Dominique de Villepin à la rescousse du marché de l’art contemporain français.

[10/10/2005]

 

Un fossé s’est creusé entre les prix atteints par les jeunes générations françaises et ceux de leur confrères anglo-saxons. Au niveau économique, nombre d’indicateurs prouvent que le rayonnement culturel français en matière d’art contemporain s’arrête à nos propres frontières.
Face à la crise, l’Etat réagit enfin. Le 10 octobre, lors de sa visite à la FIAC, le premier ministre, Dominique de Villepin, a annoncé la création d’un nouveau dispositif fiscal pour inciter les jeunes artistes à venir travailler en France.

Dans ses nombreux rapports, le Département d’Econométrie d’Artprice a démontré qu’en matière de marché de l’art contemporain, la France était en perte de vitesse. Dans la sphère marchande, seules semblent aujourd’hui compter les avant-gardes américaines, britanniques, allemandes, ou italiennes. Faut-il penser que certains pays sont plus doués que d’autres pour la création artistique ? La France, berceau du romantisme, de l’impressionnisme, du cubisme et du nouveau réalisme serait-elle devenu subitement infertile pour un œil étranger ?

En juin, une analyse montrait qu’à l’international, l’art contemporain ne cesse de gagner du terrain. Le chiffre d’affaires généré par les artistes nés après 1940 a doublé en un an. Selon les données économétriques d’Artprice, stimulée par une hausse des prix de 17% sur douze mois, la part de ce segment dans le produit de ventes total est passé de 4,4% à 6,4%. Jeff Koons, Jean-Michel Basquiat, Maurizio Cattelan et Damien Hirst se sont taillés la part du lion avec 22 enchères dépassant le million de dollars. La plus forte enchère revient à Jeff Koons avec «Jim Beam J.B Turner Train (1986)», une sculpture arrachée 4,9 millions de dollars chez Christie’s le 11 mai 2004. Mais la France est en marge de ce marché haut de gamme. Symptomatique de son retard : les piètres performances des artistes nationaux sur le marché mondial. Face à la concurrence internationale, les artistes français sont peu valorisés. En 2004, l’artiste français le plus coté à l’internationale est Annette Messager, Lion d’Or de la Biennale de Venise. La vente d’une de ses installations de la série «Mes voeux» lui a permis de décrocher une enchère de 120 000 $ (93 000 €) chez Sotheby’s New York, le 10 novembre 2004. Elle n’obtient ainsi que la 74e place dans le classement international des artistes contemporains les plus cotés.Même à l’échelle nationale les français se vendent moins bien que les artistes anglo-saxons ou italiens. Le classement 2004 des œuvres d’art contemporain les plus chères adjugées en France est sans appel : seules deux œuvres d’artistes français se hissent dans les 20 premières places. Le premier français n’apparaît qu’en 10ème position ! Il s’agit de Bernar VENET, avec « Arc 235.5°, 4 lignes », adjugé 76 000 euros le 18 juillet 2004. Le second, Robert COMBAS, n’est que 15ème : « Jumelage Sète-Marseille », une toile de plus de 6 mètres de large a trouvé preneur à 60 000 euros en octobre dernier. La plus forte enchère française d’art contemporain revient à un espagnol : Miquel BARCELO. Sa toile «In Extremis» s’est envolée à 160 000 euros chez Tajan, le 30 novembre dernier.
Avec de tels résultats, pas étonnant que la France ne réalise que 3,9% du chiffre d’affaires réalisé par les ventes aux enchères d’art contemporain.

Mais le constat est encore plus frappant lorsque l’on observe les cotes des plus jeunes générations d’artistes aux enchères. Aux Etats-Unis, les œuvres d’art produites par des artistes nés après 1960 se négocient en moyenne 58 607 €. En France, le prix moyen des œuvres de la nouvelle génération de plasticiens n’est que de 3 023 € ! En tout, seuls 3 artistes nationaux de moins de 45 ans ont réussi à placer des enchères au delà de 15 000 € en France au cours des douze derniers mois ! A titre comparatif, sur la même période, au Royaume-Uni, 19 artistes anglais de la même génération ont dépassé ce seuil. Le plus coté de tous, Damien HIRST, a même trouvé un acheteur à 1,1 million de £ pour une de ses installations intitulée « The fragile Truth ».Parmi ceux qui ont une réputation internationale suffisamment assise pour se hisser au-delà du seuil de 15 000 € on retrouve Bernard FRIZE, qui grâce au soutient de galeries internationales comme Ikon Gallery, Monika Reitz, ou la Frith Street Gallery, s’est trouvé des débouchés dans les salles anglo-saxonnes. En un an, sur 9 œuvres présentées en ventes publiques, deux seulement l’ont été en France. Le photographe Jean-Marc BUSTAMANTE est lui aussi familier des plus prestigieuses ventes des auctioneers internationaux. Bien plus souvent exposé à l’international qu’en France, les quelques pièces proposées à Paris ne trouvent pas toujours preneur. . Avec Raymond Hains, il est par exemple le seul artiste français vivant présenté au MACBA (Barcelone). Ainsi, en juin dernier, « Tableau (T52-81) », une imposante photo couleurs de 1981 estimée 12 000 – 15 000 € a été ravalée chez Cornette de Saint-Cyr. Le jeune sculpteur Philippe PERRIN, avec son travail autour du crime et des armes, tend à se faire un nom en ventes publiques. Sa cote explose. En juillet 2004, issues de la collection Nahon, 2 pièces monumentales, « Couteau » et « Poing Américain » ont été enlevées chacune à 19 000 €. A l’inverse, Fabrice HYBERT, l’un des seuls français récompensé par un Lion d’Or à une Biennale de Venise, voit sa cote baisser. Ainsi, « Pof N°91 – Bloc éponge », une sculpture de 2000, dont les estimations avoisinaient 10 000 € à l’époque, n’a trouvé preneur qu’à 2 600 € le 3 août dernier à Monte-Carlo.

Au niveau sociologique aussi, le constat est accablant. En juin 2001, Alain Quemin avait remis au ministère des Affaires Etrangères un rapport sur Le Rôle des Pays Prescripteurs sur le marché et dans le Monde de L’Art Contemporain (Coédition : Jacqueline Chambon / Artprice). Cette recherche avait alors alimenté le débat sur la place des différents pays du monde, en particulier de la France et de ses artistes, sur la scène internationale. En outre, les jeunes artistes français sont pratiquement absents des salles des musées internationaux. Les seules institutions qui semblent le soutenir sont le FNAC et les FRAC. Les français représentaient en 1997-1999 50% des artistes achetés par le FNAC. Le constat est le même quant à leur présence dans les grandes foires internationales ; sur 800 œuvres reproduites dans le catalogue de la foire de Bâle 2000, la part des productions françaises n’était que de 2,5%.

Face à un système français peu efficace dans un contexte de concurrence internationale, certains comptaient sur un modèle alternatif privilégiant l’initiative privée. Or, l’un des seuls projets d’envergure capables de soutenir la production nationale a échoué. En effet, le 9 mai 2005, François Pinault a renoncé à installer sa fondation d’art contemporain sur le site des usines Renault à Boulogne-Billancourt. Las des lenteurs administratives, il a décidé de replier sa collection à Venise, au Palais Grassi. La France n’aura pas à l’image de l’Allemagne ou du Royaume Uni, son Peter Ludwig ou son Charles Saatchi pour soutenir l’art contemporain.

Fort de cet échec, le 10 octobre, le gouvernement a annoncé étudier un projet de centre européen de la création contemporaine pour remplacer la fondation Pinault sur l’île Séguin. Dès 2006, le ministère de la culture va remettre l’art actuel français au cœur des manifestations. Le Gand Palais sera ainsi l’écrin d’une prochaine grande exposition dédiée aux artistes français contemporains. Les galeries seront associées à l’événement.

En plus de cette annonce, le Premier Ministre a présenté une série de mesures fiscales pour relancer le marché de l’art en France. Dominique de Villepin souhaite “refaire de la France l’un des foyers les plus vivants de la création contemporaine”. Parmi les mesures présentées, le Premier Ministre propose un abattement de 50% sur les revenus tirés de la vente des œuvres des artistes durant les 5 premières années de déclaration. Pour protéger les artistes, l’Etat souhaite aussi adapter sa législation sur les droits d’auteur : “le projet de loi sur le droit d’auteur dans la société de l’information fera l’objet d’une première lecture dès le mois de décembre”.
Le Premier Ministre a aussi ramené au cœur du débat la loi du 1er août 2003 en faveur du mécénat d’entreprise (afin de faciliter la présentation des œuvres au public), l’harmonisation à l’échelle européenne des conditions d’application du droit de suite, la possibilité donnée aux œuvres d’artistes vivants d’être remises en dation pour acquitter l’impôt sur la fortune ou les droits de suite, la réduction de la TVA sur les nouvelles formes artistiques telles que les installations et les vidéos afin qu’elles puissent bénéficier de la TVA à 5,5% appliquée aux œuvres d’art. Ces mesures sont autant d’incitations fiscales aux particuliers à consommer de l’art.

L’allocution du Premier Ministre n’est pas sans rappeler l’œuvre de Malraux. A l’aube de la 5e république, devant la crainte d’une perte d’identité culturelle française, André Malraux a joué le rôle de gardien du patrimoine culturel français et de promoteur de la démocratisation culturelle. Mais la tâche semble aujourd’hui plus ardue. Le gouvernement actuel ne doit pas faire face à une perte, mais à une absence d’identité culturelle française en matière d’art contemporain capable de rivaliser à l’international.
Et au-delà des mesures gouvernementales pour encourager le travail des artistes et des galeries, ou inciter les particuliers à acheter des œuvres d’art, le marché de l’art français va être confronté au problème de la richesse nationale. La puissance économique d’un pays est souvent corrélée avec son intégration sur la scène artistique internationale. Le retour de la France sur l’avant-scène du marché ne sera catalysé que par celui de la croissance économique.