Aristide Maillol fêté à Orsay

[26/04/2022]

« Si le mot génie, aujourd’hui, a encore un sens, c’est bien ici… Oui, Maillol a le génie de la sculpture. » Auguste Rodin

 

Originaire des Pyrénées-Orientales, Aristide Maillol “monte à Paris” avec ses 21 ans et son rêve de Beaux-Arts. En intégrant l’Ecole Nationale dans la section Peinture et Sculpture en 1885, il a pour maîtres Jean-Paul Laurens, Gérôme et Cabanel. Dans ce Paris foisonnant, il rencontre bientôt ses nouveaux amis : Maurice Denis, Édouard Vuillard, Auguste Rodin, et plus tard Henri Matisse… ces artistes, les plus audacieux du 20e siècle naissant, ne tardent pas à saluer le talent de celui qui, s’attachant à la plénitude des formes et aux expressions du corps, su inventer une sensualité intemporelle.

Au cœur de l’œuvre de Maillol se niche pureté des lignes, synthèse des formes et surtout “quête de l’harmonie”, comme le rappelle le titre d’une grande exposition en cours au Musée d’Orsay. Rassemblant plus de 150 œuvres de Maillol mises en regard avec les créations de ses proches amis, cette rétrospective fait événement, car Maillol n’avait pas été si bien célébré à Paris depuis l’”Hommage à Maillol” organisé au musée national d’art moderne pour le centenaire de sa naissance en 1961. L’actualité d’Orsay nous offre l’occasion de revenir sur le parcours et la cote de celui que Rodin considérait comme un “génie de la sculpture”.

Un “génie de la sculpture”

On le connaît comme sculpteur. Maillol s’est pourtant abandonné à la peinture depuis une première marine peinte à l’âge de 14 ans jusqu’à ce qu’il s’adonne véritablement au travail en trois dimensions sur le tard, autour de ses 40 ans.

Il réalise alors des terres cuites que ses amis, Édouard Vuillard, Pierre Bonnard et Auguste Renoir, représentent dans plusieurs de leurs œuvres. Ses amis peintres ne sont heureusement pas les seuls à admirer ce travail sculptural. D’autres rencontres décisives font évoluer sa carrière bien au-delà des frontières hexagonales.

Il y a d’abord le grand marchand Ambroise Vollard, qui organise la première exposition personnelle de Maillol dans sa petite galerie de la rue Laffitte en 1902. Puis arrive l’une des plus belles chances de sa vie : sa rencontre avec le comte Kessler. Grand collectionneur et découvreur infatigable, Kessler devient son principal mécène. Il lui passe plusieurs commandes importantes dont La Méditerranée, qui reçoit un accueil enthousiaste au salon d’automne de Paris en 1905. Femme assise aux formes pleines et dépouillées, La Médterranée fait écrire à André Gide “Elle est belle ; elle ne signifie rien ; c’est une œuvre silencieuse. Je crois qu’il faut remonter loin en arrière pour une aussi complète négligence de toute préoccupation étrangère à la simple manifestation de la beauté.”

Le succès rencontré par Méditerranée au Salon d’automne de 1905 amène Maillol à réaliser d’autres versions de cette sculpture : des modèles en plâtre, en pierre puis, en 1923, une version sculptée en marbre blanc, commandée par l’État français pour être placée dans le jardin des Tuileries (une version en bronze la remplace aujourd’hui).

Un autre Salon, celui de 1910, lui fait passer le cap d’une reconnaissance nationale à une reconnaissance internationale grâce à l’exposition de Pomone. L’œuvre impressionne le collectionneur russe Ivan Morozov qui en commande une version en bronze pour décorer son palais à Moscou, au côté d’un décor de Maurice Denis. Morozov commande à Maillol trois autres statues – L’Été, Le Printemps et Flore – afin de composer Les Quatre saisons, un ensemble impressionnant récemment présenté dans une scénographie spécifique pour le parcours de “La Collection Morozov, icônes de l’art moderne” à la Fondation Louis Vuitton (Paris). Après le succès du Salon de 1910, Maillol est appelé à exposer hors de France, à Rotterdam, Londres, Berlin et même New York, où plusieurs de ses œuvres sont retenues pour l’Armory Show.

Aristide Maillol, Femme Assise, 1900

Sculpture, argile (1 sur 6), 21,5 x 12 cm. Signée sur la base (April in Paris)

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Maillol à tout prix

Plus connu pour son œuvre de sculpteur, ses dessins et peintures ne rencontrent pas forcément la faveur des collectionneurs. Les dessins les plus impressionnants, de par leur dimensions et leur degré d’aboutissement, peuvent bien sûr dépasser les 100 000$ (et bien au-delà) mais nombre de dessins demeurent invendus et les résultats de “petites” études oscillent entre 1 000 et 8 000$ seulement. Les Nus sur papier de sa muse Dina Vierny sont pourtant si beaux et si parfaitement en lien avec l’esprit et l’attitude de ses sculptures ! 

Les peintures sont bien plus rares. On en compte une ou deux par an sur le marché des enchères. En mars dernier, une charmante Femme lisant (1891) aux accents Nabis est partie pour 67 000$, malgré ses petites dimensions de 30 x 39 cm.

Ses sculptures s’échangent jusqu’à plus de 8 millions de dollars, montant d’un record d’adjudication obtenu en 2013 chez Artcurial pour une version en plomb de La Rivière (1938-1943). Fondue tardivement par Rudier dans les années 70, l’œuvre a doublé son estimation optimiste, étant issue de la collection personnelle de Dina Vierny, et mise en vente par le fils de celle-ci avec neuf autres œuvres de Maillol, pour régler la succession.

De nos jours, la majorité des œuvres circulent sur les marchés français et américains (qui se partagent 67% des lots sur les deux dernières années). Les maisons de ventes suisses et allemandes proposent aussi quelques œuvres, représentant ensemble près de 20% des lots vendus. En étant attentifs aux ventes, il est possible d’acquérir de beaux dessins représentant Dina Vierny, pour moins de 1 500$ : une somme dérisoire pour une œuvre originale et unique d’un artiste majeur du siècle dernier !

 

Rappel sur Dina Vierny, grande muse de Maillol

D’origine ukrainienne, la jeune Dina Vierny a fui l’URSS de Staline en 1925 avec ses parents, des musiciens juifs. Elle devient modèle d’Aristide Maillol en 1934. L’artiste voit en elle la parfaite incarnation du canon féminin qu’il recherche depuis toujours, l’incarnation d’un idéal. Elle fut aussi le modèle des amis de Maillol dont Henri Matisse et Pierre Bonnard, tout en poursuivant des études de biologie et de chimie. 

Après la mort de Maillol en 1944, elle ouvre une galerie boulevard Saint-Germain sur les conseils d’Henri Matisse. Elle y défend notamment les artistes russes rejetés par le régime soviétique. Pour honorer la mémoire de Maillol, elle a ouvert un musée à Banyuls (Pyrénées orientales), où repose le sculpteur.

Dina Vierny fit également don à la France de nombreuses œuvres pour faire connaître l’œuvre de Maillol du grand public. Alors ministre de la Culture dans les années 60’, André Malraux fit installer une vingtaine de ses sculptures dans les jardins du Domaine du Louvre et des Tuileries. 

 

Exposition en cours

L’exposition “Aristide Maillol. La quête de l’harmonie” est ouverte au Musée d’Orsay à Paris jusqu’au 21 août. Elle sera ensuite présentée à la Kunsthaus de Zurich du 7 octobre 2022 au 23 janvier 2023, puis à La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix du 18 février au 21 mai 2023.

Reproductions : Etude de femme, dessin, Musée Toulouse-Lautrec, Albi (France); portrait d’Aristide Maillol 1925, Photographie von Alfred Kuhn.