Focus sur Lee Ufan. Une œuvre minimaliste et universelle

[02/10/2020]

L’artiste Lee Ufan est un paradoxe déguisé en artiste. A la croisée de plusieurs civilisations, à rebours de la marche du monde, il pousse l’art dans des retranchements que l’on pourra découvrir dans quelques mois dans sa nouvelle fondation à Arles.

« L’art contemporain a besoin de temps ». Lee Ufan

Né en 1936 près de Busan dans une Corée occupée par les Japonais, Ufan LEE reste très marqué par son éducation traditionnelle, la recherche minutieuse du geste parfait en calligraphie, et le temps long nécessaire à tout apprentissage. Arrivé très jeune au Japon, il souhaite y étudier littérature et philosophie, et milite activement pour la réunification des deux Corées. Il surmonte la barrière de la langue non pas en couchant des kanjis sur le papier mais en s’exprimant par son art, en provoquant ce qu’il appelle des « rencontres », où le geste artistique réunit des éléments contre leur propre nature, comme des matériaux naturels et des matériaux industriels. Les médium les plus différents, voire les plus opposés, mis en présence, nous disent quelque chose de l’espace et du temps. Ainsi, un rocher repose sur une plaque de verre brisée en 2011, au Guggenheim de New York, puis une arche en acier usiné haute de 15 mètres se trouve contre-butée par deux gros rochers bruts de nature, ouvrant le regard sur le vert et le bleu du parc royal de Versailles en 2014 (Relatum-The Arch of Versailles).

Le maître de l’École des choses

Les œuvres sont aussi bavardes que leur auteur est humble et discret : les vides d’une toile, le volume d’une sculpture, le rythme d’un motif, la distance entre les éléments, l’ombre et la lumière. Souvent en tension, elles racontent le monde. C’est l’École des choses, la mouvance Mono-Ha, dont Lee Ufan est la figure principale et le théoricien. Ce courant, dans lequel s’illustrent également des figures comme Nobuo SEKINE ou Jiro TAKAMATSU, trouvent un écho dans les courants Arte Povera en Europe ou Land Art aux Etats-Unis. Tout commence véritablement en octobre 1968 avec l’ouverture de la première exposition de sculpture contemporaine en plein air de Kōbe et l’œuvre monumentale Phase-Mother Earth réalisée par Nobuo Sekine. Les travaux se concentrent autant sur l’interdépendance entre ces différents éléments et l’espace environnant que sur les matériaux eux-mêmes. Lee Ufan formule ainsi dès la fin des années 1960, une nouvelle définition de l’art, loin des codes occidentaux. L’artiste devient un matchmaker de formes. Plus de modelage, plus de geste technique de graver, fondre ou couler, plus de travail sur et dans la matière. Il met en présence les éléments, qui se chargent de nous montrer qu’en réalité, si l’on regarde bien, tout ce qu’il y a à voir est déjà là !

Lee Ufan est également une figure du Dansaekhwa, courant entre Corée et Japon qui repousse les frontières de la peinture. Ses représentants triturent la matière, inondent leurs toiles, brossent les couleurs et introduisent l’abstrait. « Dansaekhwa » veut dire littéralement « peinture monochrome » en Coréen. Mis en valeur à Séoul, Tokyo et bientôt Paris, ce mouvement devient la façade de l’art contemporain asiatique en Occident. C’est ainsi que son nom, et ceux de Young-Woo KWON, Dong-Youb LEE, ou Seo-Bo PARK deviennent familiers aux amateurs européens.

Lee Ufan progression du nombre de lots vendusLee Ufan. Progression du nombre de lots vendus (copyright Artprice.com)

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Un artiste très demandé

L’immédiateté de son art, où aucune connaissance ni langage n’est requis, l’expérience proposée au spectateur et la portée philosophique de son travail font leur chemin sur la route de la reconnaissance. En France, où il travaille une partie de l’année, il est exposé au Jeu de Paume dès 1997, puis ce sera la Biennale de Venise en 2007 et 2011, New York en 2011, le Château de Versailles en 2014 et celui de La Coste en 2017. La rétrospective de 2019 au Centre Pompidou de Metz était la dernière occasion de voir son travail, avant l’ouverture, retardée en cette période de pandémie, de sa Fondation à Arles, installée dans le superbe hôtel Vernon, dans lequel l’artiste a invité son ami architecte Tadao ANDO à intervenir. C’est d’ailleurs Ando qui avait déjà imaginé l’écrin de béton brut qui abrite depuis 2010 les œuvres du maître dans le musée Lee Ufan sur l’île-ville de Naoshima.

« Je suis hostile à l’industrialisation illimitée, au consumérisme de masse résultant d’un productivisme effréné. Je suis opposé à ce que les hommes veuillent former le monde selon l’image qu’ils s’en font. Par conséquent, si contradictoire que cela puisse paraître, je crée dans le but de ne pas créer. » Lee Ufan, Tension précaire, Cat. Arles, 2013

Plébiscité par les plus grands musées, incontournable dans les plus grandes foires, représenté par d’importantes galeries (Kamel Mennour, Pace Gallery, Lisson Gallery…), l’artiste bénéficie d’une grande reconnaissance internationale. Avec de multiples résultats millionnaires, ses œuvres sur toile ou sur papier enthousiasment les enchérisseurs en salles de ventes. Longtemps concentré en Asie et notamment à Hong Kong, son marché s’est largement développé aux Etats-Unis depuis 2014, année où sa superbe toile From Line, No. 760219 double l’estimation moyenne de Sotheby’s pour passer les 2,1m$, flirtant avec un record absolu obtenu à Hong Kong en 2012 pour From Point, 1977 (2,2 m$, Seoul Auction). Si l’artiste produit peu, ses oeuvres restent rarement sans propriétaires et son taux d’invendus se situe autour de 16% seulement, ce qui est rare.

Lee Ufan Repartition nombre de lots vendus Lee Ufan. Répartition du nombre de lots vendus (copyright Artprice.com)

Un tel succès peut sembler contradictoire pour un homme opposé à la dérive commerciale du monde en général et de celle de l’art en particulier, mais il ne l’est pas. Toujours en quête d’authenticité, les œuvres philosophiques de Lee Ufan « aident à regarder le temps autrement » avec un langage universel… auquel les collectionneurs du monde entier sont sensibles. De l’Asie aux Etats-Unis, les enchérisseurs ont érigé Lee Ufan comme l’un des 100 artistes mondiaux les plus désirables et performants aux enchères.

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