Focus sur Sam Francis et ses fusions abstraites

[01/08/2023]

En novembre 2022, une toile à dominante bleue de Sam Francis doublait son estimation haute chez Christie’s pour établir le nouveau record personnel de l’artiste à hauteur de 13,5m$. Cette œuvre datée de 1955 et intitulée Composition in Blue and Black est emblématique des préoccupations picturales de l’artiste avec ces jeux de couleurs et de lumière miroitants, réminiscences de ce que Sam Francis avait perçu quelques années plus tôt sur le plafond d’un lit d’hôpital. Mais à l’heure où il exécute cette toile, il a aussi développé son intérêt pour la couleur en séjournant à Paris, où il est tombé sous le charme des coloristes français comme Henri Matisse, Claude Monet et Pierre Bonnard, des artistes tous sensibles à la continuité de l’espace et à l’hédonisme de la couleur.

Composition in Blue and Black offre déjà une synthèse entre les préoccupations abstraites américaines et les considérations européennes de Francis sur la couleur. Cette composition avait été achetée auprès de la galerie Gagosian par Paul G. Allen, cofondateur de Microsoft avec Bill Gates, dont Christie’s vendait la collection en novembre dernier pour un total de 1,6 milliard de dollars. La provenance prestigieuse de la toile a sans doute aidé à établir un record d’adjudication, mais il était temps que les projecteurs soient à nouveau braqués sur cet artiste dont la cote reste encore loin derrière celles de ses compatriotes abstraits américains: lorsque Sam Francis culmine à 13,5m$, les records de Clyfford Still et de Jackson Pollock dépassent, en effet, les 60 millions de dollars chacun.

 

Evolution du record de Sam Francis aux enchères (copyright artprice.com)

 

Une autre abstraction américaine

Sam FRANCIS (1923-1994) exprime un autre versant de l’abstraction américaine. S’il est associé au Color Field, au Tachisme et à l’Action Painting, il est également influencé par le postimpressionnisme français et par l’art contemporain asiatique. Il ne se destinait pourtant pas à la peinture, et c’est pour transcender un vécu personnel traumatique qu’il est entré dans un processus créatif. Le fait de peindre lui aurait en effet permis de guérir. Engagé dans l’armée en 1943 pour suivre une formation de pilote, son avion s’écrase dans le désert de l’Arizona au cours d’un vol d’entraînement. Francis sera hospitalisé pendant plus de deux ans, et les médecins lui diagnostiquent une tuberculose spinale. En partie paralysé, ne pouvant bouger que sa tête et ses bras, il commence à peindre pour combattre l’ennui et la dépression. Il peint ce qu’il voit dans sa chambre d’hôpital : la lumière et son spectre, les reflets du monde extérieur, les variations de la lumière sur les murs.

Après son hospitalisation, il rencontre Clyfford Still, pionnier d’une peinture informelle, dont il suit les cours à la California School of Fine Arts de San Francisco. Aussi influencé par le travail instinctif de Jackson Pollock, Sam Francis se rapproche de la deuxième génération des Expressionnistes abstraits, notamment Joan Mitchell et Helen Frankenthaler, tout en ne se revendiquant d’aucun courant.

En 1950, il s’installe à Paris grâce à une bourse d’études, se forme dans l’atelier de Fernand Léger et découvre l’œuvre des grands artistes impressionnistes et post-impressionnistes. Rapidement, en 1952, il décroche sa première exposition personnelle, à la Galerie Nina Dausset, rue du Dragon à Paris. En 1955, la Kunsthalle de Berne en Suisse montre son travail et l’année suivante, quelques-unes de ses œuvres font partie de l’exposition Twelve Artists au MoMA de New York. Le succès est donc immédiat et international. Le Time Magazine évoque l’artiste comme : “the hottest American painter in Paris these days” (Le peintre américain le plus populaire de Paris du moment). Après Paris, l’autre grande influence vient du Japon, où Sam Francis se rend en 1957. C’est là qu’il commence à expérimenter l’espace blanc, le vide, qui devient de plus en plus important dans ses toiles. C’est là aussi qu’il se familiarise avec les philosophies orientales, notamment le bouddhisme, déterminant dans l’orientation de sa peinture vers la spiritualité. Francis ira même jusqu’à créer des tableaux éphémères en propulsant de la peinture dans le ciel, puis des mandala, vers la fin de sa vie.

Son œuvre déborde ainsi l’abstraction Expressionniste américaine de la seconde moitié du 20e siècle pour construire des ponts entre les cultures. Son marché s’en ressent, puisque ses œuvres ont intégré bien des collections débordant les frontières américaines : en France, en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Belgique où il a réalisé un triptyque pour le plafond du hall d’entrée du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles,  mais aussi à Hong Kong et au Japon, où il a exposé à deux reprises dans les années 70. De son vivant, Sam Francis fut considéré par la galeriste Martha Jackson comme le “premier peintre américain véritablement international”.

 

De la peinture à la lithographie à quel prix ?

Comptant parmi les peintres les plus importants de notre époque, les œuvres uniques de Sam Francis sont désormais bien cotées. Les acryliques de petits formats se vendent entre 30 000 et 50 000$ aux enchères, et les œuvres mesurant plus d’un mètre valent rapidement entre 100 000 et 500 000$, jusqu’à des résultats multi-millionnaires pour les œuvres les plus importantes.

Parallèlement à cette production de prestige, l’artiste a exploré plusieurs techniques d’estampes, des œuvres originales éditées sur plusieurs exemplaires qui permettent d’accéder à cette signature avec un budget nettement moins élevé. C’est l’imprimeur Tatyana Grosman qui présente pour la première fois la pierre de gravure à Francis qui, envoûté, commence à se l’approprier. Puis, en 1960 à Zurich, naît sa toute première série : 60 lithographies réalisée avec l’imprimeur Emil Matthieu. Il a produit quelque 300 lithographies au total, ainsi que des aquatintes, des gravures et des monotypes, conservés dans les plus grandes collections de musées et d’institutions du monde entier. Un budget compris entre 1 000 et 3 000$ offre des possibilités d’acquisitions régulières en salles des ventes, mais les plus belles lithographies, les plus rares et les plus virtuoses, peuvent grimper à plus de 50 000$.

 

Evolution de l’indice des prix de Sam Francis aux enchères (copyright artprice.com)