Focus sur Jordan Casteel

[11/06/2021]

Que de nouveaux artistes attirent l’attention n’est pas un phénomène nouveau. Ce sont surtout les niveaux de prix atteints qui étonnent car certains prodiges se retrouvent propulsés à des niveaux de prix nettement supérieurs que ceux d’artistes contemporains très établis. Le phénomène peut paraître étonnant lors d’une période aussi tendue que celle de la crise sanitaire et pourtant, un millier de nouveaux créateurs nés après 1980 ont fait leur premier pas sur le marché des enchères en 2020 tandis que de plusieurs trentenaires ont vendu des œuvres à plus de 500 000$. Parmi eux, Jordan Casteel s’est imposé comme l’une des grandes figures électrisantes de la “nouvelle peinture afro-américaine”.

“Son audace picturale est arrivée sur la scène américaine au meilleur moment.”

La jeune femme (née en 1989 à Denver) reçoit sa formation artistique à Yale avant de déménager à New York où se tient sa première exposition personnelle (Visible Man) chez Sargent’s Daughters, en août 2014. En 2017, l’influent critique d’art Jerry Saltz (New York Magazine) salue sa “profonde empathie pour la vie intérieure et la conscience de ses sujets” et la déclare “prête à prendre la place qui lui revient sur les premières lignes de la peinture contemporaine”. Quelques mois plus tard, le magazine Forbes la désigne parmi les artistes les plus influents de moins de 30 ans (“30 under 30”)… ses toiles ne tardent pas à s’envoler pour des centaines de milliers de dollars.

Le renouveau du portrait

Jordan CASTEEL observe avant de peindre, dans une perspective pleine d’empathie et d’amour, ses amis, amants, membres de sa famille, voisins dans son quartier d’Harlem. Elle les photographie en détail, accumulant parfois plus de 200 images, avant de travailler ses compositions, fusionnant des éléments issus de plusieurs plans. Son audace picturale est arrivée sur la scène américaine au meilleur moment, en plein renouveau du portrait figuratif lié à l’identité noire.

Le genre si traditionnel du portrait a été profondément reconsidéré en 2018 par les portraits du couple Obama de Kehinde WILEY et Amy SHERALD. 2018… justement l’année où, à l’aube de ses 30 ans, Jordan Casteel entre dans des collections muséales (Crystal Bridges Museum of American Art de Bentonville et MoCA Los Angeles) et qu’elle fait sa première apparition aux enchères. Par la grande porte, puisque Sotheby’s se charge de cette mise à l’encan initiatique avec une toile tout juste achevée offrant un cadrage serré sur les mains d’un lecteur plongé dans Lost tribes and promised lands de Ronald Sanders, ouvrage étayé sur les origines du racisme américain.

Lost Tribes (2018) quadruple alors sa meilleure estimation pour se vendre 81 250 $. La jeune artiste soutenue par la galerie Casey Kaplan (New York) est au début d’une fulgurante ascension.

“En mai dernier, Christie’s a obtenu un tout nouveau record : 687 500 $ pour le grand portrait intime et mélancolique de Jiréh.”

En mars 2019, Christie’s vend Patrick and Omari (2015) pour 394 000 $, cinq fois l’estimation haute, lors de sa vente d’art contemporain de prestige. Un an plus tard, une toile est propulsée au prix de 668 000 $ (Mom, Christie’s Londres, 12 février 2020). Jordan Casteel poursuit cette flamboyante ascension : en mai dernier Christie’s a obtenu un tout nouveau record à 687 500 $ pour le grand portrait intime et mélancolique de Jiréh (2013), parti presque au double de son estimation basse.

Il y a un message politique fort derrière la valorisation de cette jeune de couleur, engagée, qui considère la protestation comme un acte de la plus haute importance. Jordan Casteel fait partie de ce que Tina M. Campt a défini comme la “Renaissance artistique Noire”, une Renaissance artistique, sociale, politique, se traduisant aussi par la “naissance” économique qui refaçonne le marché de l’art actuel.

 

Article Artprice paru dans Diptyk Magazine (diptykmag.com)