En Bref! Nicolas De Stael – Etel Adnan – Philippe Pasqua

[10/08/2018]

Nicolas de Staël ou l’art de l’épure

Onze mois pour un drame amoureux, l’épreuve de la solitude et le refuge éperdu dans le travail. Entre juillet 1953 et juin 1954, Nicolas DE STAËL (1914-1955) séjourne en Provence. Il peint plus de 300 toiles sur un catalogue raisonné qui en compte un peu plus de mille. Neuf mois plus tard, en mars 1955, il y met un point final en se jetant du haut de la terrasse de son atelier d’Antibes. Cette période si particulière est pour la première fois mise en avant de manière très intimiste à l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence, jusqu’au 23 septembre 2018. 71 peintures et 26 dessins ont été choisis par Gustave de Staël, son dernier fils, et Marie du Boucher, sa petite-fille.

Avec le soleil de Provence, tout change : Nicolas de Staël y avait progressivement abandonné sa palette de tons sombres et mats et se gorgeait de paysages irisés. En Provence, Staël peint toujours en atelier, de mémoire et d’impressions engrangées. Sa palette s’éclaire et il s’autorise une liberté totale avec la forme. Les valeurs s’inversent, chamboulées par le mistral. Les grands aplats de violets figurent la terre, sous le couteau le ciel devient vert et les arbres rouge.

C’est aussi cette époque provençale qui a le plus de succès en salle des ventes, et le printemps 2018 s’est ouvert sur un record absolu pour Nu Debout (1953) cédé 12,1 m$ chez Christie’s à New York (17 mai 2018). Entre 1952 et 1953, Nicolas de Staël peint 31 tableaux de fleurs, dont le plus grand format, sobrement intitulé Fleurs, est tout droit sorti de sa découverte du travail de Van Gogh à l’occasion de l’exposition consacrée à la nature morte au Musée de l’Orangerie en 1952. Partie pour 9,7m$ en juin dernier chez Christie’s Paris, cette toile fait partie de la première présentation d’envergure aux États-Unis, à la galerie Knoedler en mars 1953. A la suite de cet événement, il signe un contrat d’exclusivité avec Paul Rosenberg, le célébrissime marchand d’art de New York, qui va l’imposer en Amérique. Et c’est pour lui que Nicolas de Staël s’immerge dans la peinture, afin d’étoffer l’exposition prévue à New York en 1954. Le Nu debout détenteur de son record depuis mai, vient de cette mise à l’écart volontaire, de ce tête à tête avec ses toiles et son amour dérobé. Le troisième amour de sa vie, Jeanne Matthieu, se refuse à tout quitter pour lui. Inlassablement et en grand format, il la peint de mémoire. Il s’engage tout entier dans un corps à corps avec la matière et tend vers un idéal de l’épure et de l’essentiel. Cette toile de 146 x 89 cm s’était déjà vendue en salle, pour 6 m$ chez Artcurial en juin 2013. Cinq ans plus tard, elle a doublé la mise, pulvérisant son estimation haute pour finir à plus de 12m$. Un record en forme d’hommage pour une période aussi créative que tourmentée pour l’artiste.

 

Etel Adnan. Une artiste prometteuse de 93 ans !

Philosophe et poétesse, peintre et tisseuse, Etel ADNAN (1925) est une artiste rare. De son errance entre trois mondes (le Liban, les Etats-Unis et la France où elle vit désormais), elle a fait une force. Etel Adnan parle plusieurs langues plastiques et conjugue écriture et peinture dans ses créations poétiques.

D’abord, dans la vie d’Etel, il y a eu l’écriture (romans, essais, textes de chansons…). La peinture est arrivée timidement, presque par hasard, dans les années 60. A l’abri derrière la fenêtre de sa maison de la baie du Sausalito à San Francisco, l’artiste peint l’horizon qu’elle observe: cette montagne chérie (le mont Tamalpais), évocatrice des montagnes libanaises de son enfance. La montagne devient un col rond, ses pentes, des lignes dynamiques, et le soleil est un disque. Aux frontières de l’abstraction, ses toiles respirent calme et sérénité. Les couleurs, vives, sont appliquées à la spatule ou au couteau, sans que jamais elles ne se mélangent. Etel se souvient des aquarelles de Paul Klee qu’elle aime tant. Elle affectionne aussi les leporellos (orihon en japonais), des carnets de croquis en accordéon, dans lesquels elle mélange dessin, écriture arabe et poésie. En mariant ainsi l’essence de l’art pictural arabe (la calligraphie) à un format venu d’Asie, Etel Adnan offre une contribution inédite à l’art contemporain.

Miracle de l’art ou hasard du succès, la montagne inspire toujours Etel Adnan, et quarante ans après ses débuts confidentiels, la plasticienne fait parler d’elle à l’international. En 2012, ses toiles aux petits formats caractéristiques font sensation à la Documenta de Kassel. Elle multiplie depuis les expositions: en 2014, elle est invitée à la biennale du Whitney Museum à New York ; l’Institut du Monde arabe lui offre sa première rétrospective française en 2017 ; cet été, elle est à l’honneur au Zentrum Paul Klee de Zurich, avant son solo show au Moma de San Francisco l’hiver prochain.

Le marché des enchères palpite également à l’évocation de son nom. Les œuvres de cette « nouvelle venue » sont encore rares en salles des ventes (moins de 30 depuis 2011), mais la fréquence s’accélère ces toutes dernières années: ses créations apparaissent aux catalogues des prestigieuses Sotheby’s, Christie’s, Phillips, et les acheteurs sont au rendez-vous. A l’automne 2017, un leporello aquarellé a été adjugé 40 000 $ (Ink pots, 2004, AT Auction, Beirut), contre une estimation de moins de 30 000 $. En juin dernier, deux petites toiles proposées chez Sotheby’s à Londres sont parties au-dessus de leurs estimations hautes, pour 46 000 $ et 52 500 $. De jolies enchères pour une artiste prometteuse de 93 ans !

 

Phillipe Pasqua, une rétrospective monumentale

Après l’exposition Borderline au musée océanographique de Monaco, le domaine de Chamarande dans l’Essonne consacre une première grande rétrospective française à l’artiste Philippe PASQUA (1965). Intitulée Allegoria signifiant littéralement parler par l’image, l’exposition prend tout son sens dès l’entrée avec Who could be scared : requin de 10 mètres en inox rutilant, exhibé comme une potence interrogeant l’homme sur sa condition. Huit sculptures monumentales s’imposent dans ce vaste jardin à la nature luxuriante et la confrontation est poignante. Le spectateur est pris a parti entre son reflet dans les œuvres à la finition léchée et cette dualité omniprésente entre la vie et la mort qui nourrit œuvre après œuvre une création intrigante.

Chez Pasqua, la démesure va de pair avec une attirance pour ce qu’il y a de plus vulnérable: le corps et les visages. C’est pourquoi les espaces intérieurs du domaine sont pourvus de toiles aux dimensions écrasantes où laideur et beauté se télescopent au travers de portraits d’enfants handicapés, de prostituées ou encore de personnes transgenres, donnant une dimension collective à ses émotions. Plusieurs installations dont Santa Muerte présentant le squelette d’une tortue géante en bronze prise dans des filets et le chant des méduses, benne immaculée débordante de méduses en verre révèlent également la sensibilité de l’artiste autour de la préservation des océans. Mais on ne peut envisager une rétrospective sans admirer au moins l’une de ces vanités qui ont tant participé à sa renommée et, cette fois-ci, l’exercice dépasse les précédents avec un crâne brûlé de six mètres de haut orné de papillons avoisinant les trois mètres chacun.

Seulement le monumental a un prix, qui plus est lorsque les sculptures sont dorées à l’or fin… 34 440 € pour une vanité aux papillons d’1 m³ récemment vendue chez Cornette de Saint Cyr. Pour espérer en acquérir une avoisinant les 50 cm, il faut débourser un minimum de 5 000 €. Une peinture de la série Vanité sera mise en vente le 8 septembre chez Le Chesnay Enchères à Versailles, mise à prix à 7 800 € (9 040 $). Pasqua, qui se plait à jouer avec les codes du luxe, voyait se vendre sa Lamborghini Superleggera gainée de cuir à la carrosserie intégralement tatouée, pour 450 000 € (soit 605 000$) en 2014, à l’hôtel des ventes de Monte-Carlo. Un record inégalé depuis. Méconnu il y a 20 ans, l’artiste s’est imposé sur le marché de l’art français et aux Etats-Unis, ou se joue environ 10% de son produit de ventes.