L’impudique Pierre Molinier ou l’art de se réinventer

[19/07/2016]

 

Créateur et créature, Pierre Molinier nait vendredi 13 de l’année 1900 et se suicide 76 ans plus tard. Le sulfureux artiste bordelais, à la fois peintre, dessinateur, poète et photographe, a cultivé un goût prononcé pour l’androgynie et a côtoyé le groupe des Surréalistes avant que Breton ne prenne ses distances…

Pierre MOLINIER naît vendredi 13 avril 1900 à Agen. Il manifeste très tôt des penchants pervers, son obsession pour le sexe, les femmes, les jambes… Installé à Bordeaux à partir de 1919, il exerce l’activité d’artisan peintre tout en menant une production artistique personnelle. En 1951, il fait scandale au Salon des Indépendants de Bordeaux en dévoilant Le Grand Combat, une toile érotique composée de corps enlacés qui choque la bourgeoisie bordelaise. Par contre, André Breton remarque la “chose magique” dans l’art de Molinier et lui écrit, en 1955 “Soyez sûr, cher Pierre Molinier, que vous n’avez dans le Surréalisme que des amis”. Le soutien de Breton débouche sur une première exposition parisienne à la galerie à l’Étoile scellée : 18 toiles sont présentées du 27 janvier au 17 février 1956, dont Le Grand Combat, Succube, ou Les dames voilées. André Breton lui-même préface le catalogue d’exposition, qualifiant l’artiste de “magicien de l’art érotique”. In fine, Molinier ne fréquenta que peu les Surréalistes, dont il fut mis à l’écart en 1959, suite à un courrier trop “pornographique” qu’il aurait envoyé à Breton.

Un monde à part

L’autre versant de son œuvre, le mieux connu aujourd’hui, se révèle en 1960, année des premiers essais de photomontages. Molinier commence à découper et à assembler des photographies d’éléments travestis de son propre corps, où il porte bas de soie, porte-jarretelles et escarpins noirs pour assouvir sa quête d’androgynie. Il retouche ensuite ses compositions à l’encre avant de les re-photographier. Sur ce nouveau travail, il confie “j’ai fait des photomontages comme j’ai fait des tableaux. La seule différence, c’est que les éléments, je les ai pris sur moi : c’est une sorte d’égocentrisme, de narcissisme. Je place ma peinture au même niveau que mes photomontages”. Ces nouvelles créatures rassemblant les genres masculin et féminin ont un impact fort sur les artistes du Body art. Pour certains d’entre eux, l’obscénité est l’art d’assumer un art sans limites, et l’affranchissement est un mode de conduite à suivre. En 1974, Molinier participe à l’exposition Transformer. Aspekte der Travestie qui a lieu au Kunstmuseum de Lucerne en Suisse. Il rencontre ensuite l’artiste Luciano CASTELLI, grande figure du Body art, qui devient son modèle.

Libre et sulfureuse, cette œuvre demeure majoritairement incomprise pendant de nombreuses années, et Molinier n’acquiert une véritable reconnaissance qu’à titre posthume, avec une première exposition monographique organisée au Centre Pompidou de Paris en 1979. Quelques collectionneurs avertis et galeristes parisiens s’intéressaient déjà de près à son œuvre dans les années 80. A l’époque, certaines photomontages clefs changeaient de mains pour quelques centaines d’euros. Puis, le travail du galeriste Kamel Mennour participa à l’élargissement de son marché. Le galeriste lui consacra une première exposition personnelle en 1999, puis l’exposa à trois autres reprises entre 2005 et 2010. Aujourd’hui, ses créatures androgynes, “ses inventions érotiques” comme il les qualifiaient, sont recherchées majoritairement en France, tout en trouvant en écho favorable à Londres et aux Etats-unis, son deuxième marché étant américain.

Sulfureux à quel prix ?

Les photomontages sont bien moins cotés que les rares peintures, dont le record fut assis à 90 000 € en juin 2000 (avec Les amoureuses angoissées, 1962, 100 cm x 81 cm, vendue le 17 juin 2000 chez Renaud à Paris). Depuis cette année 2000, son indice de prix a tout de même progressé de 65%… si bien que son photomontage le plus cher fut adjugé récemment, dans le cadre d’une vente parisienne tout à fait particulière…
L’année 2015 fut en effet une année historique pour l’oeuvre de Molinier aux enchères car celle-ci généra plus de 400 000 € de recettes, soit quatre fois plus que l’année précédente, grâce à la vente de 119 œuvres, une vente exceptionnelle, la plus importante vacation qui lui fut jamais consacrée. La vacation “Forbidden sale” eut lieu chez Artcurial à Paris le vendredi 13 novembre 2015 en hommage au jour de naissance de l’artiste, le vendredi 13 avril 1900. Les œuvres offertes provenaient de la collection de l’une des muses de Molinier, Emmanuelle Arsan. Cette vente fut le théâtre d’un record absolu pour une photographie avec le superbe photomontage Chaman, parti d’une estimation basse de 4 000 € pour finir à 22 100 € frais inclus. Une telle vacation offrait aussi l’opportunité d’acquérir quelques tirages d’époque pour quelques centaines d’euros, parfois sous l’estimation, notamment Mes Jambes (1967) et Mon cul (vers 1965-67) vendu 585 € seulement chacun… C’est l’apanage des ventes fleuve : les affaires sont parfois plus aisées lorsque l’offre est vaste. Si les dérives fétichistes de Pierre Molinier sont entrées dans l’histoire de l’art, cet artiste n’a certainement pas atteint toute la mesure de sa cote. Qu’importe, son épitaphe parle pour lui “Ci-gît Pierre Molinier. Ce fut un homme sans moralité, il s’en fit gloire et honneur. Inutile de pleurer pour lui”.