Entretien avec Guillaume Piens, commissaire général d’Art Paris Art Fair
[01/09/2020]Reportée de cinq mois à cause de la crise sanitaire liée au Covid19, Art Paris Art Fair renait au Grand Palais du 10 au 15 septembre 2020. Son directeur général, Guillaume Piens, a répondu à nos questions.
Vous êtes très en lien avec les galeries… Comment avez-vous vécu l’arrivée de la crise au printemps ?
Cela a été pour tous un moment de sidération, l’impression terrible d’être face au vide et à l’inconnu et bien sûr en ce qui nous concerne une vive déception de ne pas pouvoir réaliser une édition dont la préparation nous mobilise pendant 12 mois, sans parler des conséquences dramatiques pour nos galeries.
Quels ont été les changements de cap adoptés ?
Nous avons d’abord reporté (à trois semaines de l’ouverture) la foire à fin mai 2020. Puis nous avons dû l’annuler le 14 avril suite à l’interdiction de tout rassemblement jusqu’à la mi juillet. Nous avons développé une édition 100% numérique en mai. Fin juin, la Biennale des antiquaires ayant annulé sa session prévue du 9 au 13 septembre, nous avons donc profité de cette opportunité pour relancer une édition physique de la foire en septembre. Nous serons finalement le 1er rendez-vous culturel du calendrier européen.
Comment a fonctionné la version “only online” d’Art Paris? Quelles conclusions en tirez-vous ?
Nous avons notamment investi l’espace virtuel avec Art Paris Live sur le site www.artparis.com avec la mise en place d’outils numériques et de contenus pour offrir une expérience immersive et interactive de la foire : plan interactif, mini-site pour chaque galerie avec visite virtuelle en 3D des espaces des galeries parisiennes ou des stands modélisés en 3D sous la verrière du Grand Palais par OnlineViewingRoom.com dans lesquels le visiteur pouvait découvrir chacune des œuvres de façon détaillée. Pour ce qui concerne l’interactivité, il y avait la possibilité de contacter la galerie directement par email ou par contact vidéo à la manière d’un zoom. 80 galeries, soit 53% de nos exposants ont accepté de se prêter au jeu, beaucoup étant encore sceptiques sur le numérique et les foires en ligne.
Nous avons reçu beaucoup de compliments sur la qualité de notre édition numérique et l’innovation dont nous avons fait preuve. Une centaine d’œuvre ont été vendues mais a des petits prix dans une fourchette allant de 2 500 euros et 15 000 euros. Nous avons constaté une hausse importante du trafic sur notre site et sur ceux de nos galeries qui ont rencontré pour certaines un nouveau public
Ma conclusion personnelle : rien ne remplace la foire physique, mais le volet numérique agit en complément. C’est utile pour découvrir les galeries et leurs artistes et c’est devenu un moyen d’information essentiel pour les collectionneurs.
Guillaume Piens. Photo Chiara Santarelli
.
Quelles sont les mesures prises pour la sécurité et le confort de cette édition 2020 ?
Cette édition qui bénéficie des autorisations législatives, préfectorales et du feu vert de la Rmn-GP, a fait l’objet d’un renforcement des mesures sanitaires afin de garantir un haut niveau de confort et de sécurité à tous nos exposants et visiteurs.
Le plan de la foire a été revu : suppression des stands en balcon le long des murs du Grand Palais, des vestiaires et du lounge VIP, élargissement de l’allée centrale, des espaces de repos et de restauration. Hormis pendant la période de montage et démontage, il n’y aura qu’une seule entrée principale Avenue Winston Churchill avec gel hydro-alcoolique et masques à disposition dont le port sera obligatoire à l’intérieur de la Nef.
La jauge a été limitée à 3 000 personnes à l’instant T au lieu de 5 000 personnes permettant un minimum de distanciation sociale de 1 personne pour 2m2.
Le vernissage a été lissé sur 5 jours afin d’étaler le flux des visiteurs dans la durée, avec une ouverture professionnelle mercredi 9 septembre de 11h à 20h réservée aux porteurs de la carte VIP,PRESTIGE et des pré-ouvertures du jeudi au dimanche de 10h à midi pour les porteurs de badges VIP,PRESTIGE et DAILY PREVIEW.
Quels sont les atouts d’Art Paris Art Fair pour parler au mieux de la scène artistique française ?
Art Paris accueille une majorité de galeries françaises et donne également une place particulière aux galeries en région. Elle a donc une légitimité naturelle à représenter la scène française qui comme on le sait est une scène riche et diverse mais ne bénéficie pas d’un soutien suffisant de la part des collectionneurs et institutions en France.
Il y a par ailleurs, la volonté d’Art Paris de valoriser la scène française en confiant à un(e) commissaire invité(e) une sélection d’une vingtaine d’artistes exposés par les galeries participantes. Ce fut d’abord les artistes en marge de l’histoire avec François Piron en 2018, les artistes femmes en France avec Camille Morineau et son association AWARE en 2019, puis la question de la narration et du récit développé par Gael Charbau pour la prochaine édition.
Ces focus donnent lieu à l’écriture d’une notice pour chaque artiste qui permet au public de mieux saisir l’importance d’un travail et de le replacer dans le contexte d’une histoire de l’art en train de se faire.
Comment avez-vous travaillé l’axe international du salon cette année ?
Le travail sur l’Amérique latine nous a amenés en rentrer en contact avec de nombreuses galeries de la péninsule ibérique. Il nous a paru naturel de glisser vers cette partie de l’Europe et d’y arrêter notre regard.
La sélection 2020 accueille également des galeries reliées à des focus thématiques que nous avons développés au cours des précédentes éditions. On constate par exemple le retour de galeries coréennes (la Corée à fait l’objet d’un focus en 2016) et la présence de galeries africaines (l’Afrique ayant l’objet d’un focus en 2017). Il est intéressant de constater que le travail en profondeur qui a été mené vis-à-vis de certaines scènes a su créer de vrais liens avec les galeries.
Pourquoi les artistes contemporains espagnols et portugais n’ont pas plus d’échos sur la scène internationale ?
Tout simplement par ce que les budgets de promotion ont été coupés depuis la crise financière de 2008. Il y a d’excellents artistes en Espagne et au Portugal dont le travail ne franchit pas leur frontière respective.
Quelles sont les propositions pour qu’Art Paris Art Fair reste « une foire de passion et non de spéculation » ?
C’est d’abord le choix au niveau de la sélection de privilégier des galeries de taille moyenne qui font un travail singulier et font découvrir de nouveaux artistes – la découverte étant le contraire de l’investissement spéculatif.
C’est ensuite tout une attitude et une démarche qui est inclusive et non exclusive. Par exemple faciliter les rencontres entre le public et les galeristes en offrant aux VIP invités une visite décryptage de la foire réalisée en collaboration avec l’Observatoire de l’art contemporain.
Selon vous, comment pourrait évoluer la place de Paris sur le Marché de l’Art international ?
Je pense que Paris a tous les atouts pour devenir la capitale culturelle de la nouvelle Europe. Des galeries étrangères s’installent. De nouveaux lieux ouvrent et de nombreux projets sont cours en vue des Jeux Olympiques de 2024 qui vont accélérer la transformation de Paris en capitale mondiale pour l’art.
Enfin, à quoi s’attendre pour Art Paris 2021 ?
Art Paris sera la première foire à investir le Grand Palais éphèmère au Champ de Mars, ce qui va créer beaucoup de curiosité et d’intérêt. Par ailleurs je pense que les foires régionales comme Art Paris ont un avenir. Elle s’appuie sur un éco-système, dense et riche, nationale et locale, de collectionneurs, fondations, musées, et galeries qui fait de Paris aujourd’hui l’une des capitales mondiales de l’art.