Boltanski au « passé recomposé »

[15/10/2019]

Une signalétique « Départ » à l’entrée et une autre « Arrivée » à la sortie de l’exposition feront instantanément comprendre au visiteur que « Faire son temps » est un voyage. Du 13 novembre prochain au 16 mars 2020, la galerie 1 du Centre Pompidou accueille Christian Boltanski. Au même moment, à Tokyo, s’achèvent les deux expositions consacrées à l’artiste au National Art Center et à l’Espace Louis Vuitton (jusqu’au 17 novembre) : Boltanski est partout !

  Christian BOLTANSKI (1944) quitte l’école assez jeune et commence à se former de manière autodidacte aux arts graphiques, à partir de 1958. Il sort rapidement du champs de la peinture pour explorer dès la fin des années 1960 d’autres modes d’expression, comme les fameuses Archives, des dossiers réinventés élaborés à partir de matériaux très divers (photographies, cartons, objets trouvés, vêtements…) et mélangeant les formes artistiques comme la vidéo et le cinéma, où déjà sa vie et son œuvre se confondent. C’est cette « mythologie individuelle », titre d’une section de la documenta V (1972), qui caractérise alors le mieux l’œuvre de Christian Boltanski, tant il pousse la mémoire, l’oubli ou l’absence dans leurs derniers retranchements artistiques.

Plébiscité en France pour son installation dans la nef du Grand Palais pour Monumenta en 2010 et représentant la France à la Biennale de Venise l’année suivante, Christian Boltanski connaît à cette époque-là également ses plus gros succès en salle de vente, et réussi le pari de l’international : le marché de Boltanski est plus dynamique aux USA qu’en France.

Ce sont les œuvres de la fin des années 1980 qui ont le plus de succès, avec un record absolu à plus de 130 000$ pour Le reliquaire chez Christie’s en 2006. Ses Monument to the Lycée Chases et Shadows from the lessons of darkness, qui renvoient à l’enfance, rencontrent également leur public au plus haut prix.

Depuis 2011, les œuvres les plus récentes de l’artiste ont tendance à moins trouver preneurs. Cela semble être un choix assumé de Christian Boltanski qui déclarait en 2013 lors d’un entretien avec Laure Adler sur France Culture: « Je ne fais pratiquement plus des œuvres que l’on pourrait accrocher chez quelqu’un. » Boltanski, en changeant d’échelle et de format, se définit en historien de lui-même et des autres, mais également en géographe de l’ici et l’ailleurs, avec ses installations investies du don d’ubiquité comme Les Archives du Coeur sur l’île de Teshima au Japon, sorte de conservatoire où l’on peut entendre les battements du cœur de l’artiste et ceux de 180000 visiteurs ; ou encore l’incroyable Dernières années de CB, une retransmission vidéo en direct de l’atelier de Boltanski à Malakoff, dans une grotte en Tasmanie. En 2009, elle a été achetée en viager par le milliardaire David Walsh, qui, pour rentrer dans ses frais, pariait sur le décès de l’artiste avant huit ans. L’artiste, obsédé par la mort, a survécu jusqu’à présent et semble avoir vaincu le destin que traçait pour lui le collectionneur tasmanien !

Conçue par l’artiste, l’exposition parisienne est une rétrospective qui ne dit pas son nom, trente-cinq ans après sa première exposition au Centre Pompidou. Au fil d’un parcours labyrinthique, le plasticien invite, sans fil d’Ariane, à contempler une cinquantaine de ses pièces les plus emblématiques, des années 1970 aux plus récentes, des plus petits formats aux énormes installations des dernières années : Les Vitrines de références, ces réceptacles mêlant objets personnels et artefacts archéologiques précèdent les Reliquaires, les Autels succèdent aux Théâtres d’ombres où le reflet dansant des marionnettes convoque l’univers des légendes et mythologies oubliées. L’on passe de salles étroites confinées dans laquelle l’on n’a d’autre choix que d’intégrer l’œuvre, à des espaces plus sombres et recueillis dans lesquels la lumière vient des installations elles-mêmes.

C’est ainsi que l’exposition devient une œuvre en soi, installations et visiteurs compris. L’artiste semble beaucoup tenir à abattre les frontières entre le public et les œuvres : « Pour moi, il est très important aujourd’hui qu’on ne soit pas devant quelque chose mais dans quelque chose. »