Botticelli et le « golden boy » de la Renaissance

[29/01/2021]
Boticelli Sothebys

Sandro Botticelli, Jeune homme tenant une cocarde

Coup de maître pour la maison de ventes Sotheby’s, car si les œuvres de Sandro BOTTICELLI (c.1445-1510) sont rarissimes, ses portraits sont quasiment introuvables ! Le dernier coup d’éclat de Botticelli, une superbe Vierge à l’enfant, ‘The Rockefeller Madonna’: Madonna and Child with Young Saint John the Baptist n’avait trouvé preneur en 2013 qu’à 10,4 m$. Mais les planètes étaient alignées pour ce portrait de Jeune homme tenant une cocarde, qui est à la fois plus grand, plus rare et en bien meilleur état que ce précédent record. Verdict : En quelques 4 minutes le Jeune Homme a été emporté pour plus de 92m$ !

Contrairement à sa rivale Christie’s qui avait cassé les codes en incluant le Salvator Mundi (救世主) de Léonard de Vinci dans une vente d’art Moderne et Contemporain, Sotheby’s est restée fidèle à la tradition, en proposant ce portrait de Botticelli, l’un des plus beaux portraits connus, comme point culminant de la Old Masters Week à New York du 28 janvier. Finalement vendu à son estimation ce chef-d’œuvre rejoint le club très fermé des portraits les plus chers jamais présentés aux enchères, toutes époques confondues, aux côtés notamment du Portrait of Adele Bloch-Bauer II de Gustav Klimt (87,9 m$ en 2006) et du Portrait du Docteur Gachet (嘉舍医师的画像) de Van Gogh (82,5 m$ en 1990).

Le dernier portrait de Botticelli…

Ce portrait n’a pas été soudainement découvert, il jouit d’une provenance connue et prestigieuse, mais discrète. Resté pendant des générations dans la famille Newborough au Pays de Galles, il était inconnu des chercheurs avant d’apparaître sur le marché de l’art dans les années 1930, lors de son rachat par Frank Sabin vers 1935. Lorsqu’il vend le Portrait de jeune homme portait un médaillon au scientifique et collectionneur britannique Sir Thomas Ralph Merton en 1941, Kenneth Clark, alors directeur de la National Gallery de Londres, approuve complètement son attribution à Botticelli. Le catalogue de la collection Merton rédigé par Alfred Scharf et publié en 1950 le mentionne donc sous cette attribution. Si l’on excepte son apparition à la Royal Academy Exhibition de 1960 à Londres, le tableau reste globalement dans l’anonymat, si bien que les spécialistes de Botticelli au XXe siècle négligent de le mentionner ou l’attribuent à d’autres peintres. Considéré comme l’une des œuvres les plus belles et les plus importantes de l’artiste, Portrait of a young man holding a roundel fut acheté par le milliardaire américain Sheldon Solow pour 1,3 m$, lors d’une vente de Christie’s, en 1982.

« Quand vous avez un chef-d’œuvre qui se présente, les gens se réveillent, (…) quelle que soit la période ». Christopher Apostle, chef du département des tableaux anciens de Sotheby’s NY

Boticelli Marullo

Sandro Botticelli, portrait de Michele Marullo Tarcaniota

Avant d’être nommé « le dernier portrait de Botticelli en mains privées », ce titre envieux était détenu par un portrait du poète et soldat d’origine grecque du XVe siècle Michele Marullo Tarcaniota. Mis en vente par la Trinity Fine Art Gallery pour le compte d’une famille de collectionneurs espagnols, ce superbe portrait, beaucoup plus austère, était proposé en octobre 2019 sur Frieze Masters, pour 30 m$. Marullo restera en Espagne : privé d’autorisation de sortie du territoire espagnol, il est resté invendu, pour le moment. Ce n’est pas le cas de notre jeune homme qui, lui, est libre de circuler. La maison de ventes était d’ailleurs suffisamment confiante pour ne pas avoir proposé de garantie au vendeur.

Cette vente démontre tout l’intérêt – et pour tout dire la montée en puissance – des tableaux de maîtres anciens aux enchères. C’est un marché tendu, la plupart des chefs-d’œuvre n’étant plus entre des mains privées, et exaltant. Les ventes médiatiques de ces dernières années ont entraîné un regain d’intérêt pour un segment du marché jusqu’ici relativement stable. « D’une certaine manière, les maîtres anciens sont devenus d’aussi grandes marques que les contemporains Andy WARHOL ou Jeff KOONS », avait déclaré Karl Hermanns, directeur général mondial de Christie’s Old Masters au moment de la vente du Salvator Mundi.

Un pur chef-d’oeuvre

Dans un état de fraîcheur exceptionnelle, l’œuvre, une tempera sur panneau dont le verso a été enduit de plâtre pour éviter que le bois ne se déforme, mesure 58,7 cm sur 39,7 cm. Un jeune homme en habite quasiment tout l’espace, tourné de trois quarts face dans un cadre de pierre grise, le regard direct plongeant vers le spectateur. Qui peut être ce bel adolescent ? Tout comme Le portrait d’un jeune homme avec la médaille de Cosme l’Ancien, conservé au Musée des Offices de Florence, avec lequel il partage de nombreuses similarités de composition et de style, l’identité de son modèle reste inconnue. Un anonyme, mais certainement pas n’importe qui !

Les portraits de Botticelli parvenus jusqu’à notre époque portent des noms illustres, il s’agit ici sans doute d’un proche des Médicis. Ses longues mèches blondes, ses traits délicats, ses mains fines qui semblent sortir du cadre, tout en lui respire la Renaissance florentine, et dans le même temps, le tableau est remarquablement moderne dans sa simplicité incroyablement efficace, sa linéarité graphique et son audacieux choix de couleurs. La fenêtre, ouverte sur le monde, fait entrer le monde extérieur dans le tableau, et les mains du jeune homme semblent sortir du cadre. En cela, le maître suit les préceptes de Leon Battista Alberti qui, dans son traité De pictura, énonce que « la peinture doit faire entrer le réel dans l’imaginaire ». Le point focal de ce panneau est une mise en abyme. Le séduisant modèle tente de s’effacer derrière l’objet qu’il présente à la contemplation du public : une cocarde représentant un saint barbu avec la main droite levée.

« Comme un géant parmi les portraitistes. [Botticelli] peut animer le visage humain, il peut appréhender ses contours et ses plans, il peut l’investir d’une réponse sensible à la scène quand elle se produit. » (John Pope-Hennessy, 1966)

Boticelli médaillon

Sandro Botticelli, Jeune homme tenant une cocarde, détail du médaillon par Bartolomeo Bulgarini, (c. 1300/10 – 1378)

Cette petite peinture à fond d’or est une œuvre d’art à elle seule. La pièce a été insérée dans une cavité creusée dans le panneau. Bien que le visage, les vêtements et la pose de la figure soient fortement inspirés des modèles byzantins, il s’agit d’une peinture italienne de moins d’un siècle plus ancienne que son hôte, probablement une œuvre du peintre siennois Bartolomeo di Messer BULGARINI (c.1345-1378), qui a également travaillé à Florence. Le saint représenté, ou le retable dont il provient, peut avoir eu une signification pour le commanditaire. Ce médaillon agit comme contrepoint à la modernité en montrant le passage d’une peinture traditionnelle religieuse du Trecento à un portrait civil de la Renaissance où l’homme prend toute la place. Le saint est aussi vieux que l’adolescent est jeune, il est de face, statique quand la figure du jeune homme s’anime dans ce mouvement du profil. Placé en trompe-l’œil entre les doigts du jeune homme et en équilibre sur la corniche, l’illusion est parfaite.

Sa date de création est estimée entre 1470 et 1480. Ces décennies correspondent à la période la plus prolifique de Botticelli : celle de La Naissance de Vénus (entre 1485-1486), du Printemps (entre 1478-1482) et de la décoration de la chapelle Sixtine (débutée en 1480). Tout le talent et l’esprit novateur de Botticelli semblent réunis sur ce panneau.