Edgar Degas. 1917-2017 : centenaire de la mort d’un génie

[02/05/2017]

Si Edgar DEGAS n’est pas mieux classé pour ses performances aux enchères – 139ème artiste au classement mondial 2016 avec 13,3 m$ de chiffre d’affaires – c’est que les chefs-d’oeuvre en circulation sont devenus rares. Mais en cette année particulière du centenaire de la mort de l’artiste, les amateurs du maître moderne ont déjà vu se multiplier les chances d’assouvir leurs désirs d’acquisitions…

La vision si audacieuse de Degas – cadrages photographiques et réalisme sans concession – l’a amené à renouveler l’art moderne et à s’ériger en figure majeure de l’impressionnisme, qualificatif auquel il préférait d’ailleurs nettement celui de « naturaliste » ou de « réaliste ». De son vrai nom Hilaire Germain Edgar de Gas, il nait à Paris le 19 juillet 1834 et débute son apprentissage à l’Ecole des Beaux-Arts sous la direction d’un disciple d’Ingres, Lamothe. Degas poursuit sa formation au cours de voyages en Italie et en tant que copiste au Louvre, puis vient la rencontre déterminante avec l’Opéra : il peint L’Orchestre de l’Opéra vers 1870 (musée d’Orsay). C’est le début de ses sujets phares, les coulisses et les spectateurs, le monde du théâtre et les fameuses danseuses. C’est à l’une d’entre elles, la Danseuse au repos (c. 1879), que l’on doit le record absolu de l’artiste, établi à 37 m$ Sotheby’s New York en novembre 2008. Cette œuvre avait été achetée à Londres neuf ans plus tôt, pour 9,2 m$ de moins. De son vivant, Degas connu la gloire et les prix exceptionnels, grâce aux danseuses toujours : le 10 décembre 1912 lors de la vente Rouart, Durand-Ruel acheta ses Danseuses à la barre (1876-1877) pour le compte du collectionneur américain H. O. Havemeyer pour 435 000 francs, une somme considérable à l’époque qui participa à la gloire de l’artiste (l’oeuvre est aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York). Même à la fin de vie, lorsqu’il ne peut plus peintre, Degas poursuit son travail en sculptant des danseuses. A sa mort en 1917, on trouve dans son atelier 150 sculptures, dont de nombreuses ballerines.

Une sculpture emblématique : la petite danseuse

Coiffée de vrais cheveux attachés par un ruban de satin, vêtue d’un véritable tutu, chaussée de vraies ballerines, La Petite Danseuse de quatorze ans en cire teintée pour paraître plus réelle fut la seule sculpture exposée par Degas de son vivant (lors de la 6e exposition impressionniste en 1881). Son exposition suscite le scandale. Les critiques s’indignent face à un réalisme si puissant, perçu comme une déviance plus proche de la taxidermie que de l’art. Degas était trop en avance sur son temps, il anticipait alors un hyper-réalisme tout à fait admis et célébré de nos jours. L’édition en bronze, dont la sculpture du musée d’Orsay est un exemplaire, fut réalisée après sa mort à la cire perdue par Hébrard (28 tirages). Oeuvre emblématique, elle fait partie des sculptures les plus recherchées de la période moderne. Un exemplaire acquis en juin 2000 pour l’équivalent de 18,9 m$ chez Sotheby’s à Londres, se revendait d’ailleurs près de 25m$ le 24 juin 2015 au sein de la même maison de ventes. Avertissement aux amateurs : toutes les petites danseuses de Degas ne sont pas des étoiles, plusieurs fontes tardives circulent sur le marché, dont certaines de bien piètre qualité…

L’une des dernières ventes-fleuves

Sous une signature si emblématique que celle de Degas, collectionneurs et musées traquent les opportunités d’achats. Peu d’oeuvres originales (une cinquantaine dans le monde en 2016 hors estampes) se trouvent en circulation sur un marché quelque peu tari, à moins qu’un rendez-vous exceptionnel ne s’ajoute au calendrier. Ce fut le cas récemment à Paris, à l’occasion d’une vente portée par la société Christie’s pendant la fameuse semaine du dessin organisée chaque année en mars dans la capitale française. Une manne de 55 dessins de jeunesse, datés de 1855 à 1865 et appartenant à la famille de l’artiste, déferla en salle le 23 mars 2017. Ces dessins d’atelier constituent un puissant témoignage sur l’apprentissage et les influences d’un Degas âgé d’une vingtaine d’années, révélant des études d’antiques, de nus, des portraits de famille et d’autres dessins d’après Mantegna, Rembrandt, Pérugin, Michel-Ange, Poussin ou Géricault jamais vu sur le marché auparavant. A travers ces feuilles, l’admiration que Degas portait à Rembrandt se révélait particulièrement dans le travail à l’encre Femmes au Lavoir, un sujet intimiste pouvant être perçu comme précurseur des fameuses Femmes au bain de sa pleine maturité… L’oeuvre n’a poutant pas convaincu dans son estimation basse de 16 000 $. les collectionneurs ont reporté leurs achats sur des travaux plus abordables ou plus emblématiques. Ainsi, une Etude de cheval au crayon (sujet typique du maître) pour lequel Christie’s annonçait 3 000 $, s’est envolée à plus de 48 000 $ malgré des dimensions bien modeste (6 x 9,69 cm)… L’excellente provenance et des estimations attractives ont réservé d’autres surprises, comme un “Gladiateur Borghèse”, estimé autour de 30 000$ qui s’est littéralement envolé pour près de 430 000$.

Certaines feuilles affichaient des tarifs tout à fait abordables, telle une Étude de personnages au crayon mesurant une vingtaine de centimètres, doublant tout de même son estimation haute pour faire un heureux à 6 000 $. Un autre acquéreur fit une superbe affaire en emportant une Etude académique, Nu debout de 30 centimètres pour 8 000 $, bien en-deçà de l’estimation.

Cette vente-fleuve a permis de découvrir le travail de Degas sous un nouvel angle, celui des inspirations et des aspirations déjà présentes. Il en va ainsi des grands maîtres : leur étude ne s’assèche pas et se voit perpétuellement renouvelée par les institutions culturelles, voire par les maisons de ventes, sous la diversité des angles d’approche.