François Morellet, ordre et désordre

[05/07/2016]

 

Le grand artiste François MORELLET nous a quitté le 10 mai dernier. Retour sur une figure marquante de l’abstraction géométrique qui a nourri les recherches du minimalisme.

Tout commence dans les années 1950 avec des formes simples, des couleurs en aplats (facture volontairement anonyme), des systèmes de juxtapositions, de superpositions ou de fragmentations. D’emblée, l’artiste choisi une géométrie dépouillée marquée par l’exemple de Mondrian, l’œuvre de Max Bill et l’Art concret. Pendant 60 ans, Morellet n’a cessé d’enrichir son langage, déclinant les lignes, les trames, les angles, les formes, les couleurs, les lumières ; utilisant tableaux, adhésifs, néons, surfaces de bâtiments, sculptures, bois ou architectures… Il nous quittait au moment où son œuvre commence à être récompensée par le marché des enchères… La demande est plus vive que jamais.

Le programme à la source de l’oeuvre

Dans l’art de François Morellet, l’artiste ne se racontait pas, bien au contraire, il réduisait au maximum les décisions subjectives, visait une absence de sentiment et d’intuition, une véritable neutralité, afin de se délester de la mystification de l’art et du romantisme à la source de l’acte de création. Morellet a contrôlé, ou plutôt piloté le processus de création. Au préalable de toute œuvre existe un programme, généralement nourri sur la base d’équations, de systèmes numériques ou géométriques. Et puisque le programme, ou la structure, est primordial, l’artiste fournissait la méthode de création employée dans le titre des oeuvres. Ainsi, le titre 3 grillages superposés 0 °, + 15 °, – 15 ° (1959), révèle que Morellet a superposé trois grillages inclinés respectivement à 0 °, + 15 ° et – 15 ° pour élaborer la trame de son tableau. L’oeuvre se construit sur de nouvelles structures, qui laissent volontiers la porte ouverte au hasard, car le hasard empêche de manipuler consciemment les critères de beauté. Il y a donc, chez Morellet, du désordre marié à l’ordre, des décalages, des perturbations constantes et des systèmes absurdes, introduisant tout en finesse un certain humour. Exemple de jeu avec le hasard : dans Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone (1961), l’artiste a utilisé les chiffres d’un annuaire de téléphone pour créer un système déterminant la position de petits carrés de couleurs sur la toile. Les chiffres piochés au gré des pages de l’annuaire sont devenus les coordonnées d’une bataille navale de couleurs. Système binaire et neutralité détermine ainsi la composition de l’oeuvre. L’artiste a décliné ce système de création dans plusieurs toiles, variant les couleurs d’un tableau à l’autre. Ces pièces historiques sont désormais sérieusement disputées en salles de ventes. Les prix s’envolent…

Cote et notoriété

La reconnaissance par le marché attend souvent le nombre des années… François Morellet affiche en effet plus de 450 expositions à son palmarès et de nombreuses commandes publiques et privées en Europe, dont la Grande-Bretagne, l’Italie, les Pays-Bas, de même qu’en Suisse et aux États-Unis. Il a participé à la Biennale de Venise en 1971, exposé à plusieurs reprises dans des musées européens et américains dans les années 80. Malgré tous ces signes de reconnaissance, et des enchères actives en Europe dans les années 80 et 90, l’artiste demeurait confidentiel et discret sur le marché des enchères. Un nouveau souffle est arrivé dans les années 2000, époque de nombreuses expositions européenne (Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris, musée Matisse du Cateau-Cambrésis, espace du Stiftung für Konkrete Kunst de Reutlingen en Allemagne). En 2010, Morellet fut appelé à réaliser une œuvre pérenne au Musée du Louvre, en créant les vitraux de l’escalier Lefuel, dans l’aile Richelieu. L’Esprit d’escalier, c’est le titre de l’oeuvre, est l’aboutissement réussi d’un challenge délicat, pour lequel l’artiste a superposé le dessin inversé de la grille existante, associé à l’ancien découpage du vitrage. Une œuvre pérenne au Louvre : voici un signal fort de reconnaissance ! Dans l’élan de cette commande, l’année 2010 fut aussi une année historique pour l’artiste aux enchères : plus de 2,1 m$ d’oeuvres de Morellet se vendaient alors, un chiffre record, accompagné d’un taux ridiculement bas d’oeuvres invendues (2,4% des lots offerts). Son record absolu date de cette époque : il récompense l’oeuvre 2 trames de tirets 0° 90° (1972) estimée 30 000 €, et finalement vendue 432 750 €, soit près de 590 000 $, le 8 mars 2010 chez Sotheby’s à Amsterdam. L’année suivante, le Centre Pompidou lui consacrait une rétrospective intitulée Réinstallations. Sotheby’s en profitait alors pour réajuster à la hausse les estimations de ses œuvres, et donnait à vendre la toile Superposition de 2 trames de carrés (mailles 75mm et 80mm) inclinées à 2° et 178° entre 60 000 et 80 000 € (Paris, le 7 décembre 2011). L’oeuvre s’est envolée pour 204 750 € avec les frais (soit 274 000 $). La hausse des prix est phénoménale, de l’ordre de 502% depuis l’année 2000…

Décédé à 90 ans cette année, les expositions se poursuivent et se transforment en hommages. Sa présence sur les grandes foires d’art se renforce et son marché aux enchères est surveillé de près, depuis la France (où se joue plus de la moitié de son marché), les Pays-Bas (12% du marché), l’Allemagne et le Royaume-Uni (9% de parts de marché chacun), et plus largement dans l’ensemble des pays européens, dans lesquels l’artiste est reconnu comme une figure essentielle dans l’art de la seconde moitié du XXème siècle.