Au pays de l’or noir

[28/04/2015]

 

L’ extravagante richesse des états de la péninsule arabique ne passe pas tout à fait inaperçue. Hôtels fastueux, bolides flamboyants et constellations de pierreries : le secteur de l’ultra luxe trouve dans ces villes florissantes une clientèle pratiquement insatiable. Aussi est-il naturel que les grandes enseignes du Marché de l’Art se soient décidées à y opérer elles-aussi. Christie’s, la première, organisa une vente à Dubaï en 2006, suivie par Bonham’s deux ans plus tard. En 2009, Sotheby’s s’installe à Doha et propose deux sessions. Même la maison parisienne Millon et associés s’essaya à une vente dans l’émirat de Dubaï en 2012.

Les lots que l’on s’y échange combinent chefs-d’œuvre modernes, impressionnistes et anciens, art oriental et pièces ultra-contemporaines venues des quatre coins de la planète. Dernière vente en date, Contemporary art / Doha, organisée mardi dernier, le 21 avril 2015 par la maison Sotheby’s, qui enregistra un total d’adjudication de 7,5 m$ (frais inclus) pour seulement 43 lots cédés.

La société Artprice décortique ce résultat pour vous aider à mieux comprendre le fonctionnement du marché dans la péninsule arabique.

1. La part belle aux artistes africains et orientaux

Parmi les pièces les plus attendues de cette vente aux enchères : Introvert (2012) de l’artiste ghanéen Anish KAPOOR fut vendue 910 000 $ (tous les prix avec frais), A new spring (2007) de l’iranien Monir FARMANFARMAIAN et The Shrine (2011) de son compatriote Ali BANISADR furent respectivement acquises pour 274 000 $ et 237 500$, ou encore “I Got Sunshine” (2011) de Farhad MOSHIRI cédée pour 150 000 $. Ces artistes jouissent aujourd’hui d’une réputation internationale. Leurs noms figurent dans les catalogues de grandes ventes londoniennes et new-yorkaises, si bien que ces résultats ne sont pas particulièrement étonnants.

D’autres enchères en revanche ont fait briller des artistes bien moins connus. Deux toiles de l’artiste égyptien Ramsès YOUNAN, Untitled (1945) et Untitled – Abstract (1965), toutes deux estimées moins de 80 000 $, furent respectivement adjugées 137 500 $ et 106 500 $. Par ailleurs, les deux enchères probablement les plus inattendues de cette session récompensèrent des artistes saoudiens. La peinture toute fraîche d’Abdullah QANDEEL, The Race (2014), estimée entre 20 et 30 000$ fut achetée 274 000 $ ! Alors que Men at Work (2011) d’Abdulnasser GHAREM, acquise 48 500 $ en octobre 2011 à Londres chez Sotheby’s, fut cédée pour 125 000$ : soit une plus-value de 158 % en moins de 4 ans de détention !

L’artiste d’origine indienne Anish KAPOOR, l’un des plasticiens contemporains les plus célèbres au monde, connaît la seconde meilleure enchère de la soirée avec son œuvre Untitled (2008), sculpture circulaire de 2,3 m de diamètre en acier inoxydable, acquise pour 1,03 m$. Or cette même pièce avait été achetée à Londres, chez Phillips le 7 novembre 2011, pour 1,3 m$, démontrant une fois de plus que même le meilleur de l’art contemporain ne prend pas continuellement de la valeur !

2. De belles signatures occidentales

Mais les collectionneurs de la péninsule arabique s’arrachent également les grandes signatures occidentales. Christopher WOOL domine une fois de plus la soirée grâce à la vente de son œuvre Untitled (1987), acquise pour 1,33 m$. Mais il n’est pas le seul artiste occidental à avoir réussi à séduire les collectionneurs qataris. L’italien Rudolf STINGEL voit sa toile Untitled (2001) partir pour 790 000 $, tandis que Dump truck (2011), version 1:16ème du camion gothique du plasticien belge Wim DELVOYE, fut emporté pour 125 000 $.

Quelques très jeunes plasticiens se sont également faits remarquer au cours de cette vente. Outre Abdullah QANDEEL (1988) précité, le jeune Kour POUR (1987), nouvelle coqueluche de la scène britannique avec ses peintures à l’acrylique ressemblant à s’y tromper à des tapis orientaux, enregistre un nouveaux record personnel à 162 500 $ avec la vente de Love Child (2010).

3. Un marché complexe

Très peu de maisons de ventes ont réussi à s’installer durablement dans la péninsule arabique. Seules Sotheby’s à Doha et Christie’s à Dubaï conservent des activités récurrentes. Toutefois la première n’organise plus qu’une seule vente par an, tandis que la seconde ne dépasse jamais plus de 4 sessions en douze mois. Ces soirées sont certes prestigieuses mais elles restent finalement épisodiques, trahissant la difficulté qu’il y a, même pour les plus grandes enseignes, à rassembler des pièces qui charmeront les collectionneurs de cette région.

On sait que les grandes fortunes arabes aiment séjourner dans les capitales européennes et américaines, qu’elles fréquentent régulièrement les salles de ventes de Londres comme de New York. Aussi les maisons sont-elles obligées d’innover lorsqu’elles s’invitent dans la péninsule arabique. Que proposer à ces collectionneurs qui ne connaissent déjà que trop bien leurs catalogues, sinon un mélange tout spécial des plus grandes signatures et des dernières tendances, avec une pointe d’extravagance et, surtout, en faisant la part belles aux influences orientales ?