Georg Baselitz – la destruction, condition de la création

[29/07/2014]

 

Né en Saxe en 1938, à la veille de la deuxième Guerre Mondiale, Georg Baselitz est l’un des plus grand artiste contemporain allemand. Le village de Saxe où il nait, Deutschbaselitz, inspire à Hans Georg Kern son pseudonyme. D’abord peintre et graveur avant d’imposer ses sculptures radicales, il appartient à une génération d’artistes comme Markus Lüpertz, Jörg Immendorf ou Anselm Kiefer, qui ont rejeté les normes esthétiques des avant-gardes des années 60.

L’oeuvre picturale de Georg BASELITZ s’impose en effet avec force et fracas au milieu des années 60 sur la scène culturelle allemande, après un parcours estudiantin chaotique, qui commence par une inscription rejetée à l’académie des Beaux-arts de Dresde en 1955, et se poursuit par son renvoi de l’École supérieure des arts plastiques de Berlin-Est, pour « manque de maturité sociopolitique ». Il poursuit sa formation à Berlin-Ouest, étudie les théories de Wassily Kandinsky, de Kasimir Malevitch, les grands contemporains américains Jackson Pollock et Philip Guston, puis voyage (Amsterdam, Cassel, Paris). En 1961, année de la construction du mur de Berlin, il adopte son pseudonyme et rédige son premier manifeste de Pandemonium, fortement influencé par Antonin Artaud, obsédé par la décadence. Ses premières oeuvres sont aussi des manifestes ; produite dans une tradition expressionniste à forte charge émotionnelle. Les oeuvres convoquent l’art des malades mentaux, de Dubuffet, Fautrier, Munch, Nolde ou Steinberg bref, témoignent d’affinités avec les non-conformistes.

Sa première exposition personnelle à Berlin se tient à la galerie Werner & Katz en 1963. Les oeuvres font scandales et deux d’entre elles (Die Großer Nacht im Eimer (Grande Nuit foutue) qui représente un garçon se masturbant, et Nackter Mann (L’Homme nu), sont interdites et confisquées pour outrage à la pudeur. Baselitz emporte alors largement son pari :défier les autorités et le public avec une peinture neuve et provocante. Les toiles lui sont restituées deux ans plus tard. Elles sont aujourd’hui considérées comme parmi les plus importantes de la peinture d’après-guerre. L’une d’entre elles, représentant un personnage se masturbant, est une fierté du musée Ludwig de Cologne. Les oeuvres de cette période charnière sont aujourd’hui les plus recherchées par les collectionneurs. En 2011, Sotheby’s met en ventes la petite soeur de Die Großer Nacht im Eimer, issue de la collection Christian Duerckheim-Ketelho. Sous le titre Grosse Nacht, l’oeuvre, annoncée d’emblée à plus de trois millions de dollars par l’estimation, représente le même sujet onaniste que celui qui fut confisqué par les autorité en 1963 et que Baselitz considère comme sa « première tentative de peinture ». Cette mise à l’encan constituait un événement en soi et la toile fut finalement cédée pour 3,3 m$ au marteau (plus de 3,8 m$ frais inclus). Grosse Nacht n’étant pas la seule perle rare de cette vente, Sotheby’s adjugeait plus chère encore Spekulatius, signant un record mondial à 3,1 millions d’euros (soit 3,6 millions d’euros frais inclus, Sotheby’s, le 29 juin 2011). Ce jour là, Sotheby’s vendait neuf toiles de l’artiste, toutes cédées au-delà du million nourrissant un produit de ventes de 19,7 millions, soit trois fois plus généreux que la performance habituelle pour ce type de vacation.

A la fin des années 60, l’artiste bascule la figure humaine, la représente tête à l’envers. Ce renversement de la figuration apparaît comme une nouvelle stratégie pour laisser un peu plus parler la peinture elle-même. Wassily Kandisky ne confiait-il pas que la naissance de son art abstrait, qui renouvela profondément la peinture, résultait de la vision d’une de ses oeuvres retournée dans l’atelier ? Le renversement des codes apparaît d’emblée comme une nouvelle piste pour mieux explorer le visible. Une autre période charnière commence, que l’on s’arrache aussi aux enchères, tant elle elle emblématique de Baselitz. Difficile aujourd’hui d’obtenir une petite toile pour moins de 100 000 $ (c’était déjà le cas dans les années 80), mais quelques oeuvres sur papier, tête à l’envers, sont parfois accessibles autour de 10 000 $ , et les derniers dessins sproposés se sont vendus entre 15 000 et 55 000 $. Toiles et dessins se partagent 34 % du marché, contre 65 % d’estampes. Plus rares sont les sculptures, notamment parce qu’il s’agit d’une vocation tardive dans laquelle l’artiste se lance à 40 ans.

Baselitz Sculpteur
« Baselitz Sculpteur », tel était le titre d’une grande exposition qui s’est tenue au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2011, un titre qui témoigne d’une activité prépondérante et indépendante dans sa production. Ici, Baselitz privilégie le bois et dégrossit la matière dans un corps à corps avec elle, soit à la hache soit à la tronçonneuse. Une taille directe, un acte radical, qui lui permet d’aller à l’essentiel. L’arrivée de telles oeuvres sur le devant de la scène internationale reçoit d’abord un accueil mitigé : sa première sculpture Modell für eine Skulptur (Modèle pour une sculpture), 1979, figurant au pavillon allemand de la Biennale de Venise en 1980 soulève une vive controverse. Ce n’est pas tant le sujet qui choque (le thème de la figure humaine émergeant de son bloc convoque les non finito de Michel-Ange ou de Rodin), mais l’artiste était attendu avec ses célèbres têtes peintes, au lieu de quoi il déroute le public avec une première sculpture revendiquant brutalité et indépendance par rapport aux propositions contemporaines de l’époque. Son désir de singularité se trouve comblé. Il continue sur la voie d’un archaïsme sculptural et réalise au cours des années 1980 des têtes et des figures debout, évoquant les totems tribaux, rehaussés de couleurs minimales. Ses pièces sont quasi introuvables en salles et s’il en paraît une, elle s’envole illico entre 600 000 et 1,4 millions.
Depuis dix ans, la fonderie Noack réalise à partir de ses bois un nombre limité d’exemplaires en bronze. Les deux derniers à tester les enchères se sont ravalés en 2008 malgré des estimations les rendant bien plus accessibles que leurs homologues en bois (entre 50 000 et 150 000 $ en moyenne pour les rares bronzes vendus aux enchères).

Valeur sûre du marché, la cote de Baselitz augmente sans spéculation (58 % de hausse sur la décennie) et demeure une grande signature particulièrement accessible grâce à son travail de gravure. Le géant aux oeuvres millionnaires est aussi un artiste dont la moitié des oeuvres s’achètent et se vendent autour de 2 000 $, grâce à une production de multiples qui draine plus de 65 % du marché mondial.

Pour dénicher une œuvre signée Baselitz, le marché anglais est le plus dense de tous (59 % des transactions au Royaume-Uni). Londres lui dédiait par ailleurs trois expositions en 2014 : chez Gagosian (Farewell Bill), à la Royal Academy (Renaissance Impressions) et au British Museum (Germany divided : Baselitz and its generation).