Le marché de l’art en 2012 – L’émergence de l’Asie décentralise et libéralise le marché de l’art

[29/01/2013]

Le marché de l’art en 2012 – L’émergence de l’Asie décentralise et libéralise le marché de l’art  

Le marché de l’art contemporain ne connaît pas la crise : sur les 12 dernières années, il augmentait de 86 % en valeur et cette croissance extraordinaire doit énormément à l’affirmation du marché de l’art asiatique (+120 % en volume ces 5 dernières années). Si l’Asie était considérée comme un relai de croissance au début des années 2000 par les acteurs du marché de l’art, elle est vite devenue une place de marché incontournable grâce à l’émergence des foires d’art, à l’implantation de nouvelles galeries, et à l’explosion des enchères. Pour cet état des lieux 2012, Artprice fait le point sur les résultats des ventes publiques.

Parmi les chiffres mirobolants d’une croissance annuelle à deux chiffres, les enchères millionnaires qui s’accumulent, les records qui effacent ceux des mois précédents et les taux d’invendus proches de zéro, l’analyse du marché de l’art en Asie en 2012 nous permet de dégager les grandes tendances de ce marché qui se recentre à l’Est et qui dicte désormais ses propres règles au reste du monde.

De la fin de la bipolarité citadine vers une bipolarité continentale
Depuis 2011, 45 % du produit des ventes aux enchères d’art contemporain dans le monde est réalisé en Asie. Bien sûr, une grande partie de ces ventes sont réalisées entre Pékin et Hong Kong (76 %), mais des villes comme Singapour, Tokyo, Séoul et Taïpei totalisent des volumes de ventes plus importants que certaines places de marchés historiques tels que Paris, Berlin, Milan ou Genève. Il se vend aujourd’hui plus d’art contemporain à Taïpei que dans 49 des 50 états américains réunis (excluant l’état de New York) !
L’émergence de l’Asie ne s’impose pas seulement comme le moteur de la croissance du marché de l’art global, mais elle pose les questions d’une multipolarité économique. En effet, il y a dix ans, 80 % du marché de l’art se concentrait autour d’un marché bipolarisé de Londres à New York, laissant quelques miettes aux villes satellites. Mais depuis 2011, le marché de l’art contemporain a élargi ses frontières de manière exponentielle. De 2011 à aujourd’hui, les œuvres d’art contemporain ont généré pour plus d’un million de dollars de chiffre d’affaires dans plus de 40 villes, dont les incontournables villes de New York, Londres, Paris, Pékin et Hong Kong, mais aussi Séoul, Berlin, Singapour, Bruxelles, Jakarta, Amsterdam, Melbourne, Taïpei, Tokyo, Hangzhou etc… Sur ces 40 meilleures places de marché dans le monde, la moitié se trouve désormais en Asie.

Si le marché se déplace maintenant dans de nouvelles villes, il s’étend aussi aux maisons de ventes car le duopole historique des maisons de ventes est également remis en cause. La preuve en chiffres : en 2002, Sotheby’s et Christie’s représentaient 72 % du produit des ventes d’art contemporain dans le monde, mais sur les deux dernières années, leur part de marché est tombée à 50 %. Par ailleurs, les deux leaders limitent leurs pertes uniquement grâce à leurs salles implantées en Asie. Il y a dix ans, les ventes que Christie’s et Sotheby’s réalisaient à Hong Kong ne représentaient pas grand choses : tout au plus 2 % des recettes d’art contemporain mondiales de Christie’s, et pas plus de 0,1 % de celles de Sotheby’s. Sur les deux dernières années, l’enjeu des salles hong-kongaises est devenu colossal pour ces sociétés de ventes ! Désormais, Christie’s dégage 21 % de ses recettes d’art contemporain sur place et Sotheby’s 29 %. En dehors des centres névralgiques que sont New York et Londres, il se vend aujourd’hui plus d’art contemporain à Hong Kong pour ces deux maisons de ventes que dans toutes leurs autres salles de ventes du monde réunies.

Il y a dix ans, seules cinq salles de ventes dans le monde généraient plus de cinq millions de dollars de revenus. Or, ces cinq salles se situaient soit à Londres, soit à New York, marché bien gardé par Christie’s, Sotheby’s et Phillips de Pury & Co. Aujourd’hui, trente salles de ventes génèrent plus de cinq million de dollars d’art contemporain par an, et parmi elles, les deux tiers (19 pour être précis) opèrent sur le sol asiatique.
Sur les autres continents, Sotheby’s et Christie’s continuent de détenir 73 % (respectivement 31 % et 42 %) du marché de l’art contemporain et seules trois autres maisons de ventes conservent plus d’un pour cent du marché (Phillips de Pury & Co avec 19 %, Artcurial avec 1,1 % et Bonhams avec 1 %). En Asie où le marché bat beaucoup plus fort, le nombre de salles de ventes détenant chacune plus d’1 % de part de marché grimpe à 19.
Par ailleurs, les sociétés de ventes présentes dans la course derrière Sotheby’s Hong Kong (17 %) et Christie’s Hong Kong (16 %), représentent une concurrence moins passive que dans le reste du monde. Prenons l’exemple de Poly Auction : cette société représente pas moins de 15 % du marché à quelques poignées de dollars de Christie’s ! Autre exemple avec China Guardian qui tient 12 % du marché. Rong Bao génère quant à elle 4 %, Ravenel se hisse à plus de 3,5 %, tandis que Beijing HanHai, Beijing Council, Beijing Tranthy ou encore Hosane réalisent toutes plus de 2 % du total des ventes d’art contemporain.

De la déconcentration de la distribution vers une offre artistique plurielle
Cette nouvelle cartographie de l’offre aboutit à une offre artistique contemporaine beaucoup plus diversifiée répondant à cette demande émergente. Il n’y a jamais eu autant d’artistes contemporains présentés aux enchères (75 000 depuis 2011, contre 20 000 par an en moyenne de 2002 à 2005) et les artistes de nationalités asiatiques n’ont jamais été aussi bien représentés, générant à eux seuls 35 % des enchères et 45 % du produit des ventes 2011/2012. Les artistes originaires de Chine sont maintenant les plus prolifiques sur le marché de l’art. Et ce dynamisme chinois rayonne sur toute l’Asie car des économies moins fertiles – telles que l’Indonésie par exemple – se retrouvent mieux représentées que la France (0,9 % contre 0,8 % du produit de ventes total). Les artistes japonais engrangent plus d’enchères que les artistes espagnols ou italiens (3,2 % contre 2 %), et les artistes phillipins, coréens, taïwannais et indiens font désormais partie des 30 nationalités les mieux représentées sur le marché de l’art.

Dans le marché haut de gamme, sur les 500 artistes contemporains les plus cotés de 2011 à 2012, 49 % viennent d’Asie et parmi eux, les artistes chinois sont bien sûr les mieux représentés (199 Chinois dans ce Top 500), bien au-delà des artistes anglais (31), américains (86) ou allemands (27). De plus, le marché de l’art asiatique ne se limite certainement pas à la Chine : les artistes indiens (7), indonésiens (10), japonais (14) et coréens (7) sont aujourd’hui autant représentés en salles de ventes que les artistes français (9) ou espagnols (3), ce qui représente un véritable bouleversement dans l’histoire du marché de l’art mondial.
La progression de la part de marché des artistes venus d’Asie se renforce d’année en année : pour mémoire, seule une quarantaine d’artistes asiatiques parvenaient à se hisser dans les 500 contemporains les plus cotés du monde en 2005. Et la demande ne faiblit pas, comme en témoigne un taux d’invendus particulièrement faible en Asie (26 %), passant même sous la barre des 25 % dans des pays comme la Chine (22 %) et Taïwan (21 %). Les oeuvres se vendent bien mieux en Asie qu’à l’ouest du planisphère où le taux d’invendus stagne autour de 35 % (atteignant 45 % en France et 37 % au Royaume-Uni).
Par ailleurs, les artistes asiatiques sont portés par une demande dynamique qui joue le jeu de la nouvelle création. C’est une grande force que d’autres zones géographiques dans le monde ont du mal à trouver. Cela permet aux jeunes artistes asiatiques de s’imposer rapidement en termes de cote. On constate par exemple que la moitié des artistes de moins de 40 ans les plus cotés est d’origine asiatique (dont 220 Chinois qui font d’ailleurs partie du Top 500 des artistes de moins de 40 ans). Les nouveaux records s’enchaînent pour l’art contemporain et on n’en compte pas moins de 1 350 frappés en Asie ces deux dernières années.

Les artistes les plus cotés
L’artiste contemporain le plus demandé en Asie n’est autre que le Chinois Zheng Fanzhi, pour lequel la demande ne faiblit pas (seulement 13 % de taux d’invendus sur ces 24 derniers mois) et qui réalisait en 2011/2012 trente enchères millionnaires ! Zheng Fanzhi se trouve être, après le mythe occidental de Jean-Michel Basquiat, l’artiste ayant le plus souvent dépassé le seuil du million de dollars depuis le 1er janvier 2011. Il est suivi par ses compatriotes Zhang Xiaogang (16), Chen Yifei (13), Wang Yidong (11) et par le Japonais Takashi Murakami (9).

Takashi Murakami est l’artiste vivant japonais le plus cher du monde (My Lonesome Cowboy fut adjugé en 2008 pour 13,5 m$) et la force de son marché vient en grande partie de la demande asiatique : depuis 2011, 47 % de ses oeuvres se vendent entre Hong Kong, Tokyo, Pékin, Séoul, Singapour et le reste de l’Asie, ce qui était loin d’être le cas il y a quelques année (son marché se trouvait surtout à Londres et New York). Non seulement Murakami n’a jamais manqué de reconnaissance dans son pays (environ 10 % des œuvres de Murakami sont vendues au Japon chaque année) mais de plus, le lien qu’il tend entre la culture asiatique et occidentale en fait l’un des artistes préférés des salles de ventes mondiales, de Hong Kong à New York en passant par Londres ou Paris. Il est par ailleurs le seul artiste asiatique vivant (avec Zao Wou-Ki) dont les œuvres ont été vendues par Christie’s et Sotheby’s plus de cent fois à travers le monde (133 fois pour Murakami) depuis janvier 2011. Il est aussi le seul artiste de moins de 50 ans à susciter autant de boulimie de la part des collectionneurs – avec Damien Hirst – en vendant plus de 100 lots chez Christie’s et Sotheby’s.

Outre 18 Chinois et le Japonais Murakami, l’Indien Anish Kapoor se glisse dans le top 20 des artistes contemporains les plus vendus au-dessus du million de dollars. Il tient la 14ème place du classement d’artistes par chiffre d’affaires, notamment grâce à six enchères millionnaires enregistrées depuis 2011. Anish Kapoor est le seul artiste asiatique de ce top 20 à ne pas avoir décroché d’enchères supérieures à 100 000 $ en Asie et dont aucun lot n’a été vendu depuis 2008 sur ce continent. Les maisons de ventes étant quasiment inexistantes en Inde (seules Asta Guru et Osian’s sont actives pour l’art contemporain en Inde), Anish Kapoor ne peut compter sur une représentation locale. L’artiste est basé à Londres depuis ses 19 ans, quand il intégrait le Hornsey College of Art puis la Chelsea School of Art and Design. De fait, son marché est fortement localisé en Grande-Bretagne (60 % des œuvres offertes à enchères).
Entre 2011 et 2012, Anish Kapoor n’en finit plus de défrayer l’actualité avec l’exposition de son œuvre Leviathan au Grand Palais de Paris (automne 2011) puis la réalisation de la tour Orbit pour les jeux olympiques de Londres (été 2012). Il n’est donc pas surprenant de constater une récente envolée des prix faisant échos à toute son actualité. Cette hausse des prix se mesure notamment sur l’œuvre Turning The World Upside Down #4, dont l’exemplaire 2 sur 3 partait à 1,6 m$ en novembre 2009 chez Sotheby’s à New York, alors que la même œuvre (numérotée 3/3) se vendait 2,1m$ dans la même maison de ventes en mai 2011… il s’agit d’une plus-value de 31 % en 16 mois ou un bénéfice brut de 500 000$ !

Qu’ils soient vendus à New York, Londres, Hong Kong, Singapour où Pékin, les artistes les plus cotés démontrent la résistance du marché de l’art contemporain haut de gamme aux aléas économiques. Au total, depuis 2011, les 500 artistes contemporains les plus cotés (parmi 90 000 artistes contemporains cotés) ont engrangé plus de 2 milliards de dollars de produit des ventes, ce qui représente 87 % de l’art contemporain vendu dans le monde aux enchères. Et sur ces 2 milliards, 45 % découlent de la production d’artistes asiatiques, issus de Chine, des Philippines, d’Inde, d’Indonésie, de Corée…

Quels chiffres sont à venir pour un marché boulimique mais fragilisé par la conjoncture mondiale ?
Alors que la création ne s’est jamais mieux portée, et que la demande est encore forte dans ces régions du monde, la crise économique mondiale a-t-elle bouleversé l’équilibre sur le marché de l’art asiatique. Quelles directions pour un marché aux chiffres expansionnistes ?
Le taux d’invendus en Asie est exactement le même qu’il y a un an. En effet, lors des mois de septembre, octobre et novembre 2012, on a enregistré un taux d’invendus respectivement de 31 %, 26 % et 27 %, les même chiffres à la virgule près que pour les mois de septembre, octobre et novembre 2011. Ces chiffres rassurants advenaient après une bonne période juillet-aout où le taux d’invendus tombait même sous la barre des 20 %, s’établissant à 18 %. La demande ne faiblit pas cette année. Elle se traduit aussi par un prix d’achat moyen qui continue de s’envoler à chaque nouvelle saison de vente.
Au dernier trimestre 2012, le prix moyen pour une œuvre achetée en Asie s’établissait à 70 000 $, soit une hausse moyenne de 10 000 $ par rapport à la saison des ventes d’automne en 2011. Une forte demande accélère donc la progression des prix, malgré les réticences économiques et la confiance dégradée à l’échelle mondiale. Si l’on en croit l’Art Market Confidence Index d’Artprice qui mesure le niveau de confiance sur le marché de l’art, on constate que cet indice n’a jamais été aussi fort pour les votants en provenance d’Asie. Les acteurs du marché de l’art asiatique sont donc confiants, voire enthousiastes malgré la morosité générale. Cette confiance est palpable en salles des ventes avec des achats bien au-delà d’estimations pourtant gonflées d’année en année : sur les mois de novembre et décembre 2012, 41 % puis 34 % des lots se vendaient au-dessus de leur estimation haute, des chiffres similaires au 42 % et 31 % des mêmes mois en 2011. Si l’état extraordinaire de la demande peut surprendre dans le climat actuel, la vitalité de l’offre est encore plus spectaculaire : sur les trois derniers mois, seuls 27 % des lots sont partis à moins de 5 000 $, contre 40 % l’année précédente, ce qui signifie qu’il y a très peu d’oeuvres abordables en Asie. Le marché est bien plus haut de gamme que dans le reste du monde car il subit les excès de la demande. La question de la pérennisation de l’offre est par ailleurs primordiale dans un marché où la raréfaction des œuvres de qualité rend la présence d’intermédiaires de confiance pertinente.

Les chiffres de 2012 prouvent encore que le marché de l’art contemporain en Asie est en pleine croissance, quelle n’est pas encore rassasiée. Le marché asiatique contemporain continue de dépasser les cycles de croissance sans faux pas… mais tandis que les chiffres de 2012 pointent tous dans la bonne direction, il convient de s’interroger. Le marché se construit-il sur une croissance saine ? Le marché de l’art est une bulle perpétuelle, sa valeur n’étant pas reliée à des éléments économiques tangibles, mais cette bulle est-elle vraiment spéculative ? Même dans un climat de confiance, ces questions doivent se poser.
Le fait que des artistes asiatiques se placent parmi les artistes les mieux cotés du monde, l’extraordinaire vitalité de la demande et l’émergence de jeunes artistes bien représentés en salles sont autant de signes positifs pour l’avenir du marché de l’art de ce côté du monde.