Christie’s Bombay : Première

[24/12/2013]

 

Un nouveau chapitre de l’histoire de Christie’s s’est ouvert le 19 décembre 2013 avec sa première vente aux enchères en Inde, à Bombay. Si le marché indien s’avère prometteur, la multinationale se montre audacieuse et s’impose, en défrichant ainsi le terrain, comme la première maison de ventes internationale à donner du marteau en Inde.

Quelques artistes indiens ont déjà amplement gagné leurs galons dans les grandes ventes de Londres ou de New York, des signatures connues et convoitées des collectionneurs occidentaux telles que Bharti Kher, Raqib Shaw, Subodh Gupta, TV Santosh. La création se diffuse certes bien, mais l’Inde doit encore se construire en tant que place de marché. La force de Christie’s repose d’une part sur un travail in situ mené depuis l’implantation de son bureau dans les années 90 et d’autre part sur la demande locale et internationale déjà existante. Pour être attractive, cette première vente se devait d’offrir les signatures de l’art indien les plus établies et les plus internationales. C’est la stratégie adoptée par Christie’s avec, parmi les 83 lots offerts, deux lots phares aux estimations millionnaires sous les signatures de Tyeb Mehta et de Vasudeo S. Gaitonde.

Le célèbre artiste moderne Tyeb MEHTA, décédé en 2009, est peut être le meilleur exemple de l’émergence rapide de l’art moderne indien sur le marché international. Lorsqu’il est introduit pour la première fois aux enchères par Christie’s et Sotheby’s en 1995, ses toiles se vendent en moyenne entre 4 000 et 13 000 $. L’artiste passe un premier seuil de 50 000 $ en 2000 avant de devenir, en 2002, l’artiste moderne indien le plus coté dans une vente internationale grâce à l’adjudication du grand triptyque Celebration adjugé 280 000 $ chez Christie’s New York le 19 septembre. Le cap passé avec Celebration va stimuler le grand boom de l’art indien, dont Mehta s’impose comme l’un des glorieux représentants. La demande s’affole et la cote s’envole, de près de 1 700 % en dix ans ! Pas moins de 14 oeuvres de Mehta furent déjà adjugées au-delà du million de dollars entre 2005 et 2012, toutes entre Londres et New York… à l’exception d’une seule cédée à Calcutta (Kali – III, adjugée l’équivalent de 1 000 800 $ le 23 février 2008 chez Emami Chisel Art Pvt.Ltd). Christie’s Bombay ajoute deux résultats millionnaires supplémentaires au palmarès de l’artiste avec la toile Mahishasura (1994), le lot phare du 19 décembre vendu 3 165 200 $ frais inclus, et Untitled (Falling Figure), parti pour 1,578 m$.

Vasudeo. S. GAITONDE fit lui aussi ses premières armes en salles en 1995 à New York, avec des toiles vendues à l’époque entre 14 000 et 16 000 $, soit le prix d’une lithographie aujourd’hui (la dernière lithographie mise à l’encan se vendait près de 15 000 $ au marteau de Christie’s Londres le 11 juin 2013, 9 500 £). Pétri d’une métaphysique de l’art intransigeante, Gaitonde digéra aussi les champs colorés des expressionnistes abstraits et des conceptuels américains lors des quelques années qu’il passa à New York dans les années 60. Son œuvre trans-culturelle s’avère donc tout aussi importante pour les collectionneurs asiatiques qu’occidentaux. Christie’s misait beaucoup le 19 décembre sur une toile de 1979 estimée 1,040 -1,3 m$, espérant établir le nouveau record de Gaitonde, qui culminait jusque là à 1,3 m$ (avec une toile sans titre de 1975 vendue chez Christie’s New York le 30 mars 2006). Le pari est réussi, avec une adjudication au double des prévisions pour cette toile (Untitled (1979)), finalement cédée 3 792 400 $ frais inclus.

Au menu encore du 19 décembre étaient proposées pas moins de quatorze œuvres de la main de Maqbool Fida HUSAIN, l’un des fondateurs du Progressive Artists Group avec Francis Newton Souza et S.H. Raza, mouvement visant à ouvrir les artistes indiens à l’avant-garde international. Ces trois artistes font partie des incontournables de l’art moderne indien et s’avèrent aussi important que Picasso ou Monet pour des ventes occidentales impressionnistes et modernes. Afin de toucher une clientèle la plus large possible, la signature Husain était aussi bien présente avec des estampes proposées pour moins de 2 000 $, des dessins offerts entre 2 000 et 10 000 $ en moyenne, des oeuvres sur toiles démarrant à 40 000 $ et jusqu’à plus de 300 000 $. Son prix maximal atteint le 19 décembre se monte à 243 600 $ frais inclus, au double des estimations (Periyar (Kerala), toile réalisée vers 1960).

Parallèlement à ces signatures traditionnelles de toute bonne vente d’art moderne indien, une rareté est à signaler, la présence d’une huile sur toile d’Amrita SHER-GIL, considérée comme la mère du modernisme en Inde malgré une carrière bien trop brève puisqu’elle décède à l’âge de 28 ans laissant derrière une production très restreinte. La toile offerte par Christie’s, Untitled (Hungarian Village Church) de 1932 s’est vendue 579 600 $ frais inclus. L’oeuvre reste sur le territoire indien en vertu de la Loi sur l’art et des antiquités 1972 qui interdit son exportation.

Six à huit millions étaient attendus pour cette première vacation dédiée à l’« Art d’Asie du Sud », le résultat final affiche 15,455 m$, au double des attentes, un démarrage prometteur qui prouve que la demande est forte, avec 98% des lots vendus.