Frais acheteurs : l’art est-il de plus en plus plus cher ?

[09/03/2021]

2013, 2015, 2016, 2017, 2019… régulièrement, les enchérisseurs sont avertis de hausses, plus ou moins conséquentes, des frais acheteurs…

Le prix fixé lorsque le commissaire-priseur frappe le marteau n’est pas le prix définitif de l’œuvre. Les maisons de vente prélèvent des commissions dont une partie est à régler par l’acheteur qui a remporté l’enchère. Depuis leur mise en place de manière systématique depuis les années 1970, ces frais ne cessent d’augmenter.

Prenons par exemple cette superbe aquarelle de Paul CÉZANNE (1839-1906), représentant la Montagne Sainte-Victoire, et adjugée autour de 106 000$ en juin 2000. La maison de vente applique des frais acheteurs de 15 % à l’époque, ce qui porte donc le prix de l’œuvre à plus de 122 000$. Vingt ans plus tard, l’heureux adjudicataire de cette même aquarelle, martelée au même prix, devrait débourser en tout plus de 133 000$, soit 11 000$ de plus, les frais acheteurs pour cette plage de prix étant généralement de 25 %.

Frais acheteurs, mode d’emploi

Les frais de vente (frais vendeur, frais d’adjudication ou frais acheteur) constituent la principale source de rémunération de l’opérateur de ventes. Ils servent à financer tout un éventail d’étapes lors de la préparation d’une vente : la création du catalogue, la publicité, la gestion des réseaux sociaux, mais aussi le personnel, les locaux, les assistants de vente ou encore le matériel informatique. Ils sont donc nécessaires au bon déroulement d’une vente. D’autres frais peuvent s’y ajouter, comme les honoraires d’expert, les frais de transport et de stockage et, le cas échéant, les taxes fiscales ou le droit de suite.

L’acheteur, pour être plus précis, doit payer, en sus des enchères, une part proportionnelle au « prix marteau ». Ces frais sont libres mais non négociables. Ils varient selon les maisons et les types de ventes, et sont généralement compris entre 15 et 25 % hors taxes du prix d’adjudication. Les frais d’adjudication doivent être indiqués dans les conditions de ventes et annoncés publiquement avant la vente. Il est donc impératif d’avoir en tête, avant de lever la main, que ces montants s’ajouteront en cas de succès de l’enchère !

De plus en plus fréquemment, les opérateurs de ventes volontaires pratiquent des tarifs dégressifs, qui diminuent par paliers. Par exemple, la maison Phillips New York impose des frais acheteurs de 26 % pour les adjudications entre 1 et 600 $ ; 21 % pour les adjudications entre 600 et 6000$ ; et enfin 14,5 % pour les adjudications supérieures à 6 000$. Plus le prix au marteau est important, moins les frais acheteurs le sont. De même, les grandes maisons de ventes, présentes sur plusieurs continents, s’appuient sur des législations différentes. Les frais acheteurs varient donc selon que le marteau s’abat à New York, Londres ou Hong Kong ! Cette flexibilité devient de plus en plus complexe à mesure que la globalisation devient la norme et permet une plus grande rentabilité.

Parfois stagnantes, jamais décroissantes, les courbes d’évolution des frais acheteurs ont de nombreuses fois pointé à l’augmentation. En 1982, le New York Times rapportait que les frais acheteurs dans diverses maisons de ventes internationales allaient de 8 à 16%. Que l’une d’elles augmente ses frais, les autres finissent par s’aligner. En 2017, le Journal des Arts sous-titrait : « Christie’s change une nouvelle fois – à la hausse – le barème de ses frais acheteurs, marchant dans les pas de Sotheby’s. » Deux ans plus tard en 2019, le même journal, presque le même titre : « Emboîtant le pas à Christie’s, Sotheby’s augmente ses frais acheteurs ».

Depuis 2013, certains paliers de ces fameux frais acheteurs ont été augmentés pas moins de cinq fois ! Pour certains observateurs du Marché de l’Art, c’est là le signe que les grandes maisons de ventes, coincées entre attractivité pour les vendeurs et rentabilité à l’achat, sont en perpétuelle recherche d’un modèle économique durable. Encore tout récemment, Sotheby’s a créé la surprise avec un tout nouveau « overhead premium » : une « prime de frais généraux » de 1% du prix d’adjudication de l’enchère complète désormais les frais acheteurs, depuis le 1er août 2020. Cette décision, apparemment prise avant l’apparition de la Covid-19, mais mise en pratique au cours de l’été, permet de limiter les effets financiers négatifs de la pandémie et l’engagement des montants liés, par exemple, aux travaux d’extension et de rénovation de son siège social à New York.

frais acehteurs Sotheby's 2021 avec overhead premium

Tableau des frais acheteurs Sotheby’s au 1er février 2021, avec la mention des frais généraux.

Un peu d’histoire…

Les frais acheteurs n’ont pas toujours existé, en tous cas pas sous cette forme. Les ventes aux enchères se pratiquaient beaucoup dans le monde antique, surtout à Rome, en particulier sous le règne d’Auguste. Avant l’existence des commissaires-priseurs, des argentaires servaient d’intermédiaires financiers dans les transactions. Ils réglaient au vendeur le prix des biens meubles ou immeubles adjugés, et traitaient ensuite avec l’acheteur, à qui ils accordaient des facilités ou délais de paiement, non sans leur imposer une commission allant de 1 % à 3 % du montant initial : c’est l’ancêtre des frais acheteurs.

La redevance payée par les acheteurs était utilisée depuis bien longtemps dans de nombreuses maisons de vente en Europe, mais de manière informelle et inégale. La forme moderne telle que nous la connaissons est apparue bien plus récemment, en 1975, à Londres sous l’impulsion de Sotheby Parke Bernet, à l’époque, et Christie’s. Cette « création » a provoqué un conflit qui a fait rage pendant près de sept ans. A trois mois d’intervalle, ces deux sociétés de ventes, déjà leaders sur le Marché de l’Art, annoncent la mise en place d’un système formalisé de règlement pour les acheteurs, de 10%. La controverse est née de cette troublante coïncidence de calendrier, mais également du mécanisme de balance : en facturant aux acheteurs un pourcentage du prix de l’adjudication, les maisons de ventes peuvent réduire ce qu’elles facturent aux vendeurs, qui supportaient auparavant le coût total de la vente, soit +12 % à +30 %. La charge et le risque étant réduits à +2 % à +10 %, les vendeurs étaient alors plus tentés de choisir la voie des enchères, plutôt que celle des galeristes ou antiquaires…

La British Antiques Dealers Association et la Society of London Art Dealers sont allés jusqu’à intenter une action en justice et le gouvernement britannique a ouvert une enquête dans le cadre de la surveillance pour concurrence déloyale. Ce n’est qu’en 1981-1982 que le procès a été évité et l’enquête publique close. Pour résoudre le litige, les sociétés ont convenu d’examiner à la fois le montant des frais facturés aux acheteurs et la manière dont ils déclarent les prix payés par les acheteurs. Au fil des années, les maisons de ventes du monde entier ont suivi l’exemple de Sotheby’s et Christie’s et ont commencé à facturer de manière fixe et automatique des frais aux acheteurs.

Les ventes online : l’avenir

Des frais supplémentaires peuvent être encourus s’il s’agit d’une vente online totalement dématérialisée (c’est-à-dire des ventes à temps déterminé, où l’on enchérit par Internet, en l’absence de commissaire-priseur). En effet, certaines plateformes d’enchères en lignes sont payantes. Dans ce cas, le montant total du bordereau est ainsi calculé :

le prix d’adjudication (par exemple 1000 $)
+ les frais acheteurs (par exemple 25 % TTC du prix d’adjudication, donc 250 $)
+ les frais internet (par exemple 3 % TTC du prix d’adjudication, donc 30 $)
= 1 280$

Certaines maisons de ventes choisissent parfois de diminuer les frais acheteurs pour les ventes online, afin de compenser ces frais spécifiques. En septembre 2017, Sotheby’s prenait le Marché de l’Art de court en annonçant la suppression des frais acheteurs sur les ventes online ! Des recherches internes avaient révélé que 45 % des acheteurs online étaient de nouveaux clients, et mieux encore, 20% de ces nouveaux clients étaient devenus des clients pour les ventes traditionnelles en salles. Sotheby’s souhaitait donc renforcer cette tendance, et doubler le nombre de ventes s’effectuant uniquement en ligne. Sept mois plus tard, en avril 2018, la maison de ventes annonçait le retour de ces frais acheteurs en ligne, leur suppression fragilisant la rentabilité de ces ventes spécifiques. Cela montre à quel point le chiffre d’affaires des opérateurs repose sur les commissions. Quelle que soit la forme des enchères, il y a fort à parier que la baisse des frais acheteurs n’est pas pour tout de suite !