Annulation d’Art fair Tokyo et marché nippon
[10/03/2020]L’association Art Tokyo a été contrainte d’annuler la 14e édition de Art fair Tokyo, le plus ancien salon du territoire, et de World Art Tokyo 2020, en prévention du COVID-19. L’annonce est tombée soudainement le 9 mars, 10 jours avant l’ouverture de la foire. Après l’annulation de Art Basel Hong Kong et de Art Dubaï, c’est un nouveau coup dur pour le commerce de l’art, surtout pour les galeries qui avaient prévu le déplacement de longue date. Pour éviter que cette annulation ne détourne notre attention du Japon, Artprice propose un état des lieux d’un marché nippon en pleine évolution, qui s’impose comme un modèle d’équilibre entre l’offre et la demande.
« Le Japon est le champion du bon équilibre entre offre et demande »
Les collectionneurs d’art japonais étaient connus pour leurs enchères agressives durant les années 80. Ils ont acheté (très chers) des œuvres majeures, des chefs-d’œuvre de l’art moderne occidental qui ont perdu énormément de valeur les années suivantes. La violente chute des prix de l’art traumatisait alors les collectionneurs japonais pendant deux décennies. 30 ans se sont écoulés depuis cette crise. Les prix sont bien remontés, le marché mondial s’est profondément transformé, étoffé, consolidé, et la confiance s’est réinstallée. Les collectionneurs japonais sont à nouveau actifs dans les salles de ventes du monde, comme ils le sont sur leur marché national.
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Confiance et croissance
Le marché nippon monte en puissance. Il passe de la 11ème à la 7ème place de marché mondiale pour la vente d’œuvres d’art aux enchères en cinq ans. Le pays se classe aujourd’hui après les États-Unis, la Chine, le Royaume Uni et le triumvirat du marché européen (France – Allemagne – Italie). Même s’il représente moins de 1% du produit de ventes mondial, c’est un marché qui évolue bien, si bien que le chiffre d’affaires a doublé sur la décennie. Cette vitalité repose à la fois sur la confiance du marché intérieur, et sur le succès international d’artistes japonais activement collectionnés dans le monde.
Un marché sain
Le meilleur indicateur de confiance réside dans la qualité des transactions et l’analyse des œuvres ravalées. Dans le jargon du marché de l’art, on parle d’œuvres « ravalées » ou d’échecs de ventes pour désigner les invendues. Des œuvres non vendues soit parce que leurs estimations paraissent trop hautes, soit parce que le jeu des enchères ne prend pas, faute de compétition entre les enchérisseurs pendant la vente. Un taux d’invendus bas démontre que la qualité des œuvres (l’offre) et le prix sont bien en phase avec la demande du moment. Il se trouve qu’au Japon, le taux d’invendus est nettement inférieur à la moyenne : il est de 23% contre 38% dans le monde. Le marché japonais est donc exemplaire sur la question essentielle de l’équilibre entre offre et demande.
Les plus belles enchères de Tokyo
Les œuvres de Yayoi Kusama, connue pour son art obsessionnel recouvert de points et ses motifs de citrouille, les paysages de Kaii Higashiyama, les peintures Pop de Yoshitomo Nara, celles de Tsuguharu Foujita et les estampes du Maître Hokusai, sont très demandé.e.s par les collectionneurs japonais. Ces grandes signatures emportent les meilleures enchères du marché tokyoïte, partageant leur succès avec de grands artistes modernes comme Pierre-Auguste Renoir, George Braque, Fernand Léger et Bernard Buffet. La meilleure adjudication jamais enregistrée à Tokyo remonte à 2018, avec la vente d’une œuvre de Picasso pour 10,1m$ (Tête de femme en pleurs (1939) chez iART Co.).
Les stars mondiales
Le cœur du marché japonais repose sur la création des 150 dernières années. Les œuvres modernes, d’après-guerre et contemporaines constituent le socle des enchères, en générant 94% du chiffre d’affaires du pays. C’est une grande différence avec le marché de l’art en France où les artistes modernes sont certes très bien cotés, mais pas les nouvelles générations. Plusieurs artistes contemporains japonais font au contraire vibrer les enchères à travers le monde entier, notamment Yayoi Kusama et Yoshimoto Nara qui ont emporté deux records l’année dernière à Hong Kong.
L’artiste japonais le plus cher de l’époque
Incarnant la réussite de l’art contemporain japonais aux enchères, Yoshimoto Nara a pulvérisé son record lors de la vente d’art contemporain du 6 octobre dernier, organisée par Sotheby’s à Hong Kong. Son record est passé de 4,4m$ à près de 25m$ pour une imposante toile représentant une fillette au style typiquement manga, censée dissimuler une arme dans son dos comme l’indique le titre de l’oeuvre, Knife Behind Back. Grâce à cette œuvre, Nara est devenu l’artiste japonais le plus coté des enchères. Son produit de ventes annuel affichant 100,4m$ pour l’année 2019, il devance son aînée Yayoi Kusama (98m$) et prend la 21e place mondiale, juste derrière Claude Monet.
« Yoshitomo Nara se classe juste derrière Claude Monet »
Montée en puissance du Hi-Lite
Comme Takashi Murakami et Ayako Rokkaku, Nara entre dans la tendance Hi-Lite, décrite par Christie’s comme un courant d’esthétique néo-pop dont « les connections avec l’art commercial, les dessins animés et la street culture ont valu une renommée mondiale ». Le Hi-Lite rejoint les goûts de nombreux collectionneurs à l’échelle internationale, un goût pour « des œuvres ‘légères’ (‘lite’) – un mot qui est parfois utilisé pour décrire des choses faciles à comprendre et à apprécier, à l’opposé de lourd (heavy). »
Affilié à cette tendance, le très populaire artiste américain Kaws a intégré le Top 10 des meilleures adjudications tokyoïtes en 2019, avec sa toile Kimpsons Series (2001), vendue pour la coquette somme de 666.250$ (SBI Art Auction Co, 26/10/2019). Cette vente illustre la sensibilité des collectionneurs japonais pour la tendance Hi-Lite, tout comme leur ouverture sur la création contemporaine étrangère.
Le marché japonais en 10 chiffres
110,6m$ Le produit des ventes aux enchères de Fine Art au Japon l’an dernier
7 La place du Japon sur l’échiquier mondial du marché de l’art
-10% La contraction du marché japonais aux enchères entre 2018 et 2019
22% La part de marché de l’estampe au Japon, second medium après la peinture (46%)
14.600 Le nombre d’œuvres d’art vendues aux enchères au Japon en 2019
23% Le taux de lots invendus aux enchères au Japon
47% La part la société Mainichi dans le produit de ventes aux enchères au Japon en 2019
x 2 La croissance du marché de l’art japonais entre 2009 et 2019
100,5m$ Le résultat annuel de Yoshitomo Nara, l’artiste japonais le plus performant en 2019
8m$ Le record pour une œuvre de Yayoi Kusama aux enchères