Fou, Prophète ou Enfant ? Garouste à Pompidou

[18/10/2022]

« Ce n’est pas très important que les gens connaissent les histoires qu’évoquent mes tableaux. Il faut qu’ils se sentent libres, qu’ils se laissent bousculer ou surprendre. En revanche, moi, si, j’ai besoin de ces sujets, je les questionne, je les malaxe comme les mots d’une langue inconnue jusqu’à ce qu’ils me permettent de peindre… » Gérard Garouste 2022

Voyage dans un autre monde ! Le Centre Georges Pompidou consacre jusque début janvier une rétrospective au monde hallucinatoire de Gérard GAROUSTE (1946). L’intelligent parcours chronologique voulu par la commissaire Sophie Duplaix donne un habile fil d’Ariane à la sarabande effrénée du poète peintre. De manière concomitante, la Galerie « Les Arts dessinés » évoque son travail, en collaboration avec Édouard Cohen, sur la Meguila d’Esther.

Garouste Pinocchio

Gérard Garouste, Pinocchio et la partie de dés, 2017

L’art de la dissimulation

Près de 120 peintures, une majorité de très grands formats et l’installation de la Dive Bacbuc, pour tenter de cerner Garouste. Il grandit en partie en Bourgogne, petit paradis de contes et légendes pour un jeune garçon dont l’esprit a des facilités pour l’évasion et des difficultés pour la concentration. Son père l’envoie au Collège du Montcel, une boîte à bac où l’on envoie les rêveurs des familles bourgeoises. Il y retrouve Jean-Michel Ribes, Patrick Modiano, le fils FAUTRIER ou François Rachline. Aux Beaux-Arts de Paris, il avoue fuir l’atelier de son maître. C’est avec les restaurateurs du Musée du Louvre qu’il apprend tout ce qu’il y a à savoir sur la technique picturale, dans ce qu’elle a de plus matériel et physique. Il décortique et démonte les images et les mots. La peinture, dit-il, c’est ma grammaire à moi. La toile donne à lire mais c’est également un écran, qui cache le sens de la peinture. Un gros mensonge en somme, mais déclaré, comme un enfant qui peint son rêve tout en le racontant : Un menteur qui avoue qu’il ment dit-il pour autant la vérité ? Il est sans cesse attiré par ce qui est dissimulé. Il se perd à la lecture de La Divine Comédie : Plus Dante donne de détails sur l’Enfer, moins le lecteur s’y retrouve. Sa série inspirée du poète italien a beau être figurative, elle donne très peu à comprendre au premier coup d’œil. De son propre aveu, c’est l’interstice entre deux tableaux qu’il faut interpréter.

Trouver le sens des origines

Garouste croisement des sources

Gérard Garouste, La Croisée des sources, 1999 – 2000

Obsédé par l’histoire, il parcourt les tréfonds de l’héritage des maîtres anciens et les mythes. Comme si exposer du figuratif au début des années 1980 englouties dans le conceptualisme n’était pas assez anticonformiste, et se réclamer du GRECO ou de RUBENS n’était pas suffisant, Garouste se fait un devoir de revenir sans cesse à la source : La Bible, les grands textes de la Mythologie, les grands auteurs de Cervantès à Rabelais. A propos de ce dernier, qui a attiré les foudres de l’Église et risqué le bûcher pour sa Dive Bacbuc, Garouste rappelle qu’il y a chez Rabelais une partie accessible qui est l’humour, une autre ésotérique, pour laquelle il faut être initié, et qui est faite pour être transmise. Ses toiles, faites d’associations d’idées, sont tour à tour inquiétantes et joyeuses, peuplées d’animaux parfois fantastiques et de corps disloqués. Anamorphoses, références personnelles et mythologiques hantent sa peinture.

Cherchant toujours à disséquer le sens de la vie, Garouste s’attaque à l’exégèse et reprend à son compte la figure du fleuve : devant la Bible le croyant est sans arrêt devant le même fleuve immémorial des Écritures, mais jamais devant la même eau courante du sens qu’on leur donne. Il apprend l’hébreu, où les mots ont au minimum quatre significations qui parfois n’ont aucun rapport entre eux, comme dans sa toile l’ânesse et la figue. L’interprétation par association de son ou d’idée le transporte. Il se plonge, avec un maître, dans le Talmud et se convertit au Judaïsme en 2014. Est-ce pour conjurer l’histoire familiale ou pour racheter les fautes du père ? En 2009, il écrit, avec Judith Perrignon, L’Intranquille. Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. Le livre s’ouvre sur ses recherches fiévreuses pour confirmer une intuition tenace à la mort de son père. Carnets personnels et agenda en main, il découvre qu’Henri Auguste Garouste, antisémite convaincu et collaborateur opportuniste, a récupéré sous l’Occupation des biens juifs spoliés, dont ceux de la société de meubles Lévitan, et que les entrepôts de l’entreprise familiale ont abrité le mobilier pillé dans les appartements de juifs parisiens. L’Intranquille décrit surtout son parcours chaotique, son monde bipolaire qui l’a tenu éloigné des pinceaux pendant près de 10 ans alors même qu’il fondait une famille avec Elizabeth GAROUSTE (1946), sa compagne de jeunesse, elle-même designer et artiste.

Une cote intranquille

Après une riche période où il scénographie les spectacles du Palace, il attire l’œil de grands marchands. Une première exposition à la galerie Durand-Dessert, puis c’est Leo Castelli qui le repère, lors d’une exposition sur la jeune scène française en 1982 à New York. Plusieurs commandes publiques suivent, des décors pour le Palais de l’Elysée, des oeuvres pour la Cathédrale d’Evry, une sculpture monumentale pour la BnF. Quant à cette rétrospective à Pompidou, elle porte la marque de la ténacité de son galeriste actuel, Daniel Templon.

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Gérard Garouste, L’Alliance, 1999

La cote de Garouste, qui a pâti de ses épisodes d’instabilité, reste très hexagonale. Leo Castelli lui donne sa chance Outre-Atlantique, mais il n’arrive pas à produire assez pour alimenter son succès grandissant. Son marché se délie toutefois depuis 12 ans, une de ses toiles, L’alliance passe le seuil des 100 000$ en 2017 chez Pierre Bergé & Associés. Parmi les peintres français nés après 1945 comme Garouste, très rares sont ceux qui ont dépassé cette barre symbolique sur le territoire. Seuls onze d’entre eux ont été vendus en France à plus de 100 000$ au marteau : Robert COMBAS, Philippe PASQUA, Claire TABOURET, Bernard FRIZE, Bertrand LAVIER, Fabienne VERDIER, Karl LAGASSE, Fabrice HYBER, DRAN, la franco-américaine Nicole EISENMAN, le franco-chinois WANG Yancheng, un douzième très présent présent sur le marché du Dessin Bande Dessinée : Enki BILAL.