L’art ancien, un marché stable et rassurant

[03/08/2009]

 L’art ancien rapporterait-il plus à Christie’s et Sotheby’s que l’art contemporain ? Ce fut le cas à l’occasion des vacations estivales de Londres : les maîtres anciens ont dégagé près de 39M£ de produit des ventes les 7 et 8 juillet 2009, soit un million de plus que leurs ventes d’art contemporain en juin 2009.Valeur refuge en période de crise ? Besoin d’un retour aux fondamentaux de l’art après plusieurs années d’effets de mode et de spéculation sur la scène contemporaine ? Il n’en est rien : l’art ancien est un marché mature, stable et solide, porté par des œuvres de maîtres affrontant sereinement l’épreuve du temps. Même si la remarque paraît tenir du lien commun, rappelons que, contrairement à l’art contemporain, la production de l’art ancien est révolue, les œuvres sont connues et référencées sauf d’exceptionnelles découvertes qui ne manquent pas d’émouvoir le cénacle des amateurs et spécialistes du genre. Le plus bel exemple dans l’histoire des ventes aux enchères demeure celui du Massacre des Innocents de Peter Paul RUBENS, une œuvre tenue pour un travail d’élève (Van den Hoecke) avant de passer sous le feu des enchères de Sotheby’s Londres le 10 juillet 2002. Estimée 4M£, le chef-d’œuvre décrochait 45M£ (69,7M$). Hormis le hasard de la découverte, les ventes de collections offrent des opportunités plus récurrentes pour acquérir des chefs-d’œuvre. La réussite de Sotheby’s à Londres le 8 juillet 2009 tient d’ailleurs moins aux nombre d’œuvres vendues (32 lots vendus, 82% d’acheteurs européens) qu’à la qualité de la collection Barbara Piasecka Johnson. Sa dispersion a permis à l’auctioneer de dégager 5,36M£ de plus que son concurrent, Christie’s, qui frappait pourtant 14 lots supplémentaires le 7 juillet (Christie’s et Sotheby’s adjugeaient 78 œuvres d’art ancien les 7 et 8 juillet 2009, générant un produit des ventes de 38,99M£, soit 63,25M$). Le succès de Sotheby’s repose en partie sur un chef-d’œuvre de Jusepe DE RIBERA, issu de la collection Johnson, représentant un Prométhée contorsionné de douleur, une plaie béante au niveau du foie. Cette œuvre d’une puissance remarquable séduit bien au-delà des prévisions, faisant grimper les enchères 3,4M£ (5,5M$), contre un précédent record de 2,4M£ détenu depuis 1990 par The martyrdom of St. Bartholomew (Sotheby’s).
Malgré leur rareté (en moyenne, une demi-douzaine de toiles de Jusepe DE RIBERA sont proposées chaque année aux enchères), ses œuvres ne s’arrachent habituellement pas en salle car les collectionneurs sont extrêmement exigeants. Rappelons qu’en 2008, quatre des six toiles de l’artiste mises aux enchères étaient ravalées.

Sotheby’s enregistrait neufs records le soir du 8 juillet 2009, dont quatre saluaient la pertinence des choix de Barbara Johnson. Une enchère spectaculaire fut notamment emportée pour un portrait d’homme attribué au Primatice : Portrait of a Nobleman presumed to be Jean de Dinteville, as St George doublait son estimation optimiste pour un coup de marteau final à 650 000£ (1M$) ! La qualité de l’œuvre et son pedigree ont transcendé la simple « attribution » au Maître, dont le marché est asséché, voire inexistant pour les toiles. De trop rares sanguines alimentent en effet son marché, et il faut remonter à 2003 pour trouver un dessin de sa main proposé aux enchères (21 janv. 2003, Sotheby’s NY). Bien conservée, la feuille représentant quatre nymphes au sortir de leur bain changeait de main pour 45 000$, l’estimation basse pour une œuvre de cette qualité.

Parmi les autres résultats notables des cessions estivales 2009, signalons un buste d’homme en marbre de adjugé 550 000£ (près de 900 000$), une vierge à l’enfant de Pietro DI DOMENICO DA MONTEPULCIANO du début du XVème siècle vendue 175 000£, au triple de l’estimation haute. Signalons encore le Portrait of Endymion Porter d’Anthonius VAN DYCK qui est parti pour 1,8M£ (2,9M$), un an après, jour pour jour, son record de 2,7M£ (5,3M$, A Rearing Stallion, Christie’s).

Christie’s enregistrait trois records le soir du 7 juillet : celui de Bartolomeo DELLA PORTA dont on ne compte que quatre tableaux soumis à enchères en 10 ans. L’œuvre The Madonna and Child in a landscape with Saint Elizabeth (1516), était sans conteste la plus belle toile de l’artiste proposée jusqu’alors en salles des ventes : adjugée 1,9M£ (3M$), elle n’atteignait pourtant pas son estimation basse de 2M£. Une nature morte signée Willem Claesz. HEDA, A blackberry pie, an upturned nautilus cup, a salt-cellar, s’arrachait par contre au quadruple de son estimation basse à 1,2M£, un résultat euphorisant dont bénéficia l’austère nature morte présentée chez Sotheby’s deux jours plus tard : elle fut emportée 130 000£, au double des prévisions. Le troisième record fut emporté par le portrait d’un jeune homme de Giuliano di Piero BUGIARDINI à 700 000£ (1,13M$).

Rares, les toiles irréprochables des maîtres anciens atteignent rapidement des montants à 6 chiffres. Mais ces résultats d’exception ne sont que le sommet de l’iceberg et les salles des ventes proposent constamment des artistes anciens méconnus ou non identifiés, des « Ecoles » ou des « Cercles de ». La signature de Luis TRISTAN par exemple, élève surdoué d’El Greco mais plus confidentiel que son maître, était accessible autour de 40 000€ le 22 avril 2009 avec une touchante scène de la sainte famille et Sainte Anne (Arte Information y Gestion, Seville). Les opportunités d’achat de peintures anciennes signées pour moins de 10 000$ sont nombreuses : de l’ordre de 41% en 2008 et de 45% entre janvier et juillet 2009.