Basquiat, toujours vivant !

[19/07/2022]
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Jean-Michel Basquiat dans son studio, New York, 10 février 1985, The New York Times Magazine

Jean Michel Basquiat aka «SAMO» (pour « SAMe Old shit») a traversé la scène artistique new-yorkaise des années 1980 comme une étoile filante. Déjà surprenante au moment de son apparition dans les années 1980, son œuvre n’a rien perdu de sa force ni de son flamboiement trente ans après. Premier artiste noir à faire la couverture du New York Times, il fait partie aujourd’hui des plus belles collections internationales et son marché est plus dynamique que jamais.

Une année 2021 au sommet des enchères

Le prince de New York prend la 2ème place du podium des artistes les plus cotés au monde pour la première fois en 20 ans! Avec un produit de ventes annuel s’élevant à 439m$ pour 104 lots vendus en 2021, seules 22 peintures sont passées sous le feu des enchères, ce qui montre la rareté des œuvres originales qui circulent sur le marché et les montants spectaculaires des résultats d’adjudications.

Parmi les ventes qui ont jalonné les enchères de ces dernières années, deux de ses œuvres se sont vendues à plus de 50 m$! Retour sur ces enchères spectaculaires :

  • En mai dernier Untitled (1982), clou de la vente du soir chez Phillips NY, est adjugée 85m$ et rafle la 3ème place des plus belles œuvres de l’artiste jamais frappée aux enchères. Cette toile spectaculaire de cinq mètres de long était estimée autour de 70 m$. Achetée en 2016 par le milliardaire japonais Yusaku Maezawa pour 57,3 m$, il réalise une plus-value de 27,7 m$ en seulement 8 ans !

 

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Valeur actualisée de l’oeuvre Untitled (1982) Artprice Indicator®

 

C’est un autre crâne: Untitled également acheté par Maezawa en 2017 pour 110m$ qui conserve le record absolu pour un tableau de l’artiste. Basquiat, qui avait 21 ans lorsqu’il peint ces 2 crânes, est le plus jeune artiste à dépasser la barre des 100 m$.

  • Le crâne sur fond rouge de 1983 intitulé In This Case (1983, 1,98 x1 ,87m) mis à prix 50 m$ l’an dernier lors des grandes ventes de mai chez Christie’s NY, trouve acquéreur à 93m$. Le tableau se classe 2eme au palmarès des plus belles œuvres adjugées du peintre new-yorkais. Propriété d’un collectionneur privé resté anonyme depuis 2007, la toile avait été présentée publiquement pour la dernière fois lors de l’exposition organisée à la Fondation Louis Vuitton, à Paris, entre 2018 et 2019. Elle reprend deux thèmes dominants de l’œuvre de Basquiat, l’anatomie et la représentation de personnages afro-américains. La même toile s’était vendue, en novembre 2002, pour seulement 999 500 $, à peine plus d’un centième du prix déboursé moins de 20 ans plus tard !
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Jean Michel Basquiat, In this Case (1983)

Au cours des années charnières 1981 et 1982, Basquiat conçoit près de 240 toiles parmi les plus fortes et les plus recherchées. Et même si aujourd’hui la majorité de ces records sont frappés à New York, l’artiste doit désormais le tiers de son volume d’affaires à la place de marché hongkongaise. Avec 153m$ de résultat, Basquiat devient par ailleurs le premier artiste du marché hongkongais, devant Zao Wou-Ki. Sa toile Warrior de 1982, adjugée 41,7 m$ par Christie’s Hong-Kong, est devenue l’œuvre occidentale la plus chère jamais vendue en Asie en 2021.

 

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Répartition géographique du chiffre d’affaire sur l’année 2021 © Artprice.com

 

Lorsqu’il ne fait pas la une pour ses records de vente chez Sotheby’s ou Christie’s, ou pour les nombreuses rétrospectives qui lui sont consacrées, Basquiat se retrouve malgré lui au cœur de l’actualité policière pour des affaires de faux…

 

Lorsque le sommet attise les convoitises

L’Orlando Museum of Art accusé d’exposer de faux Basquiat

En effet, ce sont récemment 25 toiles attribuées à l’artiste et exposées en Floride qui ont été réquisitionnées par le FBI. Ces œuvres inédites à l’authenticité douteuse faisaient parties de l’exposition Heroes & Monsters : Jean-Michel Basquiat, The Thaddeus Mumford, Jr. Venice Collection de l’Orlando Museum of Art. Les peintures créées en 1982 par le prince de Brooklyn dans son atelier de Venice (Californie), auraient été vendues au scénariste et producteur de télévision Thad Mumford pour la modeste somme de 5000$, en espèces et en mains propres. Trois décennies durant ces œuvres auraient dormi dans un entrepôt de Los Angeles jusqu’en 2012, date à laquelle elles auraient été acquises pour seulement 15 000$.

Une authenticité remise en cause par des spécialistes et anciens proches de Basquiat. Selon certains experts, les supports en carton sur lesquels les œuvres ont été réalisées seraient postérieurs à la date à laquelle Basquiat serait censé les avoir peintes. Un scepticisme insupportable pour le directeur du musée «Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il s’agit de Basquiat. Ma réputation est également en jeu», a-t-il expliqué au Times, qui a donc accompagné ses propos de plusieurs rapports justifiant leur authenticité. Parmi eux, un expert en écriture a formellement identifié les signatures de Basquiat.

Comment savoir si des œuvres redécouvertes, inédites ou disparues de Basquiat sont vraies ou fausses? Il n’y a plus de comité scientifique garant de l’authenticité de son œuvre depuis 2012. Aujourd’hui, le seul moyen de déterminer si un dessin ou un tableau de l’artiste est un vrai est de connaître son pedigree, retrouver son parcours de marchand en marchand, ses mentions dans les ouvrages de référence, ses expositions dans les musées ou encore ses passages sous le feu des enchères.

Si les 25 peintures arrivent à être définitivement identifiées, la maison Putnam Fine Art and Antique Appraisals estime leur valeur totale à près de 100 m$ ! Selon le New York Times, l’issue de l’enquête permettrait de rétablir une certaine légitimité institutionnelle, et procurerait une meilleure visibilité aux futurs acheteurs.

Ce ne sont malheureusement pas les seules œuvres à faire débat puisque le travail de Basquiat a déjà subi plusieurs contrefaçons. Dès 1994, certaines de ses toiles – considérées plus tard comme fausses – étaient en circulation, accompagnées de fausses lettres de provenance. Et encore récemment, en juin, aux États-Unis, un marchand d’art a été arrêté après avoir vendu de nombreuses œuvres contrefaites.

Un marchand d’art arrêté pour contrefaçon

Trois mois après l’affaire du musée d’Orlando, c’est un marchand d’art franco-algérien, du nom de Daniel Elie Bouaziz, qui a été interpellé pour contrefaçon d’œuvres d’art. Depuis sa galerie d’art de Palm Beach, en Floride, il aurait vendu de nombreuses œuvres faussement attribuées à de grands noms tels que Warhol, Banksy ou encore Keith Haring pour près de 22m$. Dans le lot, la copie d’un Basquiat mis à la vente pour 12 m$. Bouaziz aurait pourtant assuré que : « La provenance est celle du père de Basquiat, il n’y a donc pas vraiment de doute à ce sujet » . Un mensonge rapidement découvert après qu’un ancien membre du comité d’authentification de Basquiat, aujourd’hui disparu, ait identifié le tableau comme étant un faux. Pour faire passer les contrefaçons pour des originaux, Bouaziz aurait falsifié des signatures et fourni de faux documents de provenance. Certaines victimes du faussaire ont aujourd’hui obtenu dédommagement tandis que le faussaire récemment assigné en justice a été libéré sous caution. Il risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement et une amende pouvant aller jusqu’à 500 000$, une bagatelle face à la supercherie.

Pourtant, les contrefaçons en circulation ne nuisent pas à la cote de Basquiat. Peut-être même accentuent-elles la ferveur des collectionneurs à l’idée de posséder une œuvre originale du King of New York, de cet artiste dont l’aura ne faiblit pas mais dont le nom continue au contraire de défrayer la chronique !