En Bref ! Lehanneur – Morellet – Giacometti

[16/02/2018]

50 nuances de bleu chez Christie’s

“Les Inuits ont 50 mots pour définir la neige, j’ai sélectionné 50 teintes pour définir la mer”. Passionné de science, de nature et de technologie, le designer Mathieu LEHANNEUR signait l’exposition 50 Seas, chez Christie’s Paris du 18 janvier au 2 février 2018 : un nuancier des mers du globe sous la forme de cinquante disques de céramique, conçus comme autant d’échantillons de bleu, du Golfe de Guinée à la Baie d’Hudson, en passant par le Golfe du Bengal et la Mer de Weddel. Les pièces étaient exposées à hauteur de regard en une longue ligne sur les cimaises blanches de la maison de vente, tels des hublots faisant voyager le visiteur autour de la planète bleue.

Les vagues ont été reproduites grâce à des images de synthèse et une fois trouvée la bonne forme, il a fallu trouver les bonnes teintes. Sélectionné grâce à l’imagerie satellite, chacun des cinquante milieux marins offre une couleur unique, restituée avec exactitude grâce aux délicates nuances de l’émail. C’est en Suisse – pays sans littoral – que ce long processus a été élaboré, à la main, au prix de nombreux essais devant le four du céramiste. Car si la technologie innerve le travail de Mathieu Lehanneur, celui qui a remporté le Prix Liliane Bettencourt de l’Intelligence de la Main en 2010 insiste beaucoup sur la prépondérance des sens dans ses créations, au premier rang desquels le toucher et la vue. Ce n’est pas la première fois que Lehanneur s’attache à fondre le liquide dans un élément solide. Avec la série Liquid Marble, il présentait une vision surréaliste de l’ondulation des océans dans des sculptures de marbre. L’effet de mer figée était saisissant, aussi bien en extérieur, dans les jardins du Château de Chaumont-sur-Loire en 2016 qu’en marbre noir dans les salles du Norfolk House Music Room au Victoria&Albert Museum. Dans la collection Ocean Memories, présentée en septembre 2017 à la Carpenters Workshop Gallery de New York, les tables et assises en marbre et en bronze étaient aussi hérissées de vagues qu’un dessin d’Hokusai.

Les pièces de Mathieu Lehanneur passent rarement en vente publique, et son marché reste paradoxalement beaucoup plus développé aux États-Unis. Gageons qu’une exposition au siège parisien d’une maison de vente incontournable en Europe saura amorcer un changement quant au marché de l’artiste.

Morellet électrise New York

On ne peut l’ignorer en longeant la Hudson River vers l’Est, sur la 22e rue de Manhattan : sur le mur de la prestigieuse fondation d’art Dia éclate en rouge vif et bleu roi Trames 3° – 87° – 93° – 183°, la première intégration architecturale de François MORELLET (1926-2016), vue pour la dernière fois entre 1971 et 1976 sur les murs pignons d’immeubles voués à la destruction pour faire place au centre Pompidou à Paris.

Présentée dans les espaces d’exposition de Dia à New York jusqu’en juin 2018, l’exposition sobrement baptisée «François Morellet» offre la quintessence de la (vaste) pratique de l’artiste. Chronologique, le parcours déploie ses recherches au fil des salles, avec les toiles des années 1950, géométriques, précises et répétitives, faisant voler en éclat une certaine idée de la composition en peinture bien ancrée encore dans le monde de l’art de l’Après-Guerre. Les œuvres des années 1960 sont associées à l’art optique et cinétique et surtout au G.R.A.V. (groupe de recherche d’art visuel) dont il fut l’un des membres fondateurs, jouant de l’interaction avec le spectateur. Après la dissolution du groupe d’artistes en 1968, Morellet revient à la peinture, déplaçant cette fois son intérêt vers ce qui se passe hors cadre. Nouvelle remise en question, attestant de sa capacité à se réinventer constamment. Ce travail préfigure les années 1980, qui le voient œuvrer plus avant à une déconstruction de la peinture à l’aide d’éléments extérieurs et l’introduction de matériaux comme le bois ou le métal. C’est le règne du mixed media qui culminera dans les séries des années 1990. A une heure et demi de New York, Dia:Beacon présente simultanément, dans la forêt de piliers de cette ancienne fabrique de boites de biscuits, la nouvelle version d’une installation néon configurée pour le site, No End Neon en longterm view, jusque 2019.

Sous l’impulsion de Jessica Morgan, directrice depuis 2015 de la fondation Dia et de Béatrice Gross, déjà commissaire de Cholet-New York à la galerie Kamel Mennour à Paris en juillet 2017, cette rétrospective constitue le premier examen approfondi du travail de l’artiste aux États-Unis depuis plus de trente ans. Elle devrait remettre à la place qui lui est due l’œuvre de ce pionnier disparu l’an dernier, dont la créativité n’a rien à envier à celle de ses pairs américains Dan Flavin, Ellsworth Kelly, dont il était un intime à Paris, ou Sol LeWitt. Son estate étant désormais représenté par la puissante galerie Lévy Gorvy, le marché de l’artiste, qui était jusqu’à présent principalement français et européen, devrait logiquement connaître aux Etats-unis une réévaluation sur le plan à la fois critique et commercial.

Alberto Giacometti, Québec-Paris

L’une des plus importantes rétrospectives du grand artiste Alberto GIACOMETTI (1901-1966) vient d’ouvrir au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ, du 8 février au 13 mai 2018) : une cinquantaine de peintures, 70 dessins et des plâtres originaux dont plusieurs n’ayant jamais été exposés, composent en substance cette exceptionnelle exposition qui met à jour 50 années d’intense création en 160 oeuvres. Des chefs-d’oeuvres comme le plâtre de la célèbre Femme cuillère et celui de la Boule suspendue, ainsi que le bronze de L’Homme qui marche (1960), l’une des sculptures les plus célèbres du 20e siècle, font partie de la sélection du MNBAQ. Cette exposition revêt une importance d’autant plus capitale qu’elle dévoile pour la première fois certaines œuvres au public. « Cette rétrospective permet de renouveler le regard sur Giacometti et d’introduire des oeuvres moins connues. Elle offre une occasion de montrer son oeuvre dans une dimension impossible il y a quelques années » explique Catherine Grenier, commissaire de cette exposition.

Autrefois directrice adjointe du Musée national d’art moderne (Centre Pompidou), Catherine Grenier pilote la Fondation Alberto et Annette Giacometti depuis 2014, fondation à l’origine d’un tel événement culturel au Québec. La fondation, qui travaille notamment au rayonnement de l’oeuvre d’Alberto Giacometti à travers le monde et auprès de nouveaux publics, possède le fonds le plus dense de l’artiste. Celui-ci comprend quelques 5 000 œuvres, dont 87 peintures, 112 bronzes, 370 plâtres, des milliers de dessins et de gravures pour beaucoup méconnus, de nombreuses archives et des milliers de photographies. Cet extraordinaire collection, par ailleurs régulièrement enrichit de nouvelles acquisitions, n’est pas visible dans les locaux parisiens de la Fondation Giacometti. Créée en 2003 par la veuve de l’artiste, l’institution parisienne ne dispose par encore d’espace d’exposition propre, mais cela ne saurait tarder… L’inauguration d’un espace est prévue en juin 2018 dans l’hôtel particulier Follot, proche de la Fondation Cartier. Cet Institut Giacometti pourra alors accueillir des expositions dédiées à l’artiste, sans toutefois mettre de terme à la politique de prêts ni aux riches collaborations engagées depuis des années par la fondation avec les musées étrangers.