De Londres à Paris

[16/10/2018]

L’étonnant début de saison depuis Londres a remis le vibrionnant marché de l’art contemporain sur le devant de la scène. Sur les quinze premiers jours d’octobre, Londres fut en effet le centre du monde de l’art, avec des évènements de haut niveau dont la Frieze London et la Frieze Masters, ainsi que le qualitatif et éclectique salon PAD pour les assoiffés de Design, que la foire 1-54 dont le succès confirme le développement du marché de l’art africain et que des expositions incontournables, dont celle de Yayoi Kusama à la galerie Victoria Miro et de Pierre Huyghe à la Serpentine Gallery. La densité et la qualité des évènements londoniens constituent un véritable challenge pour Paris qui prend le relais du Marché de l’Art pendant la semaine de la Fiac. Au cœur de cette actualité pléthorique, Artprice débroussaille pour vous les informations les plus importantes concernant les ventes passées et futures car en marge de tous ces salons, les sociétés de ventes font elles-aussi fait leurs shows, et les enjeux sont importants.

Des hauts et des bas

Vécue comme un nouveau chapitre électrisant dans l’histoire du marché de l’art, l’autodestruction en direct de l’oeuvre de Banksy le 5 octobre (Girl With Balloon vendue à près de 1,4 million) a fait couler tant d’encre qu’elle a quelque peu noyé les records pourtant notables des cessions de ventes contemporaines de Christie’s et Sotheby’s. D’importants coups de marteau ont pourtant été frappés, marquant des tournants dans la valorisation de certains artistes…. A la première loge, le nouveau record de Jenny SAVILLE est d’autant plus remarquable que l’artiste, qui vient de passer pour la première fois le seuil des 10 millions de dollars, est devenue l’artiste femme vivante la plus cotée du monde. Sotheby’s a en effet vendu son nu monumental Propped au prix record de 12,5 m$ et pour cause, cette toile remarquable est un chef-d’oeuvre du genre et certainement la meilleure œuvre de l’artiste jamais soumise aux enchères. Ne passons pas à côté non plus du superbe coup double de l’artiste Allemand Albert OEHLEN, dont Christie’s a enregistré deux nouveaux records à plus de 3m$ le même jour. L’une des deux toiles offertes a même flirté avec les 4 millions (Stier mit loch (Bull with hole), 3,9 m$). Ancien élève de Sigmar Polke, Albert Oehlen est au top de son influence… La progression du prix de ses œuvres font de lui l’un des favoris des market-markers, avec une hausse phénoménale de + 2 510% depuis l’année 2000.

Un autre coup de marteau ne doit pas passer inaperçu, celui emporté pour une œuvre de Ernst Wilhelm NAY (1902-1968) le 5 octobre chez Christie’s. Il faut suivre cet artiste à qui l’on doit le meilleur résultat de la vente d’art contemporain de jour de la société de ventes, soit 1,1m$ frais acheteur inclus, pour une toile de près d’un mètre et demi de hauteur intitulée Vom Aufsteigenden Blau (From the Rising Blue). Ce résultat millionnaire confirme l’engouement que l’artiste suscite actuellement en salles des ventes, son record absolu ayant été emporté récemment (décembre 2017), à hauteur de 2,7m$ et en Allemagne, où se joue 80% de son marché (Scheiben und Halbscheiben, 1955, Ketterer Kunst GmbH, 09/12/2017). Considéré comme l’un des plus importants peintres allemands de l’après-guerre, Ernst Wilhelm Nay a déployé une oeuvre abstraite en travaillant le mystère de la couleur, dans une véritable énergie musicale. L’artiste fut en effet profondément inspiré par la scène musicale de Cologne dans les années 50′ avec des compositeurs tels que Pierre Boulez, Luigi Nono ou Karlheinz Stockhausen. A l’instar du compositeur travaillant avec les sons, Ernst Wilhelm Nay a travaillé avec le rythme, les valeurs et les dynamiques des couleurs. Son succès confirme par ailleurs l’attrait des acheteurs pour les peintres abstraits, dont les cotes sont toujours à la hausse, comme en témoigne aussi le meilleur résultat de la vente de jour de Sotheby’s

Sotheby’s, doit elle-aussi le meilleur coup de marteau de sa vente de jour à un artiste abstrait, américain cette fois : Sean SCULLY dont la toile Passenger Red White a atteint 767 000 $ le 6 octobre. La cote de Scully est au beau depuis son record emporté l’an dernier (Landline Sea, 1,7m$, Sotheby’s, 19/05/2017) et son indice de prix donne la tendance, avec +210% de hausse depuis 2000.

Nouveau records et adjudications spectaculaires étaient bien au rendez-vous d’une actualité londonienne pimentée par le coup de maître du stratégique BANKSY. Une importante œuvre de Francis Bacon a d’ailleurs atteint 26m$, le plus haut score de la saison (le 4 octobre chez Christie’s, Figure in Movement est un portrait post-mortem de la muse de l’artiste George Dyer). La place de marché londonienne, sur laquelle sont intervenus tous les grands collectionneurs internationaux, affiche une capacité de digestion phénoménale pour les œuvres haut de gamme. Tout ne se vend pas pour autant et quelques œuvres parmi les plus estimées se sont retrouvées sur le carreau. Quelques déconvenues sont à signaler, dont le défaut de vente pour une œuvre emblématique de Jeff KOONS, Cracked Egg (Blue) pour laquelle Christie’s espérait entre 13 et 19 m$. Même constat pour une importante toile de Gerhard RICHTER estimée entre 15 et 23 m$, ravalée elle-aussi. Le marché haut de gamme est certes très actif, quelques ajustements n’en sont pas moins en cours en cette période transitoire, tenue entre la gestion du Brexit et les taxes sur les importations chinoises aux Etats-Unis.

A quoi s’attendre à Paris pendant la Fiac ?

C’est au tour de Paris d’attirer les foules. Sur ce point, des expositions hautement qualitative ont commencé le travail avant l’ouverture de la Fiac cette semaine:  la magistrale exposition Zao Wou-Ki au musée d’art moderne, la rétrospective Miro au Grand Palais, le superbe hommage à Alberto Giacometti au Musée Maillol, l’évènement de la puissante fondation Vuitton qui présente une centaine d’oeuvres de Egon Schiele et autant de Basquiat, dont la fameuse toile payée 110,5 m$ par le milliardaire japonais Yusaku Maezawa (Untitled (1982) a été acquis par Maezawa le 18 mai 2017 à New York)…

Tandis que les plus grands sont à l’affiche des musées, la Fiac annonce près de 3 000 artistes représentés sur les stands du Grand Palais. La Foire internationale d’art contemporain voit grand. Elle a accepté un nombre plus conséquent de galeries qu’à la Frieze : 193 exposants pour l’une contre 148 pour l’autre. Elle verra plus grand encore en 2023, après une phase de travaux de trois ans qui permettra notamment d’élargir la surface d’exposition. L’attractivité de Paris devrait se renforcer dans les années à venir, entre autre avec l’ouverture prochaine de la Fondation Pinault pour l’art contemporain au coeur de Paris.

Pour l’heure, qes tentatives de renouveau se jouent du côté des foires en Off de la Fiac, foires dont l’activité commerciale a eu tendance à s’essouffler ces dernières années. Il s’agit de relancer une machine grippée avec de nouvelles propositions. Le salon Yia redéfinit son identité et change de nom pour « Paris Contemporary Art Show », la Outsider déménage pour l’espace intimiste de l’Atelier Richelieu dont on espère un accrochage moins chaotique que ceux des éditions précédentes, une nouvelle foire prend ses marques : sous le nom accueillant de Bienvenue, elle tente une formule longue de 15 jours d’exposition au lieu des trois/quatre jours habituellement réservés aux salons. Une vingtaine de galeries françaises et étrangères seront présentes sur ce nouveau salon tester un format et une scénographie à mi-chemin entre la foire d’art contemporain et l’exposition collective. L’objectif affiché est de rapprocher les artistes, les galeristes et le public. Un objectif louable pour réintroduire un peu d’humanité au salon d’art. Ce n’est pas tout, deux autres salons fêtent leur 4ème édition : Asia now avec plus de 150 artistes au menu et Paris Internationale, qui privilégie un petit format (42 galeries) et des propositions internationales de 21 pays.

Comme à Londres pendant la Frieze, la période Fiac relance les belles ventes parisiennes: les 17 et 18 octobre, Christies donne trois ventes recelant quelques trésors, dont d’importantes toiles abstraites sous les signatures de Nicolas DE STAËL, Serge POLIAKOFF, Maria Elena VIEIRA DA SILVA ou Pierre SOULAGES, mais aussi des œuvres majeures de Picabia, Chagall, Picasso et Dubuffet… et quelques pépites modernes issues de la collection Bénédicte Pesle. Sotheby’s propose de son côté un marathon de cinq ventes en trois jours (du 18 au 20 octobre, Modernités, La collection Renand-Chapet, Œuvres de la Collection Oscar Mairlot. De Magritte à Zao Wou-Ki, Art Impressionniste et Moderne, French Cancan by Natalie Seroussi), tandis que plusieurs opérateurs de ventes français s’apprêtent à faire tomber le marteau pour des oeuvres moins prestigieuses que celles vues sur les ventes de prestige de Londres, offrant par conséquent des possibilités d’achat à des niveaux de prix bien plus abordables…