Art Contemporain Africain : l’ancrage d’un second marché

[18/11/2022]

En l’espace d’une décennie, le nombre d’artistes contemporains africains soumis aux enchères, et leur chiffre d’affaires, est multiplié par trois. Arrive une phase d’ancrage sur le marché mondial, après une longue période d’émergence.

La création contemporaine africaine ne se limite plus à un petit cercle d’initiés, de collectionneurs depuis longtemps acquis à sa cause : en intégrant les grands rendez-vous internationaux (expositions, foires, biennales…) de plus en plus fréquemment ces dernières années, il lui a été offert une visibilité croissante auprès des institutionnels et des amateurs d’art privés, qui ont naturellement diversifié leurs collections en intégrant des artistes africains. “Ouverture”, “diversification”, “inclusion” sont par ailleurs devenus des maîtres mots des grandes sociétés de ventes aux enchères, dont les plus puissantes – qui s’avèrent être de fines observatrices de la jeune scène africaine – participent pleinement à sa promotion. Il faut dire que l’enjeu économique est important : les taux de croissance constatés sont impressionnants, et la perspective que les artistes africains rattrapent les niveaux de prix de leurs contemporains issus d’autres continents est alléchante pour les opérateurs de ventes.

Depuis une dizaine d’années chez Bonhams, depuis cinq ans chez Sotheby’s, les artistes africains font l’objet de ventes aux enchères spécialisées, pour faire découvrir leurs œuvres, pour construire leur cote sur le marché international. Ces ventes dédiées existent toujours mais les pratiques sont en train d’évoluer de façon notable, avec l’introduction récente et répétée de lots africains dans les ventes généralistes de Christie’s, Sotheby’s ou Phillips. Il s’agit là d’un signal fort : celui que l’art contemporain africain n’a plus forcément besoin d’un traitement ‘à part’, celui qu’il s’ancre véritablement sur le marché de l’art global, après une longue période d’émergence.

 

Toyin Ojih Odutola : répartition géographique du produit de ventes aux enchères depuis 2020 (copyright Artprice.com)

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Un marché en-dehors de l’Afrique

L’élargissement de la demande est entretenu par les maisons de ventes, qui font allègrement circuler les œuvres sur les trois places de marché les plus réceptives : New York, Londres et Hong Kong. À Hong Kong, Christie’s, Sotheby’s et Phillips obtiennent des adjudications exceptionnelles, dont cinq des dix meilleurs résultats enregistrés en 2021 pour des œuvres contemporaines d’artistes africains (Boafo et Crosby). En rivalisant avec les meilleures places de marché occidentales du secteur, l’Asie joue un vrai rôle d’accélérateur dans la progression des prix et s’impose à ce titre comme l’une des grandes destinations du marché de l’art contemporain africain.

De façon générale, il est rare qu’un jeune artiste très en demande reste cantonné à une seule place de marché. Les oeuvres circulent d’une collection à l’autre, d’un pays à l’autre, y compris pour un grand artiste contemporain africain, dont une toile peut aujourd’hui se vendre à Vienne après être passée par Fontainebleau, à Cologne après avoir visité Londres, faire escale dans une collection new-yorkaise avant de rejoindre Shanghai ou Hong Kong. Une internationalisation du marché qui fait écho à la circulation des artistes eux-mêmes : Amoako Boafo vit à Vienne, Njideka Akunyili Crosby à Los Angeles, Toyin Ojih Odutola et Awol Erizku à New York…

Quel que soit le pays de la vente, les transactions les plus percutantes sont quasiment toutes signées par Christie’s, Sotheby’s et Phillips. Ces trois sociétés se partageant les 50 meilleures adjudications obtenues en 2021 pour des artistes originaires d’Afrique, à deux exceptions prêts : les 463 100$ enregistrés par Seoul Auction pour la toile Black Jacket (2020) de BOAFO en septembre 2021, et les 217 500$ décrochés, depuis Canton, par Holly International pour une toile d’Aboudia Abdoulaye DIARRASSOUBA vendue en décembre : deux résultats qui confirment combien l’Asie participe à hisser le marché.

Aujourd’hui, les indicateurs sont au vert sur le marché mondial : le nombre d’artistes contemporains originaires d’Afrique vendus aux enchères a triplé en dix ans, de même que leur produit de ventes mondial. Si le volume d’affaires dépassait les 47 millions de dollars en 2021 (un record), les perspectives sont encore meilleures cette année, avec près de 34 millions de dollars générés sur le premier semestre 2022, sachant que l’année en cours nous réserve encore certainement de belles batailles d’enchères.

 

Aboudia : répartition géographique du produit de ventes aux enchères depuis 2020 (copyright Artprice.com)

 

Les galeries internationales prennent position

Plusieurs galeries sont engagées depuis des années dans la promotion de la scène contemporaine africaine (Galerie Mariane Ibrahim, Galerie Afikaris, Magnin-A, entre autres). Les grandes galeries internationales ont, quant à elles, signer des artistes américains et britanniques issus des diasporas africaines ces dernières années. Mais elles s’engagent aussi de plus en plus fréquemment avec des artistes africains : la galerie Perrotin a soutenu Cinga SAMSON par une exposition à New York (2020); Almine Rech a consacré un solo show à Otis Kwame Kye QUAICOE dans son antenne bruxelloise il y a quelques mois, une autre cet été à Ronald MUCHATUTA à Paris qui exposait au pavillon du Zimbabwe de la Biennale de Venise. David Zwirner défend, lui, Njideka Akunyili CROSBY et la galerie Gagosian a mis l’accent sur Meleko MOKGOSI à l’occasion de Art Basel Unlimited 2021, avec la complicité de la galerie Jack Shainman…

La présence d’artistes africains est encore parcimonieuse en regard du nombre d’américains, de britanniques, d’européens et d’asiatiques avec lesquels travaillent déjà ces poids lourds internationaux, mais la tendance pourrait se développer. Ces galeries font d’ailleurs part de leur volonté de promouvoir les artistes contemporains du monde entier, de s’orienter consciemment vers des choix plus inclusifs. Elles participent ainsi au déploiement des grandes collections, publiques comme privées, vers de nouvelles voies.

 

Evolution du produit des ventes aux enchères des rtistes contemporains africains depuis 2000 (copyright Artprice.com)

Article publié dans Diptyk magazine, notre partenaire