Feu William Klein, le visionnaire

[30/09/2022]

Photographe de mode, peintre, designer graphique, photographe abstrait, écrivain, réalisateur, créateur de livres: rares sont ceux qui ont transformé autant de domaines de l’art et de la culture que William KLEIN. Son dynamisme graphique particulier et sa profonde affection pour les luttes de l’humanité coulent à travers le chaos de la vie moderne. Cette énergie, Klein n’en a rien laissé perdre en plus d’un demi-siècle, voire il l’a multipliée.

 

« Nul créateur d’images ne s’est nourri de l’énergie et du hasard de la scène urbaine avec le même appétit que William Klein », écrit l’auteur David Campany dans le livre On Photographs

 

Un photographe hors des clichés

William Klein, l’outsider de la photographie, où celui qui a inventé un langage radical influençant des générations d’artistes est mort à 96 ans à Paris.

Né en 1926 à New York, le jeune Américain découvre l’Europe en faisant son service militaire et s’installe en France après sa rencontre avec le modèle et artiste Jeanne Florin, avec qui il partagera sa vie jusqu’à sa disparition en 2005.

Peintre au départ, élève de Fernand Léger, les années 1950 sont celles de son ascension, où il passe de la peinture abstraite à la photographie grâce à sa rencontre avec Alexander Liberman, directeur artistique de Vogue US. Klein bouscule les codes de la photographie de rue, mais aussi de mode, en étant l’un des premiers à faire sortir les mannequins des studios. Du noir et blanc, des contrastes exacerbés et des images volontairement floues : le grain est fort et assumé. Le photographe fait large usage du grand angle et du téléobjectif, en se démarquant drastiquement de ses contemporains : Helmut Newton, Irving Penn ou encore Richard Avedon.

Il donne naissance à un des livres photo les plus frappants et les plus mythiques de l’histoire, véritable pied de nez à la photo reportage et même à la photo classique: Life is Good & Good for You in New York, Trance Witness Revels consacré à sa ville natale. Il s’assoit sur tous les codes de l’époque et condense des images floues, décadrées donnant libre cours à son dégoût du consumérisme triomphant. Klein intègre dans ses images les typographies de réclames et d’enseignes où l’on devine les prémices du Pop Art. Longtemps décrié dans son pays natal, il faut attendre près de 30 ans pour que son œuvre y soit saluée, elle est en revanche aussitôt et largement accueillie en Europe. Lauréat du prix Nadar en 1957, il résume ainsi son approche de la photographie : « Pas de règles, pas d’interdits, pas de limites ».

Avec Klein, le photographe n’est plus un témoin, mais un acteur de l’image. En prise directe avec les situations dont il capte le mouvement et l’énergie, il signera trois autres livres des rues des grandes capitales mondiales (Rome, Moscou, Tokyo).

 

« J’ai toujours détesté la brume, les effets de draperie, les mises en scène à la con, Je n’étais pas plus convaincu par la photo sentimentale, humaniste, nostalgique et propre, qui dominait au début des années 1950. » W.K. pour le Monde en 2002

 

De la photographie au cinéma

Après l’image fixe, le cinéma s’impose à lui. Ses films témoignent de son engagement politique et lui coûteront son contrat avec Vogue. Réalisateur de films publicitaires, il s’essaie également au documentaire avec notamment Muhammad Ali the greatest (1964) traduisant son engagement en faveur des minorités. Puis, il réalise le court métrage Broadway by light, et son fameux film Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (1966), satire grinçante sur l’univers de la mode. Il pose 20 ans plus tard, ce même regard critique avec In and Out of Fashion et signe également la pochette d’un album de Serge Gainsbourg, où le chanteur apparaît en travesti, une cigarette à la main.

Les contacts peints

Il ne revient à la photographie que de façon détournée : inventant des accrochages d’exposition spectaculaires, où il tire ses images dans des formats immenses, qui se télescopent et se répondent. Klein dans sa volonté de revisiter perpétuellement son œuvre, est à l’origine de ce pont graphique entre la photographie et la peinture qu’il appelle « contacts peints ». Ces fameux négatifs qu’il recouvre de grands coups de peinture acrylique, imitent le geste du photographe qui sélectionne la bonne image. Sa volonté de rendre sensible la genèse d’une photographie, la pudeur des coulisses des images : comme sur le négatif de Gun I, New York, où l’on voit ce fameux gamin, armé d’un pistolet en plastique braqué sur le photographe, tantôt en colère, tantôt rieur. C’est cette même démarche qui l’a conduit à être à l’initiative en 1989 de la série « Contacts », pour la chaîne Arte, collection de films de 13 minutes où les photographes sont invités à commenter leurs épreuves de travail, et à nous faire entrer dans leur processus de création.

Son Marché

William Klein s’est éteint alors que s’achève l’exposition rétrospective de son œuvre à l’International Center of Photography de New York. Représenté en France par la galerie Polka et le Réverbère, il a fait l’objet d’une importante exposition en 2005 au Centre Pompidou à Paris, qu’il a lui-même orchestré. Sa cote monte en flèche après cette grande rétrospective, il signe son meilleur résultat l’année suivante chez Christies NY avec Smoke and Veil, Paris, un tirage gelatino bromure signé et adjugé à 144 000$. En 2012, la Tate de Londres fait dialoguer ses clichés avec ceux du non moins radical photographe japonais Daido MORIYAMA. Majoritairement collectionné aux États Unis et au Royaume Uni, ses photos se vendent à plusieurs milliers de dollars en moyenne. Il signe actuellement sa 2eme meilleure place au classement mondial depuis 2007, selon son produit des ventes aux enchères.