Chef-d’oeuvres en vue à New York

[12/01/2016]

 

Les choses sérieuses reprennent à la fin du mois de janvier pour le marché de l’art, avec plusieurs évènements en Asie (la reprise des ventes d’art contemporain à Hong Kong, la Art Stage à Singapour, la India Art Fair à New Delhi, etc.), et avec des ventes destinées à réveiller en douceur le marché occidental : deux ventes d’art ancien sont ainsi organisées le même 27 janvier 2016 à New York, chez Christie’s (seulement avec des dessins) et chez Sotheby’s (suite de la dispersion Taubman) et deux autres le lendemain, l’une de dessins et l’autre de prestige, chez Sotheby’s uniquement. Uniquement chez Sotheby’s, car ce début d’année s’ouvre sur un calendrier bousculant les habitudes, Christie’s n’ayant pas programmé, comme elle nous l’a accoutumé, sa vente Old Masters de prestige dans le sillage de sa grande concurrente.

Christie’s modifie en effet sa stratégie cette année, certainement suite à la déconvenue d’une vacation très décevante de maîtres anciens l’an dernier. Cette vente ratée du 28 janvier 2015 marquait le pire résultat de la grande maison depuis plus de 10 ans ( 9,1 m$), avec un taux d’invendus déstabilisant de presque 60 % (32 invendus sur les 54 œuvres mises en ventes). Estimations trop hautes, œuvres déjà connues des collectionneurs… la vente 2015 souffrait à la fois d’un défaut d’exigence et d’un péché d’optimisme. Christie’s opte donc cette année pour un remaniement afin de composer ultérieurement une vente ultra-qualitative, quitte à mixer plusieurs époques de création.
Les belles toiles anciennes seront donc disputées du côté de Sotheby’s, qui mise sur un portrait de Thomas GAINSBOROUGH le 27 janvier et sur un nu mythologique d’Orazio GENTILESCHI le lendemain.

Le Blue Page de Thomas Gainsborough

La collection Taubman compte trois portraits de l’artiste Thomas Gainsborough inscrits au catalogue du 27 janvier : un Portrait de Admiral Lord Graves (estimé entre 100 000 et 150 000 $), un Portrait de Louis-René Ferdinand Quentin (estimé entre 250 000 et 350 000 $), et surtout le Blue Page (165,5 x 113 cm), clou de cette vacation estimé entre 3 et 4 m$. La vente du Blue Page est un véritable pari, car Gainsborough atteint rarement le million de dollars en salles : c’est arrivé 12 fois en 30 ans, dont une fois en 1989, lorsque Alfred Taubman acheta le même Blue Page pour 1,6 m$. Entre la fin des années 80′ et aujourd’hui, le jeune page vaudrait donc deux fois plus cher au bas mot. Sotheby’s justifie cette hausse en faisant le parallèle entre le Page et quelques chef-d’oeuvres de Gainsborough, dont le fameux Garçon en bleu conservé à la Bibliothèque Huntington de San Marino aux États-Unis. Les experts ont longtemps pensé que le Page bleu était un travail préparatoire pour le Garçon en bleu mais il n’en est rien, puisqu’il a été récemment établi que le Page est postérieur au Garçon. En-dehors de cette nouvelle donnée historique, l’attrait du Page réside dans la modernité d’un traitement où l’on retrouve à la fois l’énergie, la spontanéité et la délicatesse du maître anglais.
Ce marché demeure sensible car les collectionneurs de Gainsborough sont particulièrement exigeants et il arrive que des portraits (certes bien moins importants que le Page Bleu) se retrouvent invendus malgré des estimations attractives de moins de 50 000 $…
Depuis 2011, le record de l’artiste tient toujours à 10,5 m$, pour un portrait en pied de Mrs. William Villebois, une œuvre majestueuse, tant par ses dimensions (plus de deux mètres de haut) que par son réalisme psychologique et par le traitement de la tenue (Christie’s Londres, le 5 juillet 2011).

Le lendemain, un record mondial est attendu entre 25-35 m$ pour une superbe Danaë signée Orazio Gentileschi, que les visiteurs ont pu admiré ces deux dernières années au Metropolitan Museum of Art. Le record actuel de l’artiste culminant à 7 m$ depuis décembre 1995 (avec The Finding of Moses chez Sotheby’s Londres, le 6 décembre 1995). Le grand nu de Danaë arrive sur le marché deux mois après un autre nu historique, de Gustave COURBET cette fois, vendu au prix record de 15,2 m$ (La grande Femme nue couchée 1862, le 9 novembre 2015 à New York). Un record absolu à plus de 11 m$ du précédent sommet de l’artiste (Étretat: Les Falaises, vendue 3,7 m$ le 6 novembre 2013 chez Sotheby’s). Cette Femme nue couchée fut peut-être la plus belle toile de Courbet jamais offerte aux enchères et, puisque l’exception se paie au prix fort, Christie’s en espérait plus encore, comme l’affichait une estimation haute de 25 m$. La Danaë de Gentileschi attendra-t-elle le prix qui fut espéré pour Courbet ? Résultat le 28 janvier 2016.