Fabienne Verdier : une peinture-vérité qui trouve sa voie sur le marché de l’art

[29/12/2023]

Véritables respirations dans le foisonnement de la création actuelle, les œuvres dépouillées de Fabienne Verdier sont en cours de revalorisation sur le marché des enchères. 

 

Au début de l’année 2023, Fabienne Verdier exposait à Colmar en dialogue avec les collections de maîtres anciens et modernes du Musée Unterlinden. Elle y présentait notamment de nouvelles toiles, inspirées de ses échanges avec son ami astrophysicien Trinh Xuan Thuan. Sous le titre Le Chant des étoiles, l’exposition a donné naissance à la série des Rainbow-paintings, inspirée par l’aura chromatique au dos du célèbre retable de Grünewald (côté Résurrection) : un travail autour de la lumière et des ondes d’énergie.

En dialoguant avec l’ensemble des grands artistes et des grandes forces qui agitent le monde, Fabienne VERDIER participe pleinement à la mutation perpétuelle des formes. Elle renouvelle aussi le dialogue pictural et philosophique initié par l’artiste chinois Zao Wou Ki, le premier à réussir une véritable symbiose entre la Chine et l’Occident. Ayant absorbé l’essence de la calligraphie chinoise dans ses jeunes années, Fabienne Verdier la porte en effet vers d’autres voies, avec des techniques renouvelées et dans un esprit pleinement contemporain. 

Evolution du résultat annuel aux enchères de Fabienne Verdier (copyright Artprice.com)

Dix ans de quête aux sources de la calligraphie 

Fabienne Verdier assume très tôt un désir de devenir peintre qui déplait fortement à ses parents. Ceux-ci tentent de la décourager mais la jeune femme fait déjà preuve d’une motivation solide doublée d’un esprit rigoureux qui vont porter son parcours hors du commun. Après avoir été gratifiée majore de sa promotion à l’école des beaux-arts de Toulouse, elle traverse une période de profonde remise en question au point qu’elle refuse de poursuivre ses études à Paris. Elle se prépare à tout quitter, d’autant que le besoin d’innovation qui agite l’esprit créatif des années 1980 l’exaspère. Lorsque la ville de Toulouse opère un jumelage avec Chongqing, dans le Sichuan, Fabienne Verdier demande à être envoyée sur place dans le but d’être initiée à l’art pictural et calligraphique chinois. Nous sommes en 1983 lorsqu’elle devient la première étudiante occidentale acceptée dans la Chine communiste. Néanmoins, elle ne trouve pas ce qu’elle est venue chercher dans un enseignement officiel chinois où domine le réalisme socialiste et sa peinture formatée. La révolution culturelle a détruit ce qu’elle pouvait des traditions ancestrales chinoises, jusqu’à couper les mains des calligraphes.

La jeune peintre n’abandonne pas pour autant et se met en quête d’un enseignant à l’envergure de son aspiration, dès lors qu’elle commence à maîtriser le mandarin et le sichuanais. Les derniers détenteurs de la tradition millénaire calligraphique sont des chinois très âgés, peu enclins à accueillir une jeune occidentale dans leur atelier. Privé de ses mains par les révolutionnaires, le premier Maître qu’elle rencontre l’oriente vers un autre qui refuse d’abord catégoriquement de transmettre son savoir. L’obstination de Fabienne Verdier conquiert finalement le cœur de cet homme, Maître Huang Yuan, qui la prend sous son aile.

L’enseignement de Maître Huang Yuan implique une longue ascèse pour la jeune peintre. Pendant dix ans, il l’oblige à travailler sur les différentes gammes du noir et à la copie astreignante de nomenclatures et de textes dans le but de comprendre la technique mais aussi l’esprit des Anciens. La calligraphie est une philosophie nourrie d’un rapport taoiste au monde : elle vise au trait de vérité où geste et matière se confondent dans l’unité de l’être vivant. Il s’agit d’une initiation longue et rigoureuse qui modifie totalement son regard sur les choses.

De retour en France, Fabienne Verdier trouve la voie de sa propre abstraction. Sans rester dans la tradition chinoise, elle en conserve la quête d’essentiel et de simplicité, l’élégance et le sens du sacré. Elle adopte des outils modernes : intervient sur des toiles de lin, utilise la couleur avec les verts de Titien et les bleus de Piero della Francesca et fabrique de  gigantesques pinceaux en crin de cheval qui donnent à sa peinture une nervosité, une vigueur extraordinaire. Pour faciliter le maniement dans l’espace de cet outil extrêmement lourd une fois gorgé de peinture, l’artiste y greffe le guidon de son vélo. Au-dessus d’une toile posée au sol, elle guide avec fluidité l’immense pinceau mue par l’énergie de tout son corps mis en mouvement. L’artiste entame une danse au-dessus de la toile pour transformer son intention en formes abstraites, à la fois simples et complexes.

 

Fabienne Verdier au classement mondial (pdv aux enchères, copyright Artprice.com)

Une oeuvre enfin plébiscitée sur le marché international des enchères

Toute absorbée par la rigueur de son travail plastique, Fabienne Verdier n’a pas privilégié sa stratégie d’émergence sur le marché de l’art. Au début des années 2000, elle est soutenue par les galeries Alice Pauli et Jaeger Bucher mais ses œuvres restent confidentielles, et totalement absentes aux enchères. Elle intéresse cependant les musées français, dont le musée Cernuschi et le Centre Pompidou qui intègrent ses œuvres à leurs collections permanentes, respectivement en 2003 et 2007.

Aujourd’hui, l’artiste est encore peu représentée dans les ventes internationales mais cela pourrait changer car son travail commence à être bien reçu en-dehors des frontières hexagonales : l’une de ses toiles a dépassé le seuil des 100 000$ en 2018 à Hong Kong (Sotheby’s) et une autre à fait de même à New York cette année, pour le tout premier passage aux enchères new yorkais de l’artiste (151 200$ pour Cercie – Ascese (from Silencieuse Coincidence), le 15 mars 2023 chez Leslie Hindman à Chicago).

 

Distribution géographique du produit des ventes aux enchères de Fabienne Verdier (copyright Artprice.com)

 

Par ailleurs, le marché intérieur français enregistre cette année son nouveau record personnel à hauteur de 431 200$ pour une toile intitulée Ascèse (2006). Ce sommet marque un cap important car, en plus de doubler le précédent record de l’artiste, il la hisse au neuvième rang des contemporains français (nés après 1945 selon la classification d’Artprice) les plus performants aux enchères, en termes de produits de ventes annuel.

Les grands contemporains français sont habituellement moins cotés que leurs homologues américains, anglais ou chinois et Fabienne Verdier est l’une des rares artistes françaises dont les œuvres sont plébiscitées à plus de 100 000$. Sa cote s’est construite avec le temps, loin des velléités spéculatives du marché, graĉe à l’implication de galeries qui diffusent désormais son oeuvre dans six pays différents : la galerie Custot l’expose à Londres et à Dubaï, la galerie Lelong à Paris et New York, la galerie Alice Pauli à Lausanne et la galerie Derom à Bruxelles. Ce maillage international apparaît comme essentiel pour construire une cote solide. Ici encore, la patience paiera…

 

Article Artmarket paru dans notre magazine partenaire Gestion de Fortunes