En Bref ! Décès de Robert Ryman – La femme qui valait 7 millions – Dispersion de la collection George Michael

[15/02/2019]

Ryman. Les possibilités du blanc

Format carré et peinture blanche, le minimalisme radical de Robert RYMAN est bien plus subtil que ne sauraient le résumer ces deux arguments. L’artiste américain, qui s’est éteint le 8 février dernier à 88 ans, laisse derrière lui une œuvre essentielle dont l’humilité n’a d’égale que l’intensité. Une peinture dont l’abstraction n’est que la porte d’entrée dans le réel puisque l’artiste – qui se disait un peintre “réaliste” – créait des œuvres vivantes dans l’espace concret autant que mental. L’usage de son blanc rend visible les variations de teintes et de textures des divers supports qu’il a utilisé, dont le lin, l’aluminium ou le plexiglas. Et l’oeuvre, pensée en lien avec l’espace réel dans lequel elle s’inscrit (les murs des galeries et musées étant généralement blancs) n’en finie pas de dialoguer avec les variations infinies et subtiles de la lumière. Peindre en blanc n’est pas ici un processus d’effacement mais de révélation, un “moyen”, disait-il, permettant à d’autres choses de “devenir visibles” : surfaces, textures, espaces, variations de couleurs et de lumière.

L’oeuvre de Robert Ryman a émergé au début des années 1950, peu après l’Expressionnisme américain, dont il aura observé intensément les œuvres alors qu’il était gardien de salle au MoMA de New York. Il y restera en poste durant sept années (1953-1960) et fera là son apprentissage. Car Ryman n’est pas passé par une école d’art. C’est un pur autodidacte, dont le premier monochrome arrive en 1955. 15 ans après cette première toile, le Guggenheim Museum de New York remarque son travail et l’expose en 1971, puis le Centre Pompidou (1981), la Tate Gallery de Londres (1992) et le MoMA (1993) lui consacrent d’importantes expositions. Son œuvre engagé à conquis de nombreux grands collectionneurs et certaines toiles s’échangent pour plus de 10 millions de dollars (dont un record à 20,6m$ obtenu le 13 mai 2015 chez Christie’s New York pour Bridge, 1980). Ryman n’était pas un homme de marché. Il a privilégié l’oeuvre au jeu des enchères, a accepté un unique travail de commande institutionnelle au sein de la DIA foundation en 2009 avant d’offrir à la célèbre institution new-yorkaise 21 œuvres. C’est aujourd’hui là, à la DIA foundation, que l’amateur peut recevoir l’intensité de sa création.

La femme qui valait 7 millions

En 1971, l’historienne de l’Art Linda Nochlin interrogeait dans son article devenu depuis célèbre : “Pourquoi n’y-a-t-il pas eu de grandes femmes artistes ?”. Quelques cinquante ans plus tard, les enchères rendent hommage à ces femmes, aussi sous-estimées dans l’évaluation de leurs œuvres dans l’histoire de l’art que dans leur valeur sur le marché pendant des décennies. Intitulée “Le triomphe des femmes”, la Master week sale de Sotheby’s Londres organisée fin janvier 2019 a remis en valeur les œuvres d’artistes féminines du XVe au XIXe siècle. La maison de vente a même invité une porte-parole de choix pour publiciser cet événement : une sélection de toiles de Rosa Bonheur, Elizabeth Jane Gardner Bouguereau ou Virgine Demont-Breton ont été exposées dans la très posh boutique de Victoria Beckham à Mayfair. Cette vente a dépassé les espérances, et c’est un feu d’artifice de records qui a illuminé le début d’année pour la société de ventes. Si le nouveau record pour un dessin de Peter Paul RubensNude Study of a Young Man with Raised Arms parti pour 8,2 m$ n’est pas passé inaperçu, c’est surtout vers les œuvres féminines que tous les regards étaient tournés. Sept nouveaux records mettent en lumière des femmes, dont certaines restées dans l’ombre comme Giulia LAMA (1681-1747). Sa grande toile religieuse Joseph Interpreting the Eunuchs’ Dreams/Eliphaz, Bildad and Zophar Consoling Job, achetée pour près de 500 000 $, pulvérise le précédent record de l’artiste.

Un imposant diplomate a concentré les convoitises : le Portrait of Muhammad Dervish Khan d’Elisabeth VIGÉE-LEBRUN (1755-1842) a changé de main pour un peu plus de 7 m$. Vendu près d’1m$ au-dessus de son estimation haute, il devient l’oeuvre la plus chère pour une femme artiste de l’ère pré-moderne. Cette grande toile de 2,25 mètres sur 1,36 mètre évoque la visite extraordinaire de trois ambassadeurs du Sultan indien de Mysore en juillet 1788, un an avant la prise de la Bastille. La délégation agite la haute société, tout le monde veut les voir et les trois hommes courent les délices de la vie parisienne avant de gagner Versailles de manière plus protocolaire. La rencontre entre la jeune peintre et son illustre modèle est tout simplement improbable : jamais un homme de haut rang, musulman de surcroît, n’aurait accepté de se faire représenter par une femme qui plus est! Mais Elisabeth Vigée Lebrun est fort bien en cour et, très impressionnée par l’exotisme de cet homme, utilise ses connexions avec la Reine Marie-Antoinette elle-même, pour obtenir cette faveur. Dans ses mémoires, elle se souvient que Dervish Kahn, ayant détesté le portrait, le relégua sous son lit et menaça de tuer le valet qui l’avait subtilisé pour le rendre à son auteure. Le pauvre ambassadeur, ayant échoué à obtenir du Roi de France une alliance militaire, serait exécuté à son retour par un sultan mécontent de son échec. Un an plus tard le portrait fait sensation au Salon de 1789, qui ouvre en août dans le contexte agité de la Révolution. En octobre, Elisabeth Vigée-Lebrun fuit Paris, laissant sur place son atelier et ses œuvres qui apparurent ensuite dans la collection de son époux Jean-Baptiste Pierre Le Brun. Ce chef-d’œuvre avait tout pour réussir le casting d’un record absolu: provenance prestigieuse, conditions de création rocambolesques, destin tragique et artiste femme en pleine ascension…

George Michael à l’affiche des prochaines ventes de Londres

Le chanteur aux 100 millions d’albums vendus, disparu en 2016, était aussi collectionneur d’art. Britannique, ses choix se sont tournés vers ses compatriotes, surtout les Young British Artists qui ont émergé dans les années 90 sous l’influence de Charles Saatchi. Il possédait des œuvres signées Damien Hirst, Tracey Emin, Sarah Lucas ou encore Marc Quinn, constituant une collection cohérente et en phase avec son époque. De son vivant, George Michael chantait et collectionnait, mais il était aussi engagé dans une démarche philanthropique pour lui essentielle. Il a soutenu plusieurs associations (aidant notamment les personnes atteintes du VIH et des personnes sans domicile fixe) qui doivent bénéficier du fruit de la vente de sa collection, une dispersion organisée par Christie’s le 14 mars prochain à Londres.

200 œuvres au total seront dispersées (dont 75 le 14 mars et les autres on-line) pour un budget allant de 400£ à 1,5m£ par oeuvre. Avant la mise en vente, Christie’s fera valoir la collection dans le cadre d’une exposition itinérante qui promet d’attirer autant les fans de l’icône pop que les amateurs d’art contemporain britannique. Ce tour mondial a commencé à New York. Les œuvres sont actuellement visibles à Los Angeles (11-16 février), puis elles s’envoleront pour Hong Kong et Shanghai avant leur dernière exposition et l’ouverture des enchères à Londres. Le lot phare de la collection est une colombe suspendue en plein vol dans un bain d’éternité au formol. Intitulée The Incomplete Truth (2006), cette œuvre à la fois cynique et pleine d’espoir est bien sûr signée de Damien HIRST, le plus célèbre et le plus provoquant des Young British Artists. Il n’existe que trois exemplaires de cette colombe (plus une épreuve d’artiste) dont aucun n’est encore passé en salle de ventes. L’oeuvre devrait atteindre sans encombre son estimation comprise entre 1 et 1,5 million de livres, et sa provenance pourrait porter son prix au meilleur score. Sont attendues également une importante pièce de Tracey Emin (Drunk to the Bottom of My Soul, estimée 180 000-250 000£) et une belle toile de Bridget Riley (Songbird, estimée 400 000-600 000£).