Art et intelligence artificielle

[13/09/2022]

Dans les biennales, les musées, les galeries, les salons d’art, mais aussi aux enchères, les œuvres engageant la technologie font de plus en plus parler d’elles : entre enthousiasme des nouvelles possibilités de l’IA et polémiques acerbes.

Fin août, Jason Allen, 39 ans, n’a pas gagné que des amis après avoir remporté le premier prix pour les artistes numériques émergents de la Colorado State Fair, avec “Théâtre d’opéra spatial”, une œuvre présentée comme étant sa propre création, mais réalisée avec une intelligence artificielle. Pour l’artiste, l’IA doit être considérée comme un outil comme les autres, au même titre qu’un pinceau… au grand dam de ses détracteurs. Concrètement, l’artiste a alimenté l’IA MidJourney – un algorithme de génération d’images stylisées ressemblant à des tableaux – à partir d’une description textuelle de l’image qu’il souhaitait créer. Le résultat final s’avère éloigné des codes habituels de l’art contemporain : il flirte avec une imagerie post-apocalyptique et convoque une esthétique proche de la Fantastic fantasy.

En août dernier, une œuvre réalisée par une IA remporte un Premier prix à la Colorado State Fair.

 

Jason Allen et l’IA MidJourney, Théâtre d’opéra spatial

L’œuvre a été très bien reçue par le jury de la Colorado State Fair et par son public puisqu’elle emporte le premier prix de la catégorie “artistes numériques émergents”, mais cette récompense a déclenché une vague de réactions féroces sur les réseaux sociaux, accusant l’artiste de tromperie, de tricherie.. Certains détracteurs annoncent même “la mort de l’art” avec l’entrée de l’intelligence artificielle dans le champ de la création ! Ces tensions exacerbées tendent à prouver que nous sommes à l’aube d’une petite révolution…

Sur le marché de l’art aussi, les IA commencent à faire parler d’elles, ayant été introduites aux enchères il y a déjà quelques années avec le collectif OBVIOUS : trois artistes et chercheurs français, pionniers dans l’usage de l’intelligence artificielle en tant qu’outil de création. Pierre Fautrel, Gauthier Vernier et Hugo Caselles-Dupré (le chercheur en intelligence artificielle), ont commencé à se faire remarquer en mêlant l’art classique aux technologies les plus récentes, entraînant des réseaux adversariaux génératifs (GAN) sur les portraits d’ancêtres chinois, pour donner naissance à une nouvelle dynastie entièrement artificielle. Il participe alors à ce que certains considèrent déjà comme un nouveau mouvement artistique : le GANisme, mouvement à travers lequel l’esthétique est confiée à la machine, autant, voire plus, qu’à l’œil humain. 

 

Retour sur les débuts de l’IA aux enchères

En 2018, le collectif est contacté par Richard Loyd, spécialiste du département Prints & Multiples de Christie’s New York, qui souhaite tenter l’expérience de vendre aux enchères la première œuvre créée par une IA. Le choix se porte sur Edmond de Belamy : une impression numérique sur toile d’un portrait aux contours flous, présenté dans un cadre doré : une image volontairement classique de prime abord, si ce n’est que ce résultat est l’aboutissement d’un programme intensif avec un logiciel sur-entraîné, ayant incorporé 15 000 portraits peints entre le 14e et le 20e siècle ; un processus de travail très coûteux, qui nécessite une énorme puissance de calcul. Le programme aurait ainsi appris à “comprendre les règles du portrait” avant de générer de façon autonome une série de nouvelles images, grâce à l’algorithme développé en 2014 par Ian Goodfellow, chercheur chez Google. Les membres d’Obvious ont choisi onze images résultant du travail de la machine, chacune ayant été attribuée à différents personnages d’une famille fictive appelée “Belamy”, la traduction de “Goodfellow”, le patronyme du chercheur.

Obvious, Edmond de Belamy

“Nous avons constaté que les portraits fournissaient le meilleur moyen d’illustrer notre propos, à savoir que les algorithmes sont capables d’émuler la créativité.” Hugo Caselles-Dupré, d’Obvious

 

Lorsque l’œuvre Edmond de Belamy passe chez Christie’s en octobre 2018, elle est estimée entre 7 000 $ et 10 000 $. Personne ne savait vraiment à quoi s’attendre… L’enthousiasme pour le nouvel outil technologique et la ‘première’ d’une IA intronisée aux enchères par l’une des plus grandes maisons de ventes de la planète, propulsent l’œuvre à un niveau de prix spectaculaire : 432 500 $, quarante-trois fois l’estimation haute ! 

Mais Obvious n’a pas maintenu ce niveau de prix par la suite aux enchères : le prix maximum constaté depuis est 25 000 $ pour La Baronne de Belamy (2018), issue de la même série (Sotheby’s New York; 15/11/2019). Seul l’avenir dira si l’engouement repart, si le marché décide de soutenir à nouveau les prix d’Obvious pour saluer leur travail pionnier dans le domaine de l’intelligence artificielle appliquée à l’art.

En 2022, une IA s’est encore distinguée sur le marché des enchères : elle se nomme Sophia et est le premier robot-humanoĩde du Marché de l’Art… Ses performances seront à découvrir dans le Rapport sur le Marché de l’art d’Artprice, entièrement axé sur l’art ultra-contemporain, dont la mise en ligne est prévue le 4 octobre !