Fernand Léger ou l’éloge de la Modernité

[02/04/2019]

L’art de Fernand Léger est unique dans la production du XXe siècle. Son esprit d’indépendance et son avant-gardisme ne sont pas éteints. Les musées, comme le marché, ne cessent de lui rendre hommage.

Fernand LÉGER découvre l’œuvre de Cézanne en 1907. C’est un électrochoc : Cézanne lui ouvre la voie du cubisme et de l’abstraction. Installé à « la ruche » dès 1910, il y rencontre les plus grands de l’avant-garde naissante, Pablo Picasso et Georges Braque. Leurs recherches exercent bien sur une certaine fascination sur le jeune artiste, mais Léger garde néanmoins ses distances vis à vis des canons cubistes. Sa palette reste très colorée (contrairement aux tonalités terreuses adoptées par les cubistes), et son graphisme tubulaire. Le Cubisme de Léger est si personnel que la critique le classe à part : c’est un Tubiste, traitant les éléments dans l’espace de manière cylindrique. En 1912, il expose à la Section d’Or et signe, un an plus tard, un contrat d’exclusivité avec le fameux marchand Daniel-Henry Kahnweiler. Tout s’enclenche merveilleusement bien, jusqu’à ce que la première Guerre Mondiale éclate. L’artiste va en faire l’expérience douloureuse de 1914 à 1917. Mobilisé, il sera sapeur chargé des travaux de génie, puis brancardier sur le front de l’Argonne à Verdun. Gazé, il échappe au front et reprend les pinceaux pendant sa convalescence. Cette terrible expérience de la guerre transforme l’homme autant que son art. Au beau milieu du chaos des bombes, l’artiste se souvenait avoir été « ébloui par la culasse d’un 75 millimètre brillant au coucher de soleil, par la magie de la lumière sur le métal nu »… De la guerre, il rapporte l’esthétique de la machine et l’esprit de la technique.

L’œuvre prend un tournant après la première guerre mondiale lorsque l’artiste aborde le machinisme. C’est le début de la « période mécanique », une obsession de la machine représentée par la toile Le Disque de 1918, collision de formes géométriques et d’avions crashés. Passionné de cinéma et fan de Charlie Chaplin, il sort des médium traditionnels et explore ce qu’il existe de plus moderne à l’époque : le cinéma. Il réalise en 1924 Le Ballet Mécanique, une merveille expérimentale de 12 minutes avec la participation de Man Ray à la caméra. C’est également la période d’un retour des personnages dans son œuvre. Des figures d’acrobates, d’ouvriers, de personnages à la plage, en un mot, des femmes et des hommes anonymes qui l’entourent. Dans sa monographie, Werner Schmalenbach rappelait que l’artiste était « obsédé par son devoir en tant que peintre du temps présent ». Léger se donne pour mission de concilier la modernité à l’esprit populaire.

Rapidement accroché dans les plus grands musées européens, deux grandes expositions le consacrent aussi à l’Art Institute de Chicago et au MoMA de New York, en 1935. Ayant déjà vécu une guerre, c’est ici, à New York, qu’il choisit de fuir la seconde en 1940. Il s’y installe, de même que de nombreux autres artistes et intellectuels européens. Son style s’assouplit alors, en jouant sur la transparence des aplats colorés et en dissociant la couleur du dessin. De retour en France en 1945, Louis Carré organise une grande exposition de ses travaux américains. Son nom est déjà célèbre et son œuvre entre dans l’histoire.

Des prix de plus en plus fous

Artiste emblématique de l’ère moderne, Léger fait parti des élus du marché dont le prix des meilleurs œuvres est soumis à une demande extrêmement puissante et passionnée. Le prix d’une même œuvre peut être fortement revalorisé sur une courte durée. Il en va ainsi d’une toile de 1920, intitulée La Femme couchée qui a gagné deux millions de dollars en huit ans. La Femme couchée est un nu tubulaire typique, accompagné d’une nature morte d’une grande modernité. Cette œuvre se trouve être par ailleurs une préparation au chef-d’œuvre intitulé Le Grand déjeuner, achevé en 1921. Vendue pour 3,4m$ en 2007 (Sotheby’s, New York), La Femme couchée a terminé sa course à 5,3m$ frais inclus en 2015. Cet exemple de plus-value donne la mesure de la considération de Léger auprès des grands acteurs du marché de l’art haut de gamme. Mais les œuvres majeures sont évidemment une denrée de plus en plus rares, ce qui pourrait porter les prix bien plus haut encore, et il est fort possible que cet artiste passe un jour lui aussi le seuil des 100m$. Pour l’heure, son record absolu affiche 70m$. Un sommet atteint le 13 novembre 2017 lors d’une vente d’art Impressionniste et Moderne de Christie’s organisée à New York. La toile ainsi récompensée est sans conteste un bijou : elle porte pour titre Contraste de formes et représente une explosion de formes et de couleurs, composée autour d’un réseau de lignes fortes. Il s’agit d’une œuvre issue d’une rare série comprenant 14 toiles, une recherche de l’abstraction pure, au-delà du Cubisme. Le fin du fin pour tout amateur de Fernand Léger. Mais le marché n’est pas fait que de résultats millionnaires… La production étant très diversifiée, elle couvre un éventail de prix assez large et la moitié des œuvres s’échangent pour moins de 5000$. C’est à New York que l’on trouve l’essentiel des ventes de peintures et c’est là que je joue 82% du chiffre d’affaires de l’artiste (depuis 2017). Mais les maisons de ventes françaises drainent 30 % des lots, des œuvres moins muséales et de fait plus abordables qu’à New York.

 

L’oeuvre de Fernand Léger exerce toujours son pouvoir d’attraction auprès du public et l’actualité lui réserve toujours une place de choix. L’année dernière, l’exposition intitulée Le Beau est partout, organisée à Bozar Bruxelles, la première rétrospective de l’artiste en Belgique depuis 1956, explorait l’enthousiasme de Léger pour la technologie de son époque, et l’influence de son travail et de son enseignement sur toute une génération d’artistes comme Louise Bourgeois, William Klein ou même Serge Gainsbourg. L’Angleterre a pris le relais en début d’année avec une quarantaine d’œuvres majeures réunies à la Tate Liverpool dans l’exposition Fernand Léger : New times, new pleasures. Sur le Marché des enchères, la vente de ses oeuvres a généré 69,2 m$ en 2018, un chiffre qui emmène l’artiste à la 37e position du classement mondial par produit de ventes, derrière Constantin Brancusi et Paul Gauguin.