Place aux jeunes femmes (1)

[17/06/2022]

Le 28 juin prochain, Christie’s donne, à Londres, une vente très prestigieuse dédiée à l’art des 20e et 21e siècles. Parmi les chefs-d’œuvre de Monet, Chagall, Picasso et les monuments de l’art contemporain habituels, tels Damien Hirst ou Jeff Koons, se distinguent des noms encore inconnus pour beaucoup mais pas des acteurs principaux du Marché de l’Art. 

Rachel Jones, Anna Weyant, Lucy Bull, Shara Hugues, Jadé Fadojutimi sont cinq artistes ayant en commun d’être des femmes, toutes nées après 1980. Âgées d’une quarantaine, voire d’une trentaine d’années, elles sont considérées comme de nouveaux espoirs de la peinture contemporaine, et leurs prix sont absolument explosifs. Leur succès précoce illustre la demande puissante et enthousiaste du Marché de l’Art pour le phénomène “red-chips”, notion introduite par le journaliste du Art Newspaper Scott Reyburn en janvier 2021, pour désigner ces très jeunes artistes qui s’imposent immédiatement sur le devant du marché de l’art international.

Nous proposons cette semaine de décrypter les œuvres de deux d’entre elles – Anna Weyant et Jadé Fadojutimi – proposées par Christie’s dans cette vente de premier plan, le 28 juin.

 

ANNA WEYANT (née en 1995)

Untitled, 2020 (détail ci-dessous)

Huile sur toile, 101.6 x 76.2cm

Provenance : Nino Mier Gallery, Los Angeles.

 

Anna WEYANTverse dans la peinture figurative. Une peinture nourrie de multiples références à l’histoire de l’art, comme dans le traitement du clair obscur de la toile sans titre présentée par Christie’s le 28 juin. Au catalogue, Christie’s écrit que la jeune artiste de 27 ans “dialogue à la fois avec les chefs-d’œuvre de l’âge d’or hollandais et les images brillantes et hyperréalistes du monde online”. Un mariage passé-présent dans une peinture efficace, que  la maison de ventes compare, dans son catalogue, avec l’une des œuvres les plus célèbres de l’histoire de l’art : Le Jeune Bacchus malade, de Caravage (1593-1594). Le référentiel de Christie’s ne saurait donner comparaison plus prestigieuse pour asseoir l’importance de cette nouvelle protégée du marché de l’art.

D’origine canadienne, Weyant a obtenu son diplôme en spécialité peinture à la Rhode Island School of Design en 2017, puis a étudié la peinture traditionnelle à la China Academy of Art de Hangzhou, avant de s’installer définitivement à New York. Influencée par John Currin et Lisa Yuskavage, elle s’inspire également des compositions et de l’ambiance sourde de Balthus.

Ce prodige défendu par Christie’s a déjà fait ses preuves sur le marché des enchères international, sur lequel elle est introduite il y a tout juste un an par Phillips, avec un dessin immédiatement prisé à 27 000$ (Untitled (2020), estimation 5 000 $ – 7 000 $, le 24 juin 2021). Les enchères se sont autrement emballées en avril 2022, pour la vente d’une très belle nature morte représentant un bouquet de roses blanches, présentée par Sotheby’s à Hong Kong. Intitulée Josephine et datée de 2020, la toile s’est vendue près de dix fois son estimation haute pour rapporter 514 000$…  soit le prix d’un très beau dessin de BALTHUS (1908-2001).

Le résultat de l’œuvre proposée le 28 juin sera important pour confirmer la cote explosive d’Anna Weyant. La toile a en effet tous les ingrédients pour détrôner le résultat obtenu à Hong Kong : elle est plus grande que Josephine, et reprend le sujet des roses blanches tout en présentant un portrait magnétique. C’est une toile plus forte et plus importante que Christie’s sous-estime (sciemment) dans sa fourchette comprise entre 180 000 et 300 000$, sachant que la jeune artiste a déjà deux adjudications millionnaires à son actif, obtenues en mai dernier, et que le galeriste le plus puissant de la planète, Larry Gagosian, a annoncé sa collaboration avec l’artiste il y a peu ! Le galeriste, qui lui prévoit une exposition solo à l’automne prochain, garantit à la jeune femme un élan renouvelé dans les mois à venir.

 

 

Caravage (1593-1594),  Le Jeune Bacchus malade

 

JADÉ FADOJUTIMI (née en 1993)

Astray, 2017

Huile sur toile, 200 x 140cm

Provenance : Pippy Houldsworth Gallery, Londres

 

Une toile abstraite dont “les formes se forment et se dissolvent, évoquant les feuilles et les canopées ; les lignes se tordent et s’emmêlent en nœuds impénétrables”… la description de Christie’s désigne Astray, oeuvre achevée en 2017, l’année où Jadé FADOJUTIMI obtient sa maîtrise du Royal College of Art. La toile a été exposée à la galerie Pippy Houldsworth Gallery de Londres la même année et acquise par l’actuel propriétaire, qui s’en défait après un peu moins de 5 années de détention.

Pour comprendre l’empressement d’une revente si rapide, il suffit d’observer les résultats époustouflants obtenus par la jeune femme sur le second marché dès son introduction aux enchères en 2020. La première œuvre mise en vente est estimée à 4 000$. Elle s’envole pour 52 000$, soit 13 fois la prévision optimiste (Rampage / Untitled Study (2017), Christie’s, 27 octobre 2020). Deux mois plus tard, Phillips s’aligne sur ce résultat et propose une toile plus importante entre 40 000 et 60 000$. Résultat : 378 000$ pour Lotus Land , elle aussi datée de 2017 (7 décembre 2020, Phillips New York). Les prix ont poursuivi leur course folle l’année suivante, avec 730 700$ obtenus en juin 2021 par Phillips & Poly à Hong Kong (oeuvre Concealment: An essential generated by the lack of shade (2019); puis 1,4 million de dollars en octobre 2021 chez Sotheby’s Londres (A Muddled Mind That’s Never Confined, 2021) et jusqu’à 1,6 million de dollars quelques jours plus tard chez Phillips à Londres (Myths of Pleasure, 2017).

La jeune artiste a des arguments pour atteindre de tels prix, étant la plus jeune artiste présente dans la collection permanente de la Tate Modern, elle réalise sa première grande exposition institutionnelle en avril 2022 à l’Institute of Contemporary Art de Miami, et  participe à la prestigieuse Biennale de Venise cette année. Ses prix s’étoffent donc à mesure de son curriculum vitae.

L’oeuvre Astray présenté par Christie’s le 28 juin est pourvue d’une estimation comprise entre 400 000£ et 600 000£, soit entre 500 000 et 700 000$, estimation qu’elle devrait outrepasser au vue de son format conséquent et de son année de réalisation – 2017 – devenue le marqueur d’une carrière fulgurante.