Christo, plus grand que nature

[04/06/2020]

L’immense artiste s’est éteint le 31 mai dernier. Américain d’origine bulgare, CHRISTO Vladimirov Javacheff était de Gabrovo, une ville industrielle qu’il a fui, caché dans un wagon de marchandises, en 1957. Arrivé à Paris, il rencontre sa complice de tous les projets à venir, Jeanne Claude, née le même jour que lui, un certain 13 mai 1935.

Pendant les années parisiennes, il subvient à ses besoins en vendant des portraits. Plus secrètement, il réalise aussi ses premiers empaquetages dans l’esprit du « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire  » de ses amis Nouveaux Réalistes menés par Pierre Restany. Christo emballe divers objets (Empaquetage d’un paire de chausseres de femme dans cadre), quelques portraits peints (Portrait empaqueté de Jane Mansfield), et réalise sa première installation in situ, bloquant la rue Visconti avec des barils de pétrole (Wall of Oil Barrels – The Iron Curtain, Paris, 1962). Cette intervention – illégale à l’époque – porte déjà l’ambition des grands projets à venir. Christo n’a pas 30 ans. A partir de 1964, année de son départ pour New York avec Jeanne-Claude, les projets vont prendre une autre envergure.

IMG-5457 Christo – ©thierry Ehrmann – Courtesy du Musée de L’Organe / La Demeure du Chaos

Des projets grandioses…

Dans les décennies qui suivent, Christo et Jeanne-Claude (décédée en 2009) mènent à bien des projets monumentaux requérant des années de travail acharné. En plus de la préparation plastique et technique des installations, ils font preuve d’une ténacité hors du commun pour négocier et obtenir les autorisations nécessaires à l’élaboration des œuvres, pour convaincre les autorités publiques mais aussi les citoyens sur le terrain. Parce qu’elles impliquent une transgression de l’existant, leurs œuvres éphémères sont tout aussi passionnantes dans les débats qu’elles suscitent, que dans leurs aboutissements.

Le couple travaille pendant quatre ans pour faire flotter, deux jours seulement, les 400 mètres du rideau safran de Curtain Valley (1972) dans le Colorado. Il leur faut une décennie de patience et de négociation pour finalement empaqueter le Pont Neuf à Paris (1985) qui a fait travailler une dizaine d’entreprises, une douzaine d’ingénieurs et des centaines d’exécutants. Plus long encore fut l’aboutissement du Reichstag de Berlin (1995) : 24 années jalonnées par trois refus. Enfin, le seul projet d’une œuvre permanente, imaginée « plus haute que la pyramide de Khéops » à Abou Dhabi, s’est étalé sur plus de 40 ans.

… auto-financés

L’essence de ce travail éphémère est qu’il « ne sert à rien », pour reprendre les mots de Christo. Il est là « pour la beauté, l’amour de l’art et rien d’autre. » En choisissant de recouvrir pour révéler, en transformant l’environnement de façon poétique, le duo a créé des oeuvres mises gratuitement à disposition des regards, des expériences que « personne ne peut acheter (…) personne ne peut posséder, personne ne peut commercialiser ».

Il a fallut cependant financer ces installations titanesques… Sans subvention ni parrainage, Christo et Jeanne-Claude ont auto-financé tous leurs projets par la vente directe d’œuvres : croquis préparatoires, collages, dessins, estampes, maquettes et livres. Parfois, les morceaux de tissu ayant empaqueté et transformé un site étaient eux-même revendus une fois l’oeuvre démontée.

Les études et les œuvres dérivées des grands projets alimentent régulièrement les enchères, principalement en Europe et aux États-Unis (20% des lots vendus aux USA depuis 2010). Et si les installations n’ont pas de prix, la plus belle adjudication a été établie pour un empaquetage historique de 1961 à hauteur de 600.000$, soit trois fois l’estimation hausse (Christie’s Paris, 02/12/2014). A l’époque de ce Wrapped object, Christo était encore à Paris, là ou tout à commencé.

C’est en revenant à Paris que nous pourrons redécouvrir l’ampleur du travail, grâce à une grande rétrospective consacré au couple, à partir du 1er juillet au Centre Pompidou. L’exposition devait être couplée avec l’ultime grand projet de Christo, l’emballage de l’Arc de triomphe, mais le projet a été reporté d’un an pour les raisons sanitaires liées au coronavirus. Sophie Duplaix, conservatrice en chef des collections contemporaines au musée national d’Art moderne et commissaire de l’exposition au Centre Pompidou explique que « c’est un projet qu’il caressait depuis le début des années soixante, quand il s’était installé à Paris : il avait un studio dans le 17e arrondissement d’où il voyait l’Arc de Triomphe, qui était un peu pour lui le monument à conquérir. » Sans Christo pour maître d’ouvrage, il n’est pas certain que l’empaquetage de l’Arc de Triomphe puisse avoir lieu… son aboutissement serait néanmoins un bel hommage.

 

Exemples d’adjudications relatives aux installations :

Valley Curtain (Project for Colorado) (1972)

The Pont Neuf, Wrapped (Project for Paris) (1985)

Wrapped Reichstag (Project for Berlin), 1979