Bascule digitale #2. L’avance de Sotheby’s

[05/05/2020]

Une vente « hongkongaise » (derrière son écran) bien plus fructueuse qu’on ne le pensait, des transactions fluides, de nouveaux acheteurs, et des niveaux d’enchères en hausse… la bascule aux ventes « en ligne seulement » porte ses premiers fruits. Attardons-nous cette semaine sur la stratégie et les (bons) résultats de Sotheby’s, qui devance ces concurrentes dans la dynamique en ligne.

 

“Les habitudes d’achat sont déjà bouleversées.”

Les ventes aux enchères d’oeuvres d’art existent depuis 300 ans et viennent juste d’enregistrer un nombre historique de transactions : 550.000 œuvres fine art vendues aux enchères en 2019 dans le monde. Ce spectacle doit continuer et les maisons de ventes poursuivre leurs activités face au confinement. Les ventes en ligne semblent être une réponse toute trouvée.

Sotheby’s a montré, depuis plusieurs années, que les ventes en ligne sont au coeur de sa stratégie de développement. Au cours de l’année 2019, la société américaine a vendu près de 4.000 œuvres d’art réalisant 42,8m$ de produit de ventes. Ce montant ne représente alors que 1,2 % du chiffre d’affaires de Sotheby’s. Mais sur le premier trimestre 2020, les ventes en ligne de fine art atteignaient déjà 25 m$, soit 6,4 % de son résultat. L’arrivée de Patrick Drahi semble donc avoir encouragé cette évolution.

Il ne s’agit pas pour Sotheby’s de basculer tout à coup dans le 100 % en ligne, en espérant vendre en online-only cette année pour 3,7 Mrd$ d’oeuvres (chiffre d’affaires fine art de Sotheby’s en 2019). Sa stratégie consiste vraisemblablement à intensifier les ventes en ligne, en gardant un taux d’invendus sain (autour de 20%) et en augmentant progressivement la qualité des œuvres.

La crise sanitaire donne donc un coup d’accélérateur énorme à la stratégie digitale de la maison de ventes, qui a choisi de s’attaquer au segment moyen de gamme avec deux ventes de jour. C’est un choix naturel et judicieux, car ce segment connaît une très forte demande.

Hong Kong sans Hong Kong

Les résultats d’avril montrent que Sotheby’s va dans le bon sens. Sa vente d’art contemporain, qui devait avoir lieu a Hong Kong et qui a été basculée en ligne, a remporté en franc succès mi-avril. Certes, Sotheby’s proposait des œuvres « faciles à acheter », parce qu’abordables d’une part (nombreuses à moins de 5.000$) et sous les signatures ultra-populaires d’autres part, dont KAWS, INVADER, Shepard FAIREY, Takashi MURAKAMI, ZHANG Xiaogang ou YUE Minjun. Des lots susceptibles de mettre en confiance de nouveaux enchérisseurs, comportant peu de risques, mais dégageant peu de marge. Un lots plus « sérieux » étayait le catalogue de cette vente, une toile ancienne de Yayoi KUSAMA, The wave inside a memory of illusion (1978) qui, portée par 17 enchères, a passé les 120.000$. Au total, cette « Contemporary Art | Hong Kong » a généré 1,3 m$, dépassant son estimation haute de 750.000$.

Deux records en un, pour finir

Les niveaux d’enchères en ligne et la qualité des œuvres proposées sont appelés à augmenter à l’avenir. Tout porte à le croire, notamment le premier résultat millionnaire obtenu pour une vente en ligne de Sotheby’s. Ce palier a été atteint le 21 avril, avec une toile de Georges Condo incluse à la vente Contemporary Curated. Intitulée Antipodal Reunion (2005), l’oeuvre de Condo a été poussée à 1,3m$, le prix le plus élevé jamais payé pour un tableau lors d’une vente en ligne de la société d’enchères américaine.

Même vente, autre record avec, au total, 6,4 m$ d’oeuvres vendues à l’issue de cette session Contemporary Curated. Jamais une vente en ligne organisée par Sotheby’s n’avait atteint un tel résultat, un résultat d’ailleurs supérieur à une estimation optimiste de 5,75m$.

Sotheby’s a indiqué que ses récentes ventes en ligne ont attiré entre 30 et 35% de nouveaux enchérisseurs. Les habitudes d’achat sont donc déjà bouleversées. Il faut maintenant que les maisons de ventes soient capables de convaincre, d’encourager l’offre et la demande, mais aussi de résoudre les problèmes de logistique, concernant l’expertise, le stockage et l’envoi des œuvres.