La Corée : panorama d’un marché

[22/04/2014]

 

L’émergence de la scène artistique sur le plan international remonte aux années 80 avec la présence des premières galeries coréennes à la Foire internationale d’art contemporain (F.I.A.C.) de Paris en 1984 et celle d’artistes coréens à la biennale de Venise en 1986. Dix ans plus tard, l’éclosion de la scène coréenne passe par l’inauguration du pavillon coréen à la Biennale de Venise, l’une des manifestations artistiques internationales les plus prestigieuses depuis 1895 et par l’invitation de la Corée du sud à la F.I.A.C. De 1996. Avec le boom de l’art asiatique des années 2000, les institutions occidentales multiplient les hommages aux artistes coréens : en 2008 en France, l’espace Louis Vuitton de Paris ouvre l’exposition Métamorphoses, Trajectoires coréennes (1er octobre – 31 décembre) avec les artistes Do Ho Suh, Beom Kim, Hyungkoo Lee, Ham Jin, Sookyung Yee, Yong-seok Oh, Heryun Kim, Jeon Joonho, Suejin Chung et le collectif Flying City. L’année suivante, l’art coréen contemporain intègre définitivement l’actualité des grandes capitales culturelles de la planète avec l’exposition très médiatisée de Korean Eye: Moon Generation (20 juin-13 septembre 2009) organisée à Londres grâce à la collaboration entre Korean Eye, Standard Chartered et la galerie Saatchi. L’opération est renouvelée en 2010 avec l’exposition Fantastic Ordinary.
Tandis que l’art contemporain coréen s’exporte avec de plus en plus de force, le marché gagne en puissance sur place et les premières enchères millionnaires sont enregistrées à Seoul en 2007.

La plus ancienne maison nationale, Seoul auction est créée en 1998. Elle reste l’unique société de ventes coréenne jusqu’en 2005, année de la fondation de K-Auction qui a rapidement trouvé sa place, à tel point que ses performances sont même supérieures à celles de Seoul Auction sur l’année 2013. K-Auction est en effet la 66ème maison de ventes dans le monde avec 12,8 m$ d’oeuvres adjugées en 2013, devant les 12,2 m$ de Seoul Auction, classée 72ème. Avec la crise de 2008, Seoul Auction doit gagner de nouveaux acheteurs et décide d’ouvrir une succursale à Hong Kong. Depuis, ses ventes hongkongaises mixent artistes occidentaux et asiatiques, tout en offrant aux artistes coréens un relai plus international qu’à Seoul même. Ces deux sociétés constituent le baromètre du marché coréen et sont les avocates assidues des artistes locaux, avocates appuyées par Christie’s et Sotheby’s, qui intègrent l’art contemporain coréen à leurs catalogues depuis 2007.

Côté chiffre d’affaires, la Corée du Sud a vendu 23,5 m$ d’oeuvres d’art en 2013 (878 lots vendus), et représente 0,2 % du produit des ventes Fine art dans le monde, contre 3% en 2010. En 20ème position du marché global, la Corée se situe devant l’Espagne mais très loin derrière les capitales du marché que sont la Chine et les Etats-Unis (plus de 4 M$ de résultat chacun en 2013), le Royaume-Uni (2,1 M$ de résultat) ou la France (549 m$). Le marché de l’art coréen est en pleine construction, ce qui implique de fortes variations sur les résultats d’une année sur l’autre. Encore immature in situ, le marché des enchères est riche de promesses, car il est porté par une approche volontariste, par le soutien du gouvernement pour le développement culturel, par un positionnement sur le circuit de grandes foires internationales (la 4ème édition de G-Seoul se tient du 8 au 11 mai 2014) et par un certain nombre d’artistes qui ont pénétré le marché international et notamment haut de gamme.

Les meilleures enchères en Corée

Seuls quatre artistes coréens sont parvenus à décrocher des enchères millionnaires (en dollars) à Seoul. Il s’agit de Park Soo-Gun, Kim Whan Ki, Yi Jung Sup et Lee Ufan.

Soo-Gun PARK (1912-1965) : figure de proue de l’art moderne coréen, récompensé par de nombreux prix, l’art de Park Soo-Gun se diffuse en Occident dans les années 50′, notamment avec l’exposition Orient et Occident à San Francisco en 1957, et Art coréen moderne à la galerie World House à New York en 1958. C’est d’ailleurs à New York qu’il commence à intégrer les salles de ventes, et atteint déjà des prix importants au début des années 1990′ chez Christie’s (210 000 $ pour Farmers, une petite huile sur carton de 19,5 x 39 cm, le 27 avril 1993). Aujourd’hui, Seoul dispute à New York les meilleures oeuvres susceptibles d’atteindre le million de dollars (l’artiste compte onze enchères millionnaires à son palmarès). Son record culmine à 5,3 m$ avec A wash place, une huile sur toile de 1950 adjugée chez Seoul Auction le 22 mai 2007. Ces 5,3 m$ représente aussi l’enchère record pour une œuvre d’art vendue en Corée.

Whan-Ki KIM (1913-1974) : la seconde meilleure enchère coréenne est le fait de Kim Whan Ki qui appartient à la première génération de l’abstraction coréenne. Un musée lui est dédié à Seoul (le Whanki Museum créé en 1992) où il a passé une grande partie de sa vie avant d’arriver à New York en 1963. Sa carrière newyorkaise lui a permis de gagner de véritables collectionneurs sur place ou son record d’enchère affiche 1,2 m$ (“2-V-73 #313” est payée plus de 1,4 m$ frais inclus le 23 mars 2011 chez Christie’s New York). A Seoul, son record est trois fois plus important, équivalent à 3,6 m$ (The Flower and Jar, Seoul Auction le 22 mai 2007. A l’issue de l’année 2013, Kim Whan Ki a réalisé le second meilleur produit de ventes aux enchères pour un artiste coréen vendu à Seoul, derrière Lee Ufan et devant Kim Tschang-Yeul.

Jung Sup YI (1916-1956) : Trois enchères millionnaires récompensent Yi Jung Sup depuis 2008, toutes frappées à Seoul, dont la 5ème meilleure enchère coréenne de tous les temps (A bull, adjugée l’équivalent de 2,9 m$, le 29 juin 2010 chez Seoul Auction) derrière Park Soo-Gun, Kim Whan Ki, Andy Warhol et Gerhard Richter.

Ufan LEE (1936) : L’artiste coréen Lee Ufan, chantre du groupe Mono-Ha, est convoité dans le monde entier. C’est à New York, en 2007, qu’il passe pour la première fois le seuil du million de dollars. Une toile issue de la série Point triple alors son estimation pour finir à 1,7 m$ chez Sotheby’s (soit 1,944 m$ frais inclus, «78083», from Point Series, 16 mai 2007). Il s’agit d’un record inégalé sur la place de marché newyorkaise mais battu par deux fois depuis, d’abord à Seoul, puis à Hong Kong. Lee Ufan est l’un des artistes les plus prisés des ventes coréennes, générateur du meilleur chiffre d’affaires sur place en 2013 (plus de 3,6 m$ de produit de ventes pour 59 lots vendus).

Seoul Auction et K-Auction vendent aussi quelques artistes occidentaux. Les plus prisés sont des signatures vedettes de Londres et de New York à savoir Andy Warhol, Donald Judd, Gerhard Richter, Damien Hirst et des « classiques » tels que Marc Chagall, Pierre-Auguste Renoir ou Alberto Giacometti. Ces artistes sont les seuls occidentaux parvenus à décrocher l’une des 37 enchères millionnaires jamais signées en Corée.

En dehors du marché coréen, plusieurs artistes se sont imposés sur la scène internationale dans le sillage de la figure tutélaire Nam June PAIK. Leur carrière passe souvent par New York, comme avec Do Ho SUH, qui vient d’emporter 644 500 $ à Hong Kong avec sa sculpture Karma (le 5 avril 2014 chez Sotheby’s) ou Soo-Ja KIM, trop rare aux enchères, dont le dernier bottari (« paquet » en coréen) se payait 18 000 $ à New York (12 mai 2006, Phillips de Pury & Company). Tous deux sont domiciliés à New York.

Le pays du matin calme est désormais ouvert sur le monde mais les artistes coréens demeurent souvent confidentiels pour le grand public occidental comparativement à la notoriété déjà acquise par des artistes chinois, japonais et indiens. Le réveil est en cours.