Les grandes plumes mondiales du marché de l’art

[24/01/2012]

 

Chaque jour Artprice fournit en données et analyses sur le marché de l’art, les plus grands journaux et magazines du monde. Cette semaine Artprice inverse la tendance et a demandé aux plus grandes plumes du marché de l’art de donner leur avis sur l’année qui vient de s’écouler et de jouer au jeu, délicat, des prédictions pour 2012. Voici leurs réponses :

Georgina Adam – The Art Newspaper / Financial Times (Royaume-Uni)
L’année dernière, malgré une agitation politique et économique généralisée et une crise dans la zone Euro, ce fut la meilleure année pour les ventes aux enchères selon les chiffres enregistrés par Artprice.com. Le site de banques de données sur l’art enregistrait 11,25 M€ de ventes, un chiffre bien plus important que celui des années précédentes y compris 2007 (année record avec 9,4 M€). Le pouvoir d’achat de la Chine a été déterminant dans ce record puisque les premiers chiffres indiquent un étonnant 39% de part asiatique au niveau du marché de l’art international sur 2011. Quelles sont les explications de ces excellents résultats ? La Chine a eu un impact énorme sur les chiffres au même titre que les résultats des ventes d’art contemporain. Ce style d’art demeure la part la plus importante du marché et les ventes de novembre ont vraiment été bonnes. Le haut du marché est resté en pleine expansion reflétant le fait que les plus riches ont conservé leur richesse ou dans la plupart des cas l’ont récupérée après la crise de 2008/9. Cependant l’année 2012 risque de ne pas être aussi bonne. Le marché a fléchi vers la fin de l’année dans plusieurs domaines et le marché moyenne gamme reste faible. Même le précédent boom du marché de Hong Kong a montré quelques signes de ralentissement. Avec l’imminence des élections dans de nombreux pays, les acheteurs peuvent être plus prudents. Acheter de l’art se révèle être dernièrement un acte de confiance, tout comme celui de vendre. Pendant que les investisseurs se tourneront peut-être vers des actifs corporels pour une partie de leur portefeuille, ils voudront acheter seulement ce qu’il y a de mieux – excellente condition, provenance et renommée. Cela va sûrement accentuer la polarisation des ventes avec un bon échange des œuvres majeures mais avec peu de soutien pour les marchandises plus modestes. Cela dépendra beaucoup des vendeurs. Le marché de l’art est conduit par l’offre et si les collectionneurs décident de s’accrocher à leur art cela pourrait se répercuter sur le marché tout entier.

Armelle Mavoisin – Le Journal Des Arts / L’œil (France)
« Une année à triple D et sous le signe du Dragon »
En 2011, le marché de l’art a montré une vraie capacité de résistance face à la crise. Mieux, les prix aux enchères publiques pour les chefs-d’œuvre artistiques et les pièces majeures ont atteint des montants très importants, souvent records. Les acheteurs fortunés, indubitablement guidés par des conseillers avisés, n’ont pas sélectionné des œuvres seulement sur un nom, mais ont judicieusement basé leur choix sur les critères qui comptent, à savoir l’importance historique du tableau ou de la sculpture, sa fraîcheur sur le marché, sa provenance éventuelle son aspect décoratif (notamment le sujet) et son format. Ce segment de qualité muséale qui est la partie visible de l’iceberg correspond à un marché à haute valorisation et donc de placements-plaisirs. L’offre a été suffisamment abondante l’an dernier, dans un contexte où pourtant les collectionneurs rechignent à vendre, ne sachant pas où placer leurs liquidités. La règle des trois D (dette, décès, divorce) a joué à plein, telle la succession Liz Taylor qui a totalisé 156,8 m$ (avec les frais) chez Christie’s. Même si on nous prédit une année 2012 plus difficile économiquement, le marché de l’art devrait continuer sur sa lancée si, par chance, se présentaient de pareilles opportunités d’achat. Les ventes de Londres d’art impressionniste et moderne en février prochain ne sont pas décevantes de ce point de vue. Il est difficile d’en dire plus sur un plus long terme. Tout dépendra de l’offre du triple D. Seul l’avenir nous le dira.
Reste le marché chinois qui a depuis deux ans conquis le marché de l’art. Cette nation en pleine croissance où fleurissent nombre de nouvelles fortunes, veut se réapproprier ses richesses artistiques. Après quelques années de frénésie, sur fond de spéculation profitant à quelques intermédiaires asiatiques, on constate quelques signes d’essoufflement. Le marché chinois devenu plus mature, devient plus sélectif, avec un risque de décotes à la clé. L’année du dragon (symbole impérial) qui démarre en Chine sera-t-elle de si bon augure pour le marché de l’art chinois ?

Katya Kazakina– Bloomberg (USA)
Il est difficile de faire des prédictions avec autant de volatilité financière aujourd’hui. Ce que je peux dire c’est qu’il y a un fort appétit pour les pièces d’exception dans toutes les catégories “dignes d’être collectionnées” (je viens juste d’écrire un papier sur le seau à champagne de George Washington qui s’est vendu pour 782 500 $ chez Christie’s, au-dessus de son estimation haute de 600 000 $). L’art, en particulier, est considéré par un nombre toujours plus important de personnes comme un élément important de diversification financière. Par conséquent la demande de qualité et de rareté va sûrement continuer en 2012. Mais le prix doit être juste. Ici, à New York, nous sommes témoins d’une nouvelle vague de création de galeries dirigées par de jeunes acteurs du marché de l’art et d’autres plus établis. Plusieurs nouvelles galeries émergent, et l’activité commerciale sous les 30 000 $ (et encore plus sous 15 000 $) est fleurissante à l’heure actuelle.

Marilena Pirrelli – Il Sole 24 Ore / ArtEconomy (Italie)
En 2011, le marché de l’art dépassa la crise des marchés financiers et représenta, avec ses chefs-d’œuvre certaines fois évalués à plusieurs millions d’euros, un endroit rassurant pour protéger ses investissements. Mais nous parlons ici d’art avec un A majuscule, celui qui apparaît déjà dans les livres d’Histoire, et dans les musées, celui qui passe de main en main et continue d’atteindre des records lors des ventes publiques, les acheteurs venant de Russie, de Chine, des Etats-Unis et du Moyen-Orient, les vendeurs, le plus souvent d’Europe, là où la crise faisait rage.
Mais le marché moyen de gamme, sous les 30 000 €, a lui enregistré des fermetures de galeries et de marchands en Italie. La majorité des maisons de ventes italiennes ont vu leur ventes se réduire, tout comme leurs marges.
Pour 2012 ? Le changement viendra de la toile, le commerce en ligne est en train d’exploser, mais il manque encore de transparence et de sécurité, d’autant plus important sur le marché de l’art. Comment régler ce problème ?
L’ingénierie financière, de plus en plus intéressée par l’art afin de diversifier les portefeuilles d’actifs, demande des règles, alors que le marché de l’art en a peu. En 2012, la résilience du marché pour les œuvres de maîtres devrait se confirmer, alors que les jeunes artistes contemporains devront naviguer à vue dans cette époque incertaine.

Haryanto Gunawan – C-Arts magazine (Indonésie)
Je crois que la crise économique en Europe et aux Etats-Unis n’aura pas de gros impact sur le marché de l’art, surtout pas en Asie.
C’est l’opportunité pour les jeunes artistes contemporains asiatiques de devenir plus appréciés, pas seulement sur le marché mais aussi en terme de discours ou sur la qualité des œuvres d’art – afin d’être mises plus en avant dans les musées ou biennales renommés.

Carlos García-Osuna – Tendencias del Mercado del Arte (Espagne)
Le marché de l’art global s’est contracté durant cette dernière année. Les collectionneurs ont commencé à chercher, au lieu de “signatures”, des pièces emblématiques des créateurs fondamentaux du XXème.
Quant à l’Espagne, la vente aux enchères annuelle que la maison de ventes Christie’s célébrait à Madrid et qui servait de thermomètre au marché espagnol s’est suspendue en 2009 et n’a pas l’air de vouloir reprendre. De plus quelques maisons de ventes historique ont cessé leur activité.On estime que les prévisions économiques pour 2012 seront plus négatives que jusqu’à présent. Le marché se débarrassera des paris et continuera à être soutenu par les grands noms du 20è siècle.
Dans le cas espagnol, cette thèse est confirmée par les résultats obtenus aux enchères pour les artistes contemporains les plus appréciés sur le marché international : Miquel Barceló qui est sur la 1ère marche du podium avec Faena de muleta (4,4 m€) suivi d’Antonio López (1,9 m€) et Antoni Tápies (1,07 m€).”

Maria Ganiyants – RIA Novosti (Russie)
En jetant un regard sur 2011, à première vue le marché de l’art montre une augmentation dans pratiquement tous les domaines mais la question qui demeure c’est jusqu’à quel point cette augmentation est-elle stable ?
Si on regarde le marché russe on peut voir de fortes demandes pour les œuvres phares mais le segment ordinaire « art contemporain, antiquités » rapporte 20-30% de moins qu’avant 2008 et c’est un problème pour la vente. En résumé, l’offre excède la demande. En outre notre problème au niveau local c’est l’absence d’institutions compétentes dans l’estimation des œuvres d’art ce qui entraîne le manque d’investissement dans l’art. Nous avons seulement deux fonds communs de placement d’art qui viennent juste de d’émerger. De plus nos banques ne veulent pas travailler avec des biens aussi complexes que l’art. Mais la situation est en train de changer. Il y a des lobbyistes importants dans ce pays qui souhaitent que le marché de l’art s’ouvre et soit plus rentable.
Les attentes pour le marché de l’art en 2012 ? On peut voir maintenant que le système financier mondial perd de sa stabilité et a bouleversé le système organisé. Dans cette situation n’importe quel investissement est risqué. Dans ces circonstances, les opportunités d’investissement se tournent vers des biens financiers physiques tels que l’or ou les matières précieuses et peut-être l’art. Alors peut-être que le marché de l’art aura une chance d’évolution (lente) mondiale. Et peut-être que le marché de l’art sera plus ouvert et utilisera des méthodes d’ingénierie financière.