparés aux enchères de Germaine Richier et Antoine Bourdelle (bleu clair) (Copyright Artprice.com)

 

Une oeuvre généreuse et singulière 

Richier travaille d’après modèles vivants. Les portraits et les nus lui valent ses premières reconnaissances, lui assurent ses premiers succès. Au tournant de la guerre, elle forge de nouvelles images de la figure humaine, hybridée aux formes animales et végétales. La sculpture se nourrit de sa fascination pour le vivant, la racine de l’arbre, les membres d’insectes. Elle fusionne les règnes, invente des créatures dotées de longs membres, crée un monde étrange, travaillant la masse de la sculpture de l’intérieur. L’artiste déchiquette, creuse, déchire la forme de ses créatures, confère à la matière une forme organique, apporte des variations et des aspects vivants et changeants. L’artiste, qui aime la vie et qui aime ce qui bouge, recherche l’expressivité des surfaces, veut donner l’impression que ses sculptures vont bouger.

 

« J’aime la vie, j’aime ce qui bouge, je ne cherche pas à reproduire un mouvement. Je cherche plutôt à y faire penser. Mes statues doivent donner à la fois l’impression qu’elles sont immobiles et qu’elles vont remuer ». Germaine Richier

 

En 1945, les formes naturelles engagent une nouvelle grammaire lorsqu’elle incorpore à ses sculptures des branches d’arbres ou des feuilles. Elle rattache – concrètement et symboliquement – l’humain aux forces de la nature à travers un imaginaire pétri de mythes archaïques, nourri des légendes des origines. C’est qu’il y a une part magique fondamentale, inédite, dans la sculpture de Richier.

Fascinée par les matériaux, les formes, la qualité des surfaces, les objets collectés, elle expérimente, travaille la terre, le plâtre, le bronze, puis le plomb dès 1952, dans lequel elle insère des morceaux de verres colorés, pour animer toujours plus ses sculptures et apporter de la gaieté à ses créations. Cette propension à l’expérimentation et ses libertés prises face à toute conception classique de la sculpture lui valent l’admiration des grands artistes de son temps, dont Pablo Picasso et Max Ernst. Aujourd’hui encore, certains commentateurs la définisse par son “pendant” masculin en la surnommant “la Giacometti féminine”, une façon de souligner l’originalité de son oeuvre en la comparant au sculpteur le plus célèbre de l’histoire et le plus coté du Marché de l’Art, le seul dont trois oeuvres ont dépassé les 100 millions de dollars aux enchères.

 

Position de Germaine Richier dans le classement mondial selon son produit de ventes annuel aux enchères (Copyright Artprice.com)

 

Reconnaissance et prix des oeuvres

L’accès à la reconnaissance a toujours été un parcours plus ardu pour les artistes femmes que pour les hommes, d’autant plus s’agissant de sculptrices que de peintres mais Germaine Richier semble faire figure d’exception, malgré une carrière artistique courte (entre 1933 et 1957). Admirée par les grands artistes de son époque, elle a bénéficié de son vivant de nombreuses expositions (surtout institutionnelles) qui avaient une résonance similaire à celle des autres sculpteurs masculins de son époque.

En 1936, sa première exposition personnelle, à la galerie parisienne de Max Kaganovitch, est très remarquée par les artistes et les écrivains de son temps. L’année suivante, elle reçoit la médaille d’honneur pour Méditerranée à l’Exposition universelle de Paris, puis elle participe à l’Exposition internationale de New York en 1939. En 1948, la galerie Maeght lui organise une grande exposition à Paris et lui consacre un numéro de la revue Derrière le miroir.

Dans les années 1950, son œuvre est largement montrée à l’étranger : L’Orage (1947-1948) est présenté à la Biennale de Venise en 1950, puis elle obtient le premier prix de Sculpture à la Ire Biennale de São Paulo en 1951. Elle participe encore à la Biennale de Venise en 1952, et à celle de São Paulo en 1953. Déjà, l’œuvre singulière de Richier à gagner une belle reconnaissance sur la scène internationale.

Sa première rétrospective au Musée national d’art moderne de Paris arrive en 1956. C’est la première sculptrice à y être exposée. Le MoMA montre son travail à plusieurs reprises dans les années 50 : en 1955 dans le cadre de l’exposition The New Decade: 22 European Painters and Sculptors puis en 1959, peu après sa disparition dans l’exposition New Images of Man, où ses sculptures côtoient celles de Giacometti, ainsi que les toiles de  Dubuffet, Pollock ou Bacon. Le MoMA a intégré des œuvres de Richier à une dizaine d’expositions.

A l’heure où les acteurs du marché de l’art et des institutions culturelles cherchent à combler les écarts entre artistes homme et femmes, Germaine Richier bénéficie d’un coup de projecteur bien mérité, qui passe par une multiplication des publications et des expositions depuis une dizaine d’années. Toutes ses œuvres valorisées à plus d’un million de dollars (on en compte 10 aux enchères) ont d’ailleurs été vendues au cours de la dernière décennie : les niveaux de prix sont donc beaucoup moins timorés. Ce que l’on constate par ailleurs, c’est que la demande est plus soutenue depuis trois ou quatre ans : les taux d’invendus se trouvent être particulièrement bas, tant pour ses œuvres sculptées que pour ses estampes. Le taux de vente le plus élevé fut d’ailleurs enregistré l’année dernière avec un remarquable 97,6% de lots vendus aux enchères. Ce renouveau dans la demande doit bien sûr être relié à la programmation de la rétrospective consacrée à l’artiste au Centre Pompidou, le prestige d’une telle exposition ayant, toujours, un effet levier sur le marché.

 

Evolution du taux d’invendus de Germaine Richier aux enchères : au plus bas en 2022 (Copyright Artprice.com)

 

Rétrospective Germaine Richier : 

l’exposition commencée début mars se prolonge jusqu’au 12 juin au centre Pompidou, Paris. Elle prendra ensuite le chemin de Montpellier, au Musée Fabre du 12 juillet au 5 novembre 2023.