État des lieux du marché de l’art africain

[23/07/2024]

L’art africain s’aligne sur le ralentissement général du marché de l’art mondial, tout en poursuivant activement sa quête pour se structurer et consolider sa position.

Après une année 2023 tumultueuse marquée par les conflits en Ukraine, en Palestine, et au-delà, le marché de l’art a continué de subir des pressions en 2024. Les ventes aux enchères ont enregistré une baisse significative, avec près de la moitié moins d’adjudications millionnaires (-45%) par rapport au premier trimestre 2023, entraînant une chute spectaculaire de 36% du produit des ventes mondiales.

L’essor du marché de l’art africain se tasse, tout comme celui de la Chine après le début des années 2000. Cependant, cette phase pourrait se révéler bénéfique pour l’art africain en offrant une pause nécessaire pour réévaluer les tendances spéculatives des années précédentes et pour distinguer les artistes émergents. Cette période de transition est susceptible de céder la place à une phase de consolidation, soutenue par une demande continue et par l’engagement ferme des institutions, des galeries et des maisons de ventes qui œuvrent sans relâche pour promouvoir la création africaine sur la scène mondiale.

De l’euphorie au repositionnement

En moins d’une décennie, une révolution s’est opérée. L’intérêt pour l’art africain et de la diaspora est devenu une tendance majeure, transformant radicalement le paysage artistique et le marché. Ce phénomène a pris son envol entre 2016 – lorsque Kerry James Marshall a établi un record de vente à 2 millions de dollars – et 2018, lorsqu’il a franchi la barre des 20 millions de dollars avec sa toile “Past Times” chez Sotheby’s à New York. C’est à partir de là que la frénésie pour les œuvres d’artistes africains et afrodescendants a véritablement explosé.

Une poignée d’artistes tels que Njideka Akunyili CROSBY, Michael ARMITAGE, Toyin Ojih ODUTOLA, Otis Kwame Kye QUAICOE, Kudzanai-Violet HWAMI sont devenus les nouvelles étoiles montantes du marché de l’art, atteignant parfois des prix dépassant le million de dollars sur les grandes places de ventes. Les événements sociopolitiques des quatre dernières années, marqués par la mort tragique de George Floyd et la résurgence du mouvement Black Lives Matter, ont intensifié l’attention portée à l’Afrique et à sa diaspora, notamment du point de vue des professionnels de l’art.

Les acquisitions des grands musées tels que le Centre Pompidou, la Tate Modern et le MoMA ont solidifié la présence institutionnelle des artistes africains et de la diaspora. Dans le monde des enchères, nous avons été témoins d’un véritable boom, d’une ruée vers ces artistes, entraînant un record de ventes en 2022 avec plus de 2700 œuvres adjugées, marquant ainsi un rythme de transactions ayant pratiquement doublé en deux ou trois ans. Cette période a également été marquée par la montée en puissance d’Amoako BOAFO, dont le record passé de un à trois millions de dollars à Hong Kong entre 2020 et 2021 symbolise la percée spectaculaire des artistes africains contemporains sur la scène internationale.

Derrière ces chiffres impressionnants se cachent également des spéculations effrénées. Certains acheteurs ont saisi l’opportunité du marché haussier pour réaliser des plus-values rapides, faisant gonfler les cotes de plusieurs artistes de manière exponentielle, parfois trop rapidement. Après le pic de 2022, la chute a été brutale pour certains : Aboudia DIARRASSOUBA, artiste américano-ivoirien dont les œuvres s’échangeaient à plus de 500 000$ en 2022, a vu le produit de ses ventes aux enchères divisé par quatre en 2023. De même, Isshaq ISMAIL du Ghana, dont les œuvres atteignaient plus de 300 000$ en Chine et au Royaume-Uni en 2022, n’a pas réussi à obtenir plus de 19 000$ aux enchères au cours du premier trimestre 2024. Cette volatilité du marché est souvent éprouvante pour les artistes émergents, et après une phase d’euphorie, les acheteurs devront adopter une approche plus stratégique et mesurée pour bâtir un marché plus solide.

Évolution de la position d’Ismail au classement mondial selon son produit des ventes aux enchères

Bien que les artistes établis semblent à première vue moins exposés aux fluctuations du marché, la réalité est tout autre : les prix ont atteint des sommets tels que même les artistes contemporains les plus renommés rencontrent des difficultés à se vendre aussi facilement qu’auparavant. Les marchés de Boafo et d’Anatsui illustrent parfaitement cette tendance : malgré leur grande notoriété, le prix de leurs œuvres est devenu si fort que les collectionneurs se font plus rares. Près du quart de leurs œuvres proposées aux enchères sont désormais invendues, une situation qui était impensable il y a seulement deux ans. Cette évolution reflète un changement significatif dans le comportement des acheteurs, qui se montrent plus sélectifs et prudents dans leurs investissements artistiques.

Prudence et patience sont de mises

Le marché de l’art africain a relevé ses premiers défis de 2024 au mois de mars. Au Cap, la vente Strauss & Co du 19 mars a été fructueuse pour Alexis PRELLER, avec une œuvre vendue à 230 000$ et une autre à 180 000$. Cependant, deux jours plus tard à Londres, la vente Sotheby’s du 21 mars a vu un chef-d’œuvre du même Preller ne pas atteindre des attentes autour de 300 000$ et être ravalé. Rien n’est joué d’avance, surtout lorsque les enjeux sont élevés.

Malgré cela, le bilan général de cette vente d’art moderne et contemporain africain de Sotheby’s reste positif, avec trois quarts des lots vendus et deux artistes, Olaolu SLAWN et Frédéric BRULY BOUABRÉ, établissant de nouveaux records personnels bien au-dessus des estimations, respectivement à 40 000$ et 80 000$. Ainsi, si les millions ne pleuvent plus, des records tombent toujours pour des artistes établis dont les œuvres sont proposées à des prix raisonnables. Concernant la jeune génération – Kwesi Botchway, Gideon Appah, Cornelius Annor, et d’autres – la demande reste vivante, bien que plus sélective. Les œuvres sont choisies avec soin et les enchères ne dépassent généralement pas les estimations basses.

Évolution du produit des ventes aux enchères de Frédéric Bruly Bouabré (copyright Artprice.com)

Cette période de ralentissement du marché offre des opportunités d’achats particulièrement intéressantes, notamment pour les amateurs de nouveaux artistes. Les jeunes africains introduits aux enchères trouvent leur public à des prix très accessibles, à l’instar de Joseph Munyao Mutuku BARAKA (1998) dont la grande toile Good Morning (2022) n’a coûté que 3 550$ lors d’une vente en ligne de Sotheby’s en mars dernier.

Devenus plus prudents et exigeants, les collectionneurs recherchent aujourd’hui des prix justes et de quoi nourrir leurs réflexions. Cette période de transformation du marché de l’art africain n’est donc pas morose, mais exaltante et pleine de promesses. Le marché se redessine face à une multitude de défis passionnants, tandis que son influence s’étend toujours à l’échelle mondiale.

 

Article Artmarket by Artprice publié dans notre magazine partenaire Diptyk.