Contemporary Istanbul, une foire bien maintenue

[08/11/2016]

Le salon Contemporary Istanbul (CI) s’est tenu, du 3 au 6 novembre dernier, malgré un contexte économique et politique préoccupant et l’annulation de deux salons à Istanbul cette année. Pour sa 11ème édition, Contemporary Istanbul a fait preuve d’une certaine capacité de résistance, malgré une révision à la baisse du nombre d’exposants.

L’espace d’exposition est vaste, près de 14 000m2 répartis entre le centre de Lütfi Kirdar ICEC Rumeli et le Centre de Congrès d’Istanbul, pour accueillir quelques 1500 œuvres de 520 artistes, représentés par 70 galeries. Certes, le nombre de galeries est en baisse (une trentaine de moins que l’an passé), après une édition 2015 particulièrement dense pour le 10ème anniversaire de la foire, une édition attirant par ailleurs un nombre record de visiteurs l’an dernier, 84 000, soit plus encore qu’à la Fiac de Paris. C’est dire combien la CI a su s’implanter dans le monde des salons d’art, un monde en crise, avec une année 2016 ponctuée d’une vingtaine de salons annulés…

La vocation première de Contemporary Istanbul est la suivante : soutenir la création contemporaine turque établie ou émergente. Voilà pourquoi le salon consacrait cette année un large chapitre aux collectionneurs turcs, via l’exposition Collectors’ Choice orchestrée par Marc-Olivier Wahler, commissaire d’expositions et critique d’art appelé à sélectionner 120 œuvres dans les collections de 60 turcs. Si la création turque était naturellement en force sur la foire, avec 57% d’exposants ancrés à Istanbul, la scène internationale reste primordiale. Cette année, comme l’an dernier, une vingtaine de pays étaient représentés sur le salon.

La Malborough et Steve Lazarides ont fait le déplacement depuis Londres et la galerie Lelong depuis Paris pour offrir trois stands particulièrement puissants à la foire. Le vaste stand de la Malborough ne désemplissait pas, happant les visiteurs au moyen d’une œuvre magistrale et tentaculaire en céramique blanche, signée Ahmet GÜNESTEKIN (1966). Cet artiste turc de 49 ans fut découvert sur Contemporary Istanbul en 2010 sur le stand de la galerie Baraz et propulsé sur la scène internationale depuis. Bien connu de ses compatriotes, Ahmet Gunestekin fut introduit aux enchères à Istanbul il y a une dizaine d’années, et ses prix oscillent aujourd’hui entre 15 000 et 40 000$ pour ses grandes huiles sur toile mises à l’encan. Une œuvre passait même le seuil de 120 000$ en 2010, au cours d’une vacation chez Beyaz Pazarlama, organisée au Sofa Hôtel d’Istanbul. Ahmet Gunestekin n’a pas été présenté aux enchères ailleurs qu’en Turquie depuis une tentative de vente infructueuse chez Bonhams à Londres en 2011. Entre temps, ses œuvres ont été vues à Venise, New York, Monaco, Amsterdam et Barcelone… Fort de ce rayonnement sur des scènes étrangères, sa prochaine apparition dans une salle de ventes internationale sera plus attendue qu’elle ne l’a été jusqu’alors.

Jouxtant le stand de la Malborough, celui de la galerie Lazarides optait pour l’anti white-cube : espace ouvert et cloisons rectifiées par des dégoulinures sanguinolentes de peinture rouge sur fond noir. Ce stand « coup de poing » faisait monter d’un cran l’adrénaline des visiteurs, avec une sculpture hyper-réaliste de Mark JENKINS (1970), des toiles de ZEVS (1977) (par ailleurs exposé au Château de Vincennes dans Noir Eclair jusqu’au 29 janvier 2017) et une large fresque photographique de JR, entre autres. De son côté, la galerie Lelong, installée à Paris et New York, avait soigneusement sélectionné quelques chefs-d’oeuvre, dont des œuvres réalisées à l’Ipad par David HOCKNEY (1937), un remarquable dessin de Barthélémy TOGUO (1967), nominé le mois dernier pour le prix Marcel Duchamp de la Fiac et des sculptures de Jaume PLENSA (1955).

Plusieurs grandes galeries turques jouaient aussi la carte internationale, à l’image du stand de la galerie Artist (Istanbul) présentant une sculpture de Tony CRAGG (1949), une peau de cochon tatouée de Wim DELVOYE (1965) et une large composition de GILBERT & GEORGE. A contrario, les jeunes galeristes allemands de BerlinArtProjects, très au fait de la jeune scène turque, firent le pari d’un stand minimaliste – quatre toiles et une vidéo – consacré à Bugra Erol, recrue prometteuse tout juste trentenaire, encore peu exposé en-dehors d’Istanbul si ce n’est grâce au travail de ses galeristes berlinois.

Face aux galeries commerciales, Contemporary Istanbul a mis l’accent sur neuf institutions, toutes turques à une exception près : la Basu Foundation for the Arts, venue de Calcutta (Inde) dans le but de sélectionner un jeune artiste turque afin de l’inviter en résidence en Inde. Sur le stand de la Basu Foundation, trois artistes exposés ont expérimenté la résidence à Calcutta après JR (1983) et Prune Nourry : le photographe Turc Yusuf SEVINCLI (1980) (représenté par la Galerie Les Filles du Calvaire en France et par Elipsis Gallery à Istanbul), le photographe espagnol Miguel Angel GARCIA (représenté par la galerie Laurence Miller à New York et exposé sur le salon Paris Photo du 10 au 13 novembre 2016) et l’artiste français Thomas HENRIOT (1980) (représenté par la Galerie Céline Moine en France) dont on a pu découvrir les œuvres à Londres en septembre dernier (Start, Saatchi Gallery) et à Paris en octobre (YIA art fair). Le prochain artiste sélectionné par la Basu Foundation est Ardan OZMENOGLU (1979) : une occasion de tisser de nouveaux liens entre l’Inde et la Turquie, qui doit exporter ses artistes plus que jamais.

L’instabilité politique, le contexte tendu et violent et la chute de la livre turque face au dollar, eurent évidemment des répercussions sur la foire : la sculpture de l’artiste Turc Ali ELMACı (1976) a été retirée de son stand le 3 novembre sous la pression du groupe nationaliste conservateur Erbakan Vakfı, la jugeant offensante. Quelques heures plus tard, suite à l’arrestation de plusieurs membres de l’opposition, l’accès aux réseaux sociaux – Twitter, Facebook, WhatsApp, YouTube – fut bloqué dans tout le pays… Néanmoins, CI a généré des ventes au coeur de cette édition où les exposants ont fait preuve de solidarité en étant présents, à l’appel d’ Ali Güreli, le directeur de la foire.