Focus sur Yayoi Kusama

[12/08/2014]

 

A 85 ans, la princesse aux petits pois nippone est au sommet de sa cote. Artiste femme vivante la plus chère au monde, troisième artiste japonaise la mieux cotée derrière Takashi Murakami et Tsuguharu Foujita, Yayoi Kusama (née à Matsumoto, Nagano, en 1929) a envahi le monde de son univers excentrique et psychédélique.

La marginalité de l’artiste japonaise est célèbre dans le monde entier, mais savez-vous que les petits pois qui font sa signature sont nés d’une véritable vision ? La jeune Yayoi KUSAMA, âgée de 10 ans, voit les motifs floraux de la nappe familiale s’émanciper pour tout envahir au passage, mur, sol, plafond, esprit. Les hallucinations deviennent récurrentes et Yayoi, « pois perdu parmi des milliers d’autres pois », manifeste une peur d’auto-dissolution. Dessiner est un bon moyen d’échapper aux hallucinations. L’enfant dessine sans cesse, étudie la peinture japonaise à l’École secondaire supérieure Hiyoshigaoka au milieu des années 40′ puis se tourne de son propre chef vers l’art occidental, plus ouvert. Après quelques expositions au Japon, la jeune artiste gagne New York à vingt-huit ans, et se fond dans le milieu underground de l’époque. Elle s’exprime alors sur de grands formats et peint des pois sur les corps à l’occasion de performances.
Elle gagne rapidement l’avant-garde de l’époque, expose avec Jasper Johns, Andy Warhol, se fait remarquer par Donald Judd et s’installe au-dessus de son atelier, rédige en 1960 son manifeste de L’Oblitération. Les années 60′ sont de grandes années new-yorkaises pour Yayoi Kusama, reconnue comme l’une des plus créatives de la nouvelle scène. Puis elle retourne au Japon au début des années 70 et se cloître, de plein gré, dans un hôpital psychiatrique à Tokyo. Disposant d’un atelier sur place, elle poursuit son invasion picturale, laquelle devient de plus en plus maitrisée et complexe. Les pois gagnent du terrain sur le sol, le plafond, les murs, les vêtements, via la vidéo, l’installation, la mode, les sculptures en tissu rembourré et les jeux de miroirs qui démultiplient l’image, annihilent les limites.

Depuis le début des années 2000, Kusama a reçu de nombreuses récompenses, collaboré avec des marques de luxe (Louis Vuitton Max Jacobs, Lancôme), exposé à la galerie Gagosian de New York et bénéficié de rétrospectives majeures (Tate Modern à Londres, Centre Pompidou à Paris, Whitney Museum à New York). Parallèlement à cette actualité forte, son indice de prix a explosé de +400 % depuis l’année 2000. Depuis dix ans, l’indice grimpe sans fléchir (+ 177% entre janvier 2004 et janvier 2014) et son dernier résultat annuel – 28,3 m$ de résultats d’adjudication sur l’année 2013 – est un pic sans précédent, en progression de +38 % par rapport à 2012 qui s’annonçait déjà comme un sommet (avec 20 m$ contre moins de 14 m$ en 2011).

Yayoi Kusama s’imposait déjà comme une artiste hors norme à ses débuts sur le marché des enchères, passant le seuil de 50 000 $ en 1992, pour une large toile vendu alors au double des meilleures prévisions (Ocean, 1960, 177.8 cm x 269.2 cm, Sotheby’s New York le 11 novembre 1993). Dix ans plus tard, le cap de 100 000 $ est franchit (N° G, 1959, 101 cm x 128.9 cm, 195 000 $, Sotheby’s New York, le 13 novembre 2002), puis des 200 000 $ en 2004. Les prix flambent et les acheteurs de la première heure revendent, empochant parfois au passage une plus-value millionnaire (comme par exemple avec N° Red Q, vendue 70 000 $ le 18 novembre 1998 chez Sotheby’s puis pour 1,2 m$ le 11 mai 2010 chez Christie’s). En 2005, l’artiste passe pour la première fois le seuil du million, puis à 11 reprises depuis dont un sommet de 5,1 m$ achevé en 2008 avec No 2, toiles au point blanc sur fond blanc, pluie de particules hallucinées sur près de trois mètres de large, peinte en 1959 (vente Christie’s New York du 12 novembre 2008). Forte de son record de 5,1 m$, Kusama tient la 34ème meilleure enchère du monde pour un artiste vivant, et le premier record au féminin après 33 adjudications pour des hommes.

Son marché, principalement réparti entre Orient et Occident (40 % des recettes aux Etats-Unis, contre 25 % au Japon et 16 % à Hong Kong) est actif de partout : autrichiens, taiwanais, italiens, anglais, français, singapouriens se voient aussi proposer des oeuvres, par ailleurs souvent abordables pour moins de 8 000 $ (la moitié des transactions mondiales se joue sous le seuil des 8 000 $). Les collectionneurs privilégient les peintures (près de 96 % des recettes pour 38 % des transactions) même si la sculpture est très bien cotée (15 % des recettes pour 8 % des transactions). Aucune œuvre en trois dimensions – sculpture ou installation – n’a encore atteint le million de dollars. Le seuil des 500 000 $ à par contre déjà été atteint douze fois, dont trois pour ses grosses citrouilles jaunes en fibre de verre recouvertes de pois noirs. De petites citrouilles en résine, largement éditée, peuvent aussi envahir votre espace autour de 6 000 $ et autour de 1 000 $ pour des coussins sérigraphiés, qui veulent s’émanciper de leur statut d’objet dérivé.