De nouvelles perspectives pour les artistes sud-africains

[30/07/2019]

Le Marché de l’art africain se joue, pour l’essentiel, au Cap et à Johannesburg, par le biais de sociétés de ventes locales telles que Aspire Art Auction, Stephan Welz & Co., Strauss & Co. ou Russell Kaplan Auctioneers. Si certains parlent d’un véritable “boom” de ce marché, il est essentiel de rappeler qu’il ne représente que 0,3% du volume d’affaires mondial, une goutte d’eau dans l’océan. Mais il est vrai que ce marché est de plus en plus mature, porté par une bonne adéquation entre l’offre et la demande puisque le taux d’invendus sud-africain (36%) rejoint la norme mondiale et que de nombreux développements récents sont encourageants, comme l’ouverture, il y a deux ans, du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa. Ce Tate Modern africain a déjà grandement participé au rayonnement culturel du Cap et aux artistes récemment exposés, dont Kudzanai Chiurai, Nandipha Mntambo et Zanele Muholi. Ces trois artistes commencent à bénéficier de transactions intéressantes sur le marché intérieur d’Afrique du Sud, avec un relai assuré à Londres par Sotheby’s et par Phillips.

Le marché haut de gamme (plus de 100 000 $) repose quant à lui essentiellement sur trois artistes modernes – Alexis Preller (1911-1975), Irma Stern (1894-1966), Jacob Hendrik Pierneef (1886-1957) – et sur un contemporain emblématique, William Kentridge.

Kentridge, le pilier du Marché

William KENTRIDGE est un pilier essentiel pour les résultats du marché de l’art contemporain d’Afrique du sud. Il est, à ce jour, le seul artiste contemporain Sud-africain capable de passer régulièrement le seuil des 100 000 $ aux enchères dans son pays. Ses résultats obtenus ces derniers mois à Johannesburg démontrent par ailleurs combien la demande se renforce sur place. Le 28 octobre 2018, pour la première fois, un grand dessin au fusain y partait pour plus de 450 000 $ à Johannesburg (Drawing from Stereoscope (Double page, Soho in two rooms), Aspire Art Auction). Pourtant, l’artiste a déjà passé le seuil du million à New York. Son marché a pris une nouvelle dimension après une rétrospective au MoMA en 2010. Quelques mois après cette exposition, Kentridge comptait parmi les plus cotés au monde dans le domaine particulier de l’art vidéo, avec la vente de son installation Preparing the flute pour 602 500 $, au triple des meilleures estimations (le 11 mai 2011, Sotheby’s à New York). L’exposition au MoMA fut indéniablement un élément déclencheur sur la hausse de ses prix. Deux ans plus tard, son œuvre Procession plantait un record spectaculaire à New York : plus de 1,5 m$ contre une estimation haute de 400 000 $.

  • L’indice des prix de Kentridge a progressé de +576 % depuis son exposition au MoMA en 2010.

Marlène Dumas, la croissance se poursuit

Contrairement à son compatriote Kentridge – qui vit et travaille toujours dans son pays d’origine – Marlene DUMAS est installée à Amsterdam depuis 40 ans. La structure de leur marché diffère aussi grandement : près de la moitié du chiffre d’affaires de Kentrigde provient d’Afrique du Sud contre 22 % aux Etats-Unis (depuis 2017), tandis que Marlène Dumas est sous-représentée sur le marché africain, si ce n’est pour des œuvres mineures. Ses meilleures pièces sont revendues à New York (77% de son volume d’affaires et 21% à Londres). Représentée par la très internationale galerie David Zwirner (personnalité la plus influente de l’art contemporain en 2018 selon le “Power 100” d’Artreview), Marlène Dumas est très demandée en salles des vente. La croissance du prix de ses œuvres est par ailleurs phénoménale – + 929 % depuis 2001 – bien plus vive que pour Kentridge. Son record est lui aussi nettement supérieur depuis la vente, en 2008, de la toile The visitor pour la coquette somme de 6,3m$ (Sotheby’s Londres).

  • 100 $ investis en 2001 dans une oeuvre de Marlene DUMAS valent en moyenne 1 029 $ (+ 929 %) en juillet 2019. Pourtant, son record d’enchère n’a pas été rafraîchi depuis 11 ans.

Outre ces deux stars du Marché, plusieurs artistes sud-africains se démarquent à travers l’excellence de leur pratique photographique. En salles, un véritable engouement est manifeste pour certains d’entre eux, en passe de conquérir les salles de ventes internationales

Des photographes de premier plan

L’Afrique du sud a vu naître des photographes de premier plan, des artistes humanistes, engagés et critiques dont la renommée dépasse largement les frontières du continent. Les œuvres de David Goldblatt, Pieter Hugo ou encore Guy Tillim, sont plébiscitées dans le monde entier.

Considéré comme le père de la photographie sud-africaine, David GOLDBLATT est décédé en juin 2018, à l’âge de 88 ans, peu après la rétrospective qui lui était consacrée au Centre Pompidou à Paris (plus de deux cents photographies exposées entre février et mai 2018). Pour Bernard Blistène, le directeur du prestigieux musée, Goldblatt est l’un “des plus grands photographes de la seconde moitié du XXe siècle”. Pendant 70 ans, il a traité de ce quotidien tissé par les inégalités et les injustices d’une société sous l’apartheid. Il fut aussi le premier sud-africain honoré d’une exposition au MoMA à New York (1998) et reçut par la suite plusieurs prix importants dont le Hasselblad Award en 2006 et le prix Henri Cartier-Bresson en 2009. Pour autant, ses œuvres ne sont pas sur-cotées. Bien au-contraire puisque le record d’enchère de ce “fondateur” se hisse à 25 000 $, prix maximum obtenu pour un tirage vendu par la société Strauss & Co en février 2018 (The road to Nqondwana, Transkei, 2007, Le Cap). David Goldblatt est ardemment défendu par la Goodman Gallery, qui exposait encore récemment son travail à Johannesburg avec Peter Magubane ; puis lui rendait hommage en lui consacrant tout son stand lors du dernier salon Paris Photo. L’empreinte de l’artiste est d’autant plus forte qu’on lui doit la fondation, sous l’apartheid, du Market Photo Workshop, une école de référence, un pivot pour la formation des photographes sud-africains d’aujourd’hui.

Un autre photographe incontournable fait parler les acteurs du marché : l’immense Pieter HUGO est représenté par la Stevenson Gallery et bénéficie d’un relais de diffusion via des galeries en Allemagne (Priska Pasquer), aux Etats-Unis (Yossi Mila Gallery) et à Londres (We Folk). Il a exposé dans les musées du monde entier et reçu de nombreux prix pour son travail orienté sur la diversité raciale, les disparités économiques en Afrique du Sud, les marginaux, les aveugles, les albinos ou les malades du sida. Plusieurs séries sont devenues emblématiques, notamment ses puissants clichés des dresseurs de hyènes ambulants au Nigéria (The Hyena and other men, Des Hyènes et des hommes). Les photos de cette série sont très recherchées. C’est à l’une d’elles, saisissant un dresseur accompagné d’une petite fille juchée sur le redoutable animal, que l’artiste doit son récent record. Estimée moins de 28 000 $, la photo s’est envolée pour 76 000 $ en mai dernier chez Christie’s, à Londres (Mummy Ahmadu and Mallam Mantari Lamal with Mainasara, Abuja, Nigeria, Abuja, Nigeria, 2005, Ed. 8 / 9, vendue le 17 mai 2018.)

Parmi la génération montante en Afrique du sud, on ne peut manquer de citer Athi-Patra RUGA (représenté par la Whatiftheworld Gallery au Cap) et son formidable travail sur l’identité Queer. L’artiste s’est vu récompensé, en 2017, par le prix Seydou Keïta lors des 11e Rencontres de Bamako, pour sa série des Queens in Exile. Ses plus belles photographies comme ses tapisseries (récemment exposées à la Fondation Vuitton à Paris pour Art Afrique) valent plus de 20 000 $ en Afrique du Sud, tandis que son marché s’ouvre sur la France et le Royaume-Uni. Citons enfin les jumeaux Hasan et Husain Essop : les trentenaires ont notamment participé à l’exposition After the Thrill is Gone: Fashion, Politics, and Culture in Contemporary South African Art, qui s’est tenue au MoAD de San Francisco l’an dernier. Leurs sujets de prédilection rencontrent la culture, la politique et le rapport à autrui. Les frères se mettent en scène dans des clichés encore peu coûteux (moins de 5 000 $ pour de grands formats), mais leur notoriété grandissante mène leurs prix sur une pente ascendante dans les salles de ventes africaines. Leur présence dans les catalogues londoniens n’est plus qu’une question de temps.