Georges Mathieu – L’esthétique de la vitesse

[17/07/2012]

 

Inventeur d’extraordinaires formes géométriques inspirées par la calligraphie et les arts orientaux, Georges Mathieu, qui nous quittait en juin 2012 à 91 ans, est sans conteste l’un des plus grands maîtres de la seconde moitié du 20ème siècle. Si la force de son art rivalise dès les années 50 avec l’expressionnisme abstrait américain, sa cote reste comparativement sous- évaluée.

Georges MATHIEU est né dans une famille de banquiers à Boulogne-sur-Mer en 1921. Après des études de droit et de philosophie, il s’oriente vers les arts plastiques en 1942. Dès ses premières expérimentations, il élimine très vite toute idée de représentation. Anglophile, Mathieu travaille pour la compagnie United States Lines et voyage dès la fin de la 2nde Guerre Mondiale aux États-Unis où il découvre l’expressionnisme abstrait de Mark ROTHKO et Jackson POLLOCK, signatures alors anonymes. Totalement emballé par l’expressivité et la force de leurs travaux, il cherche à les faire exposer à Paris et joue alors un rôle majeur dans cette période charnière de l’histoire de l’abstraction et du hapenning. Son œuvre plastique, considérée comme fondatrice de l’abstraction lyrique, a été déterminante dans une France d’après-guerre en reconstruction et dans un contexte artistique occupé par l’abstraction géométrique.

L’instinct révolutionnaire
Georges Mathieu a toujours eu un sens aiguë de la mise en scène. C’est d’ailleurs en public et bien avant Yves KLEIN (premières expériences de pinceaux vivants entre 1960 et 1962) qu’il exécute de nombreuses œuvres telle que sa fameuse Bataille de Bouvines (1954). Il systématise rapidement cette pratique, et sa manière de peindre devient une chorégraphie instinctive faisant la part belle à la vitesse et à l’improvisation pour révéler ses émotions les plus profondes.
Au fil des années, il enchaîne de plus en plus rapidement les signes sur la toile. Sa vitesse d’exécution, d’abord mal accueillie par la critique, devient célèbre en 1956, lorsqu’il réalise sur la scène du théâtre Sarah Bernard à Paris sa plus grande toile (12 mètres sur 4) en seulement 20 minutes. Au-delà de sa théâtralité, Georges Mathieu prône la liberté du geste et de la création.

Ses toiles offrent des formes proches de la calligraphie. Sa technique connaît plusieurs périodes mais la plus prisée est celle des années 50, époque où il met en place les fondements de son expression. Les œuvres de cette décennie coïncident avec ses plus belles adjudications, dont un record d’enchère, pour une toile de 1958 intitulée L’abduction d’Henri IV par l’archevêque Anno de Cologne et vendue près de 1.6 m $ chez Sotheby’s Paris le 26 mai 2008. Évoquant le début du règne d’Henri IV, le titre de cette œuvre est un type de titre récurent chez l’artiste. Grand érudit, Georges Mathieu est passionné d’Histoire de France et donne souvent à ses toiles des noms évocateurs, en hommage à des évènements historiques.
Au début des années 60, il étend son style à tous les aspects de la vie moderne et se fait designer, exécutant des meubles ou illustrant des campagnes publicitaires pour Air France (1963). Il connait sa consécration officielle grâce à sa grande rétrospective au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1963 puis à la publication de son ouvrage Au-délà du tachisme.

Un statut trop discret
Artiste français star des années 50 et 60, Georges Mathieu expose dans le monde entier, réalise plus de 170 manifestations personnelles et entre dans les collections de plus de 80 musées dans le monde. Pour autant, sa cote n’a pas connu l’explosion des expressionnistes abstraits tel que Mark Rothko ou Jackson Pollock, qui s’échangent à des dizaines de millions de dollars. Georges Mathieu n’a qu’une enchère millionnaire à son actif, mais il est plus présent sur le marché des enchères avec 1014 peintures passées en vente entre 1989 et 2012 contre 49 pour Pollock ou encore 175 pour Rothko. Ses œuvres sont aussi plus abordables que celles de son compatriote Pierre SOULAGES : tandis que Soulages compte 21 adjudications au dessus de 700 000 $ (dont 10 millionnaires), Mathieu n’en comptabilise qu’une seule. Son marché confidentiel (59% de ses transactions réalisées en France ) et sous-évalué offre de nombreuses possibilités d’achat : des toiles majeures entre 150 000 et 200 000 $, des petits formats (moins d’un mètre) pour moins de 15 000 $ ou des dessins pour moins de 4 000 $.