Le marché français et ses œuvres abordables

[02/06/2015]

 

Depuis une dizaine d’années, le marché de l’art se repaît de records de plus en plus spectaculaires. Les grandes fortunes de la planète se disputent allègrement des signatures-trophées à coups de millions. Ces résultats très médiatiques concernent néanmoins une tranche infime d’un marché global qui n’est inabordable que par réputation. En effet, entre 100 000 et 200 000 oeuvres d’art réalisées par des artistes clairement identifiés sont vendues chaque année aux enchères pour moins de 10 000 $ dans le monde et environ 80 % des oeuvres sont accessibles pour moins de 5 000 $. Plus de 70 % des oeuvres de Pablo Picasso sont abordables dans cette gamme de prix mais aussi 60 % de celles de Zao Wou-Ki, la moitié de celles d’Andy Warhol, de Francis Bacon, de Gerhard Richter, de Roy Lichtenstein ou encore d’Alberto Giacometti. Dans ces gammes de prix, on accède essentiellement à des estampes, certes. Il ne faut pas minimiser l’intérêt de ces oeuvres numérotées et signées, qui résultent souvent de véritables expérimentations techniques, permettent d’accéder à une valeur sûre et de minimiser les risques de décotes.

Le choix est vaste, notamment en France où il est possible d’acquérir des dizaines de peintres reconnus sans dépenser des sommes phénoménales. Depuis les grandes signatures de l’Ecole de Barbizon (des dessins de Camille Jean-Baptiste Corot, de Théodore Rousseau et parfois de Jean François Millet sont souvent proposés pour moins de 10 000 $), jusqu’aux « petits maîtres » discrets néanmoins exposés dans des musées prestigieux, de nombreux artistes dont la valeur est stable méritent l’intérêt des collectionneurs. Des « petits maîtres » impressionnistes notamment, dont de très beaux pastels d’Armand Guillaumin et de petites huiles sur toiles d’Albert Lebourg, souvent cédés entre 2 000 et 8 000 $ en salles ; des dessins cubistes au crayon de Louis Marcoussis et même colorés chez Albert Gleizes ; des dessins charmants d’un maître pompier tel que William Adolphe Bouguereau ; d’autres dessins de Vlaminck, une coquette parisienne à l’huile de Jean-Gabriel Domergue (pour moins de 5 000 $) ; sans omettre les grands mouvements du XXème siècle français que sont la Figuration Libre, la Figuration narrative et Support-Surface ; des acryliques sur toiles de Ben, etc. Cette longue liste prouve que le marché de l’art moderne et contemporain n’est pas inabordable, loin de là. Par ailleurs, plus on remonte dans le temps, et plus il est possible de trouver des œuvres aux meilleurs prix ! Cela paraît paradoxal mais il se trouve que l’art moderne et contemporain ont plus la cote aujourd’hui que l’art ancien. Ainsi, nombre de très beaux tableaux XVIIIème sont eux-aussi accessibles avec un budget n’excédant pas les 10 000 $, des « petits maîtres » là encore, des « école de » ou « cercle de » et des artistes qui furent célébrés comme les plus grands de leur temps. Citons, par exemple, Jean-François DE TROY, peintre d’histoire et portraitiste, qui travailla au palais de Versailles et à celui de Fontainebleau. Son marché aussi se trouve alimenté de quelques beaux dessins, voire de petites huiles à faire restaurer dans notre gamme de prix.

Parmi les artistes actuellement les plus prisés du marché français et international, rappelons que certaines œuvres de Zao Wou-Ki et de Pierre Soulages sont elles-aussi abordables. Sur le terrain des estampes, le franco-chinois Zao Wou-Ki et le français Pierre Soulages sont intéressants à plusieurs niveaux. Primo parce que l’un comme l’autre envisagent l’estampe non pas comme un simple moyen de diffusion mais comme un véritable champ d’expression, secondo parce que le premier est ardemment soutenu par le marché chinois et le second par les américains… des acteurs phares qui participent à la flambée de leur cote respective. Pierre SOULAGES prête un soin tout particulier aux techniques de la gravure et exploite le processus même de la corrosion à des fins esthétiques. Ses eaux-fortes sont donc de véritables dialogues avec la matière, à l’instar de ses œuvres sur toiles, mais bien plus abordables. Elles représentent 77 % des transactions contre moins de 3 % du produit de ventes. Son Eau-forte n°9, datée de 1957, s’est récemment vendue 8 000 $ (soit 10 000 $ frais inclus) à Chicago (édition de 100, vendue chez Leslie Hindman, le 21 mai 2015). Plus intéressant encore, One plate, from: Sur le mur d’en face, sérigraphie couleurs sur 75 exemplaires, s’est vendue l’équivalent de 4 470 $ frais inclus, en avril dernier chez Christie’s Londres.
Quant à ZAO Wou-Ki, qui concevait aussi l’estampe comme une forme exigeante de travail, l’amateur trouvera en Suisse (où l’artiste s’est établi en 2012 jusqu’à son décès récent) des oeuvres à des prix plus avantageux que sur la place de marché hongkongaise. Certaines feuilles, souvent anciennes, grimpent à plus de 10 000 $ mais de nombreuses lithographies changent encore de mains pour moins de 5 000 $.

Un budget inférieur à 10 000 $ permet d’acquérir sereinement de grands artistes ayant passé l’épreuve du temps. Le marché de l’art contemporain, plus risqué car plus jeune, s’attache à séduire le plus grand nombre d’acheteurs possible via des oeuvres éditées en grand nombre. Takashi MURAKAMI et Jeff KOONS ont bien saisi l’importance d’investir toutes les strates d’un marché qu’ils alimentent de multiples édités à plus de 2 000 exemplaires. L’effet de mode et les records faisant gonfler les prix de ces éditions limitées, les derniers Balloon dog de Jeff Koons s’échangent désormais entre 12 000 et 17 000 $ ! Déclinée en rouge et en bleu sur 2 300 exemplaires dans chaque couleur, le prix de cette pièce a été multiplié par 20 en 15 ans, malgré un critère de rareté tout relatif…