Art Paris: interviews de Véronique Jaeger et Suzanne Tarasieve

[07/09/2021]

Premier salon d’art moderne et contemporain à intégrer le Grand Palais Éphémère, Art Paris Art Fair est ouvert jusqu’au 12 septembre 2021. A cette occasion, nous avons interrogé deux directrices de galeries emblématiques présentent sur le salon, Véronique Jaeger et Suzanne Tarasiève.

Véronique Jaeger, galerie Jeanne Bucher Jaeger

La galerie Jeanne Bucher Jaeger fait partie des rares galeries internationales à avoir plus de 90 ans d’ancienneté avec une liste d’artistes et un fonds d’œuvres traversant le champ de l’Art du XXe siècle et s’inscrivant dans celui du XXIe siècle. Fondée par Jeanne Bucher en 1925, la galerie est reconnue comme une institution européenne. Jeanne Bucher expose initialement les Avant-gardistes Surréalistes, Cubistes et Abstraits d’avant-guerre (Bauchant, Ernst, Giacometti, Kandinsky, Léger, Masson, Miró, Picasso, Staël, Tanguy, Vieira da Silva…). Jean-François Jaeger prend la suite dès 1947 et expose les grands Abstraits Européens d’après-guerre (Staël, Vieira da Silva, Bissière, Tobey, Dubuffet, Jorn…), les nouveaux peintres Figuratifs et Réalistes des années 70 (Gérard Fromanger, Dado, Fred Deux…), les sculpteurs urbains et environnementaux des années 80 (Dani Karavan, Jean-Paul Philippe, Jean-Pierre Raynaud… Véronique Jaeger reprend la direction générale de la galerie rue de Seine en 2004 et inaugure un nouvel espace dans le Marais en 2008. En 2015, son frère Emmanuel Jaeger la rejoint à la direction de la galerie. Ils poursuivent les expositions monographiques des artistes associés depuis toujours à la galerie aussi bien dans ses murs que par des prêts importants ou par l’organisation d’expositions dans des musées internationaux, tout en soutenant de nouveaux artistes tels que Michael Biberstein, Miguel Branco, Evi Keller, Rui Moreira, Hanns Schimansky, Susumu Shingu, Paul Wallach, Yang Jiechang, Zarina et Antonella Zazzera.

Veronique Jaeger © Photo de Georges Poncet

Véronique Jaeger, comment décririez-vous le travail de galeriste aujourd’hui ?

Nous vivons notre travail de galeriste comme toujours, c’est-à-dire dans l’accompagnement et la promotion de l’œuvre de nos artistes dans la durée. C’est cette durée qui nous permet de voir l’œuvre à l’œuvre, en train de se construire, les doutes, les élans, la recherche, tout ce qui fait partie du domaine de la création et du sensible. La galerie se vit tout autant dans ses murs que hors murs puisque les expositions à l’extérieur au sein de musées ou fondations se multiplient et que les artistes ont besoin d’accompagnement tant pour ces expositions que pour les éditions de catalogue et la production de leurs œuvres. La fidélité est tout autant auprès des artistes qui nous ont rejoint depuis 12 ans qu’auprès de ceux que nous exposons depuis longtemps et qui nous ont fait confiance pour la promotion de leur œuvre.
Notre travail demeure le même sur le fond et a su s’adapter – dans la forme – à chaque période. Notre métier de galeriste est un métier passionnant qui, exercé sur la durée, a le mérite de nous offrir une connaissance profonde de l’œuvre des artistes que nous exposons.

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Quels artistes que vous défendez ont le plus de succès auprès des collectionneurs français et avez-vous le sentiment que les goûts des collectionneurs ont évolué ?
La décision de l’acquisition d’une œuvre par un collectionneur est toujours une marque de confiance en l’œuvre d’un artiste et envers le travail de son galeriste. La connaissance de l’œuvre de ces artistes qui n’est pas seulement une connaissance théorique mais également une connaissance sensible de l’œuvre se développe en exposant ces artistes de manière récurrente au sein de la galerie, et nous permet ensuite de mieux partager cette œuvre avec les collectionneurs et les institutionnels qui nous font confiance. Nous n’avons pas à privilégier un artiste parmi d’autres car, pour nous, chacun des artistes dont nous assurons la promotion a sa particularité et son intérêt.

Tous les nouveaux artistes que nous exposons sont entrés dans de bonnes collections françaises. Le collectionneur français prend son temps lorsqu’il est face à une acquisition mais il est également fidèle dans le temps, et curieux face à l’évolution de l’œuvre. Les bonnes collections françaises sont des collections informées, passionnantes, consistantes et sérieuses dans la manière avec laquelle leurs collections sont formées, prudentes quant aux effets de mode ou de spéculation. L’année 2020 n’a pas été une année facile mais elle s’est révélée passionnante car elle nous a permis de voir à quel point les artistes dont nous assurons la promotion sont en phase avec ce que nous pressentons pour demain : une démarche artistique sérieuse, basée sur la durée, une réflexion profonde ne cédant jamais à la facilité ni aux travers du marché de l’art qui peut être quelquefois trompeur.    

        
Suzanne Tarasieve, galerie Suzanne Tarasieve

Suzanne Tarasieve ouvre la Galerie Triade en 1978 à Barbizon. Elle y expose César, Combas, Pincemin, Volti, Bonnefoi. Aujourd’hui, elle dirige deux espaces à Paris : la galerie rue Pastourelle du 3e arrondissement, qui a accueilli dès son origine les néo-expressionnistes allemands (Immendorf, Penck, Baselitz, Lüpertz, Polke) et le Loft 19 à Belleville. Connue pour son énergie, son engagement et sa passion, elle est une figure incontournable de l’art contemporain en France, ou elle a notamment œuvré à la reconnaissance de Boris Mikhaïlov, Romain Bernini, Eva Jospin et Jean Bedez.

 

Grandee Dorji Tianchang GU, Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

Suzanne Tarasieve, comment décelez-vous les talents de l’art contemporain ?
Je pense que c’est très subjectif. Tout galeriste a sa propre sensibilité et va construire son programme, et au-delà sa vie de galeriste, par rapport à ses goûts, ses affects, ses préoccupations, son regard singulier sur le monde. C’est à partir de ça que l’on va regarder le travail des artistes. Et paradoxalement il faut aussi savoir l’oublier. J’accepte que mes choix soient parfois irrationnels. Par exemple, je suis une amoureuse de peinture mais il y a deux photographes dans mon programme qui ont été des évidences.

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Comment se construit la valeur d’un artiste ? Ou comment devrait-elle se construire selon vous ?
A notre époque la valeur d’un artiste est parfois trop volatile, il y a de jeunes artistes qui font des prix élevés trop vite. Je pense que le rôle de la galerie est justement de construire une valeur stable mais progressive, exposition après exposition. C’est une responsabilité vis-à-vis des artistes et des collectionneurs.