Focus sur Toyin Ojih Odutola

[26/10/2021]

A 36 ans, cette artiste originaire du Nigéria compte déjà parmi les artistes les plus performants aux enchères, toutes époques de création confondues.

Née à Ile-Ife, Nigéria, en 1985, Toyin Ojih ODUTOLA est d’origine Yoruba du côté paternel et Igbo du côté maternel. Elle est âgée de cinq ans lorsque la famille déménage à Berkeley, en Californie, où son père, le Dr J. Ade Odutola, enseigne la chimie à l’université. Quatre ans plus tard, en 1994, la famille s’installe à Huntsville, en Alabama. La jeune femme a aujourd’hui élu domicile à Brooklyn, tandis que son travail ne rencontre plus aucune frontière géographique.

Un succès aussi immense que précoce

Son appétit pour l’art est déjà bien ancré lorsque Toyin Ojih Odutola participe, étudiante, à la résidence d’art Norfolk de l’Université de Yale dans le Connecticut. Peu après, en 2008, elle obtient son baccalauréat Art et Communication à Huntsville puis, en 2012, sa maîtrise au California College of the Arts de San Francisco. Elle n’a pas le temps d’achever son cursus qu’elle est déjà repérée par le galeriste Jack Shainman et se voit offrir une première exposition personnelle à New York – “MAPS” – en 2011. Le monde de l’art new-yorkais considère d’emblée que la jeune femme propose quelque chose de neuf et qu’elle parvient même à renouveler le genre pictural du portrait.

L’exposition chez Jack Shainman était composée d’une série de figures noires, dessinées au stylo à bille, et décontextualisées sur des fonds blancs. Les visages de ces personnages énigmatiques affichaient une étrange texture évoquant des tracés géographiques. Cette technique singulière ouvre alors une nouvelle voix dans la représentation visuelle de la peau noire. En mettant l’emphase sur la peau, Odutola interroge l’identité, toujours plus complexe et multiple qu’on ne le croit. Elle se concentre sur la construction sociopolitique de la couleur de cette peau et questionne la peau noire (notamment aux Etats-Unis) comme premier critère de définition d’un individu. Elle travaille aujourd’hui principalement à l’encre, au fusain, au crayon et, toujours, au stylo à bille, pour des dessins scrutant la matérialité de la noirceur.

Jack Shainman devient son premier galeriste attitré et les expositions s’enchaînent : en 2015, une exposition solo s’ouvre au Contemporary Art Museum St Louis (“Untold Stories”); en 2016, elle présente une exposition au Musée de la Diaspora africaine de San Francisco (“A Matter of Fact”); en 2017, elle est accueillie par le Whitney Museum. Pour cette première exposition personnelle dans un musée new yorkais (“To Wanderetermined”) , l’artiste présente une série de portraits fictifs relatant la vie de deux familles aristocratiques nigérianes. Aujourd’hui, les collections permanentes du Whitney se sont enrichies de quatre dessins de sa main. D’autres musées américains ont acquis des œuvres, dont le MoMA et l’Art Institute of Chicago, parmi une vingtaine de musées à travers le monde dont elle a désormais intégré les collections permanentes. On comprend mieux, dès lors, pourquoi les prix ont tellement flambé, jusqu’à passer – à deux reprises déjà – le seuil des 500 000$ en salles de ventes.

Toyin Ojih Odutola. Répartition géographique du produit de ventes aux enchères (copyright Artprice.com)

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Un dessin contemporain parmi les plus cotés au monde

Fusain, pastel, crayon, encre… Toyin Ojih Odutola est une dessinatrice, car le dessin est pour elle le langage le plus immédiat. Les collectionneurs l’ont bien compris et lorsqu’ils enchérissent sur l’une de ses œuvres, ils ne tiennent plus compte de la traditionnelle hiérarchie des prix voulant que les dessins soient moins chers que les peintures. La jeune prodige fait donc partie des 550 artistes les plus performants aux enchères, toutes époques de création confondues, sans avoir besoin de travailler la peinture à l’huile ni l’acrylique. En 2020, année où elle remporte le Prix Jean Prat, elle fait sensation chez Christie’s New York avec un minuscule dessin (12,7 x 17,8 cm) vendu 77 500$ contre une estimation de 15 000$ à 20 000$ (Untitled). Un “bijou” que l’on pourrait qualifier d’”historique” dans la carrière de Odutola, puisque ce portrait sans titre avait fait partie de la première exposition personnelle de l’artiste en 2011 à la galerie Jack Shainman.

Introduite aux enchères il y a trois ans seulement, son record personnel se hisse déjà à 833.000$ pour un dessin d’un mètre soixante (Eastern Entrance), exposé en 2016 au Musée de la Diaspora Africaine de San Francisco. L’œuvre se vendait chez Sotheby’s Hong Kong, le 19 avril 2021.

Odutola compte ainsi parmi ces jeunes artistes dont le record retentissant a été enregistré à Hong Kong, nouveau hub pour le marché contemporain des enchères. L’île rivalise désormais totalement avec les meilleures places de marché occidentales, notamment concernant la confirmation de jeunes “prodiges” qui, jusqu’il y a quelques mois seulement, ne prenaient leur envol que depuis New York, éventuellement depuis Londres, mais jamais depuis Hong Kong. Ce grand virage pour le Marché de l’Art Contemporain résulte notamment du dynamisme de Christie’s, Sotheby’s et Phillips qui ont, au fil des années, ouvert le marché hongkongais aux grandes signatures non-asiatiques. Les trois sociétés recueillent aujourd’hui les fruits d’un travail de fond mené pour diversifier les ventes et les collections asiatiques. En présentant les œuvres des mêmes artistes à la fois en Occident et en Orient, les maisons de ventes anglo-saxonnes consolident et accélèrent le marché des jeunes stars contemporaines, dont Toyin Ojih Odutola fait absolument partie.

Toyin Ojih Odutola. Evolution produit de ventes aux enchères depuis 2018 (copyright Artprice.com)

 

 

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Article Artprice paru dans Diptyk Magazine